Chapitre 24

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Samedi 17 août 1996

Branle-bas matinal au camping. Dans la nuit, une brume s’est levée sur la rivière et s’effiloche peu à peu sous les premiers rayons du soleil. On attelle les caravanes, démonte et emballe les tentes, fixe les rétroviseurs, arrime les coffres de toit et les vélos. Les enfants sont chafouins ; trop tôt réveillés, ils attendent le ronronnement du moteur et le roulis du voyage pour se rendormir. Les parents, fébriles, essaient de ne rien oublier – papiers, argent, clés, lunettes – et bâclent les derniers adieux. Des portières claquent, des démarreurs enrhumés réveillent ceux qui restent, les moteurs vrombissent. Une vingtaine d’emplacements se libère en deux heures de temps. Dès le début d’après-midi, de nouveaux arrivants prendront possession de la plupart d’entre eux. Le patron, un marseillais exilé, m’a dit hier soir avec son accent chantant, qu’il ne serait pas complet, « mais pres/que pour un/e se/mai/ne en/co/re, peu/chè/re ! ». Après, dit-il, commencera l’arrière-saison, un peu en avance sur le calendrier. Fin août fin septembre, c’est le mois des retraités. Les jours sont plus courts, mais comme beaucoup sont devenus couche-tôt, cela leur convient.

Jeanne et moi, sur ce point étions très différents : elle, lève-tard et couche-tard, moi, tout le contraire. Au début de notre mariage, cela allait encore, je l’entraînais au lit assez facilement, pour des raisons que vous pouvez imaginer sans peine, mais quand la télévision fut entrée au foyer, en 1964, il me semble, cela devint une autre histoire ! Par chance, il n’y avait que deux chaînes et les programmes s’arrêtaient à minuit. Mais lorsqu’elles se furent multipliées et que l’antenne resta ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, je commençai à déchanter ! Elle adorait les débats ; ils m’ennuyaient ; alors après le film, je montais me coucher et elle venait me rejoindre une heure ou deux après. Certes, nous étions devenus sages, comme beaucoup de vieux couples, mais avions pris des habitudes, des positions pour nous endormir, et quand le partenaire était absent, c’était plus difficile. Voilà une des raisons pour lesquelles j’ai si mal dormi les trois premiers mois après son départ. Alors, j’ai changé mon lit double pour un de 90 cm motorisé – je peux surélever les pieds et la tête – et cela va mieux, sauf que si me réveille en sursaut, à chaque fois je me crois à l’hôpital !

Mais je divague. Revenons à nos moutons.

Saint-Béat n’a pas changé tant que ça en vingt-cinq ans. La statue du Maréchal Galliéni, l’enfant du pays, a retrouvé la blancheur de son marbre d’origine sur la promenade de la rive droite, au-delà de l’église, mais c’est à peu près tout. La commune a perdu plus d’un tiers de sa population, me dit la caissière de la supérette avec qui je taille une bavette. Une fois passés les deux mois d’été, c’est le désert ici, ajoute-t-elle. La plupart des jeunes s’en vont. Il ne reste que des vieux. Tout se mécanise ; il n’y a plus d’embauche ou si peu ! La société des carrières a ouvert de nouveaux sites dans les communes environnantes, mais le nombre d’ouvriers est resté le même, à peu de chose près, et on entend dire que certains départs à la retraite ne seront plus remplacés dans les années qui viennent.

Demain, je ferai route vers Axat, dans l’Aude, un lieu de séjour plus riant que Saint-Béat. La route du Portet d’Aspet sur ma carte Michelin est blanche et étroite jusqu’au col. Je n’ose m’y risquer. Quand la voiture côtoie le vide sans parapet, je n’en mène pas large. Je ferai le détour par le Nord et Saint-Gaudens pour aller jusqu’à Saint-Girons. Ensuite, je suivrai la D117 jusqu’à Foix, puis Lavelanet, Quillan et enfin Axat. Deux cent dix kilomètres et trois bonnes heures de route m’attendent. Aujourd’hui, je vais rester tranquille et me dorer la pilule au camping. Depuis un moment, j’ai laissé en plan Le Vieux qui lisait des romans d’amour. C’est le moment de m’y remettre.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, novembre 2017.

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