Chapitre 25

4 minutes de lecture

Dimanche 18 août 1996

Allongé sur mon lit de camp, je feuillette mon carnet noir. Au début de mon périple, j’avais lieux et dates en tête, après la préparation minutieuse de mon circuit, mais parvenu à mi-course, cela s’embrouille un peu dans ma tête, pas aussi bien rangée que je le pensais. J’ai dû me résoudre à ouvrir à nouveau ce calepin, incapable que j’étais de me souvenir en quelle année Jeanne et moi avions séjourné à Axat, où je dois me rendre aujourd’hui.

Eh bien, c’était en 1974. Le Président Pompidou, mort d’une sourde, mais implacable maladie, Alain Poher, Président du Sénat avait assuré l’intérim. Et depuis fin mai, nous avions élu Valéry Giscard d’Estaing Président de la République. Il avait nommé Jacques Chirac Premier ministre pour faire de la France « une société libérale avancée ». Ses premières mesures avaient été bien accueillies : début juillet, l’Assemblée avait voté la majorité à dix-huit ans et le minimum vieillesse avait été relevé de 21 % ! Sur ces bonnes nouvelles, nous étions partis en vacances. Quinze jours plus tard, avec l’adoption d’un sévère plan d’austérité, nous déchantions déjà ! La coïncidence des dates m’interpelle. J’avais cinquante-cinq ans et pensais devoir travailler dix années encore, mais, surprise, en 1982 le Président Mitterrand autorisait la retraite à soixante ans. Manque de chance, j’en avais déjà trois de plus ! Jeanne et moi avons mis notre commerce en vente dès la semaine suivante, mais il faudra dix-huit mois avant qu’il ne trouve acquéreur et au bout du compte, j’ai pris ma retraite à l’âge initialement prévu. Douze ans déjà !

Bon, ce n’est pas le sujet. Où voulais-je en venir ? Ah, oui, Axat. Pour vous situer, c’est tout près de Limoux et sa célèbre « blanquette », vous savez, ce vin mousseux qui serait le plus vieux vin effervescent du monde. Entre Pyrénées et Corbières, en pays cathare. Un village à la population déclinante, comme beaucoup, traversé par l’Aude, dans une cuvette de faible altitude. Un paradis pour marcheurs et pêcheurs à la truite. Tout à fait le genre de lieux que nous affectionnions Jeanne et moi.

C’est un dimanche de retours de vacances et Bison futé a prévenu : ce sera un jour rouge dans le sens des retours en région Aquitaine et sud-est de la France et orange dans celui des départs. Les embouteillages sont ma grande hantise au volant : quand je suis bloqué en pleine voie, une espèce d’oppression me saisit et je n’ai qu’une hâte, prendre la voie de droite et sortir par la première bretelle venue ! Une fois, il n’y a pas très longtemps, dans la traversée de Lyon, après un début d’altercation avec un conducteur que j’avais soi-disant empêché de s’insérer dans la file où je roulais, j’ai bien cru que j’allais me trouver mal. Mais avec quelques exercices respiratoires, j’ai réussi à poursuivre ma route, tant bien que mal.

Aujourd’hui, peut-être aurai-je quelques soucis dans la traversée de Foix, mais pour le reste je n’emprunte que des départementales, cela devrait m’éviter d’autres mauvaises surprises. C’est que les débrayages et embrayages intensifs me sont un peu pénibles, je redoute une crampe du mollet ou du pied gauche. C’est la vieillerie, que voulez-vous !

J’aurais voulu revoir le château de Montségur, perché à plus de 1200 mètres sur son pog, mais cette étape est assez proche de ma destination, je n’y serai pas pour midi, si ? Je vérifie sur ma carte. Dépêche-toi, mon vieux, alors. Je ne remonterai pas là-haut, le sentier est trop escarpé pour moi dorénavant. Je me souviens que Jeanne avait eu quelque difficulté lors de notre première visite, il y a vingt-deux ans. Nous avions pique-niqué au milieu des imposantes ruines du château reconstruit après 1244 par Guy II de Lévis, presque seuls, c’était impressionnant. J’avais évoqué pour Jeanne les légendes rattachées à ce lieu : Esclarmonde de Péreille, dame blanche de Montségur, le trésor des cathares.... Ce devait être au printemps, aux premiers beaux jours. Aujourd’hui, je me contenterai de la visite du petit musée qui s’est ouvert au village, pour me rafraîchir la mémoire.

L’unique auberge du lieu a été rénovée, mais ils ont eu la malencontreuse idée de rejointoyer toutes les vieilles pierres des murs intérieurs en blanc. Certes, la luminosité est meilleure, mais l’ensemble est écrasant et au détriment du mobilier rustique et de la décoration. Ceci dit, on y mange bien à prix raisonnable, c’est quand même l’essentiel !

Il est presque quinze heures lorsque je repars, après mon quart d’heure de sieste quotidien, pour les cinquante et quelques kilomètres restants.

S’installer dans les campings assez tôt dans l’après-midi est une règle que j’ai apprise en Espagne où les places à l’ombre sont parfois rares et d’autant plus convoitées ! Et celui que j’ai prévu aujourd’hui ne compte qu’une soixantaine d’emplacements, dans un méandre de l’Aude, au bord de la D117, à la sortie du village d’Axat. Il doit donc être assez couru et je n’ai pas de réservation. Je croise les doigts.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, novembre 2017.

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