Chapitre 23

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Vendredi 16 août 1996

Petite étape aujourd’hui, toujours dans les Pyrénées Atlantiques, direction sud-est. Une heure de route. Izeste est une commune de la vallée d’Ossau, à une soixantaine de kilomètres de là où je suis.

Euh... Voyons, c’était avant les événements de 68, c’est sûr, mais quand exactement, il faut que je vérifie dans mon petit carnet noir, un carnet de moleskine où j’ai noté année par année, les lieux et les dates de nos séjours de vacances et les principales visites réalisées. Attendez voir, oui voilà, c’était l’été précédent, en 1967. Quand nous sommes venus, la population de cette bourgade de moyenne montagne ne dépassait pas les six cents habitants, je crois bien. Je ne sais ce qu’il en est aujourd’hui. Je vais me mettre en route après déjeuner. Pas mal de gens préparent leur départ pour demain de bonne heure : ce sera la première vague des retours d’août. Déjà ! Dans mon sens, cela devrait aller ; pour remonter vers le Nord, cela risque d’être plus sportif ! La traversée d’Oloron ne sera que le premier de leurs écueils, Pau, Bordeaux, St-André-de-Cubzac, Saintes, sont autant de difficultés notables. Dans quinze jours, ce sera mon tour. J’essaierai d’éviter le flot, si je peux. Mais je me trouverai bien plus au Nord et complètement à l’Est, dans le Jura, tout près de la frontière suisse, en principe.

Il fait beau et la route est plaisante, mais quelques nuages noirs se profilent à l’horizon, derrière les crêtes. J’ai remonté la capote. Je ne tiens pas à être surpris par l’orage. Cela m’est déjà arrivé plusieurs fois. Par ici, l’après-midi, ça se gâte souvent ! Et quand il pleut, il ne fait pas semblant !

Le camping était municipal et situé au bord du gave d’Ossau. Il s’y trouve toujours, mais s’appelle désormais « Camp Municipal de la vallée d’Ossau ». Il comporte à présent une quarantaine d’emplacements tout confort. À l’époque, c’était la moitié et le bloc sanitaire était rudimentaire. L’eau chaude manquait souvent et l’électricité ne pouvait servir qu’à s’éclairer. De toute façon, il n’était ouvert que de juin à septembre. Comme autrefois, ce sont surtout des pêcheurs, la plupart à la mouche, qui viennent là, posent leur caravane et passent un mois, parfois plus, à pratiquer leur sport favori dans les gaves alentour. Si l’on est matinal, comme moi en général, on peut les voir partir dans le lit du torrent, avec leurs cuissardes, leur veste multipoches, leur chapeau vert et tout leur barda : cannes, moulinets, épuisette, boîtes d’hameçons, de leurres, de mouches, panier, pour ceux qui ne rejettent pas leurs prises à l’eau, comme cela est devenu la mode... Les épouses cuisinent, papotent et dorent au soleil ou tricotent à l’ombre.

Ici, à part deux ou trois maisons fortes, il n’y a pas grand-chose à voir et la pêche en rivière n’est pas mon truc. Le spectacle, c’est la nature avant tout. Mais pour moi, les balades en montagne, c’est presque fini. Mes jambes ne me portent pas comme avant et plus question de partir seul. Je l’ai bien vu sur le Puy Pariou. Alors, désormais, je préfère éviter les dénivelés de plus de cent mètres.

Demain, je mettrai le cap sur Saint-Béat, par Lourdes, Lannemezan et Saint-Bertrand-de-Comminges. Cent trente kilomètres environ, d’après mes calculs, mais il me faudra sous doute près de trois heures pour les parcourir, entre les petites routes, le tracé sinueux et les traversées d’agglomération.

Lourdes, n’en parlons pas. Étant petit, pour soigner un eczéma persistant, mon grand-père m’y a amené et j’ai donc été plongé dans l’eau froide de la grotte de Massabielle. J’en suis ressorti saisi et grelottant, bien entendu, mais guéri, c’est plus douteux. J’avais onze ans, la foi du charbonnier encore et la puberté fit son office, comme l’avait prédit un des nombreux médecins consultés par mes parents. Alors, chacun se fera son opinion, à sa guise. Mais le fait est qu’à partir de ma douzième année, je fus libéré de l’eczéma ! Pour le reste, à Lourdes, le commerce depuis l’origine presque, tient la dragée haute à la piété et Bernadette Soubirous serait effarée du capharnaüm qui s’étale en ville !

Lannemezan, je n’ai rien fait d’autre que de le traverser, hier comme aujourd’hui.

Saint-Bertrand-de-Comminges m’intéresse davantage. L’image de la cathédrale Sainte Marie, perchée sur l’ancienne acropole d’un oppidum romain, me reste en mémoire depuis notre première visite en 1970. C’était le soir et le ciel rougeoyait autour d’elle. Il me souvient d’avoir fixé cet instant sur la pellicule et retrouver la diapositive dans les boîtes que je conserve serait assez facile. Mais si je la regardais à nouveau, je m’apercevrais qu’en réalité la nuit était déjà tombée et qu’en ce mois de mars maussade, seule la clarté lunaire m’avait permis de saisir la silhouette massive du monument, entre deux arbres de talus dressant vers le ciel leurs moignons hérissés de rameaux dénudés. Mon souvenir intègre donc un autre passage, à un moment plus avenant dont j’ai perdu la trace. C’est une sorte de synthèse optimiste.

Saint-Béat est un village austère, coupé par une Garonne turbulente déjà et parfois violente, dont la renommée est essentiellement due à ses carrières de marbre blanc, exploitées depuis les temps gallo-romains. C’est la tautologie du nom qui m’avait attiré en premier, outre la proximité de l’Espagne, par le col du Pourtalet et le petit camping de la Garonnette, situé en bordure de rivière au milieu du village. Jeanne et moi avons rapporté de notre premier séjour ici, une pierre de marbre blanc d’un bon kilo, qui fait encore office de serre-livres dans ma bibliothèque.

En m’installant à nouveau, instruit par la catastrophe d’il y a quatre ans à Vaison-la-Romaine, où la crue centennale de l’Ouvèze a fait 47 morts et je ne sais combien de disparus, je me demande soudain si l’emplacement de ce camping a été bien pensé. Si le niveau de la rivière monte de plus d’un mètre, je suis sûr que tentes et caravanes sont dans l’eau ! Par précaution, je choisis l’emplacement disponible le plus éloigné de la rive. Certes, les Pyrénées ne sont pas sujettes aux phénomènes cévenols, mais prudence est mère de sûreté, disait ma grand-mère.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, novembre 2017.

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