Chapitre 20

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Mardi 13 août 1996

Ce matin, mon transistor annonce en boucle l’arrestation en Belgique de Marc Dutroux, un dangereux malfaiteur et violeur récidiviste. Cette fois, on l’accuse d’avoir enlevé, séquestré et violé plusieurs adolescentes... avec la complicité de son épouse ! Au café où je déjeune, la tenancière évoque l’affaire en termes catégoriques :

— Moi, ces mecs-là, je leur couperais les couilles, comme ça on n’en parlerait plus ! C’est quand même un récidiviste. Il a été condamné une première fois à treize ans et demi. Il en a fait six et voilà ! Et elle, la Michelle Machin/Truc, je comprends pas comment elle a pu rester avec !

Je réponds d’une phrase évasive entre deux bouchées de croissant, développer ce sujet complexe m’entraînerait trop loin et, à vrai dire, cette soumission m’interroge aussi.

Aujourd’hui, longue étape, je m’en vais voir la mer, qui commence à me manquer sérieusement depuis presque quinze jours que je suis parti. Pas de vent, pas de sable, pas d’embruns, pas d’odeurs de varech ni de marée. Je me sens orphelin. Je vais tirer une longue diagonale de près de deux cent cinquante kilomètres jusqu’à Pau et, une fois n’est pas coutume, emprunter ensuite l’autoroute A64 jusque Urrugne, au Pays basque. Je viens d’établir mon itinéraire sur ma carte déployée devant mon café matinal ! Montauban, Auch, Marciac, Pau, Orthez, Bayonne, Urrugne : 375 km en tout si mon calcul mental est bon. Et je ne serai pas encore à mi-parcours ! Je ne sais pas si je vais oser pousser le moteur de ma DS21 jusqu’à la vitesse autorisée de 130. En théorie, je crois que ma voiture peut atteindre 188 km/h, mais je l’ai rôdée de manière bien plus paisible, alors ce serait beaucoup la brusquer que d’aller au-delà du 140, et encore...

Ça va me donner une longue journée de route. Il ne faut pas que je tarde, sinon, avec les arrêts toutes les deux heures, la pause-déjeuner et la sieste, je vais arriver avec la nuit, qui tombe déjà assez vite à la mi-août. Et pour monter la tente, c’est moyen, comme disent les jeunes. Cette année, je me suis équipé d’une lampe frontale, mais quand même...

Tout va bien jusqu’à Pau. Mais, à la sortie de la capitale du Béarn, le voyant de ma batterie tombe dans le rouge. C’est vrai que je n’ai pas vérifié le niveau d’électrolyte depuis mon départ et que depuis quelque temps, elle a tendance à s’assécher ! Un arrêt s’impose à la prochaine station-service. Trois éléments sur six sont à sec ! Le pompiste me gratte les contacts oxydés à la toile émeri, remplit les six compartiments avec un flacon pissette d’eau déminéralisée, mais n’est pas très optimiste : elle ne doit plus tenir la charge correctement. Il faudra songer à la changer. Il n’en a pas de neuve de ce modèle et me propose de recharger la mienne un minimum pour que je puisse rouler, à moi de me débrouiller ensuite. D’accord, c’est gentil. Je poireaute trois quarts d’heure. Sollicitez-la le moins possible, me dit-il : évitez de circuler de nuit, sous la pluie, ne mettez pas la radio, etc. tant que vous n’aurez pas effectué le changement. Bon, d’accord. Je vous dois combien ? Rien du tout, pensez-vous. Je lui glisse quand même un petit billet pour la peine. La gentillesse n’est pas si courante de nos jours.

Ce doit être ma troisième ou quatrième batterie en trente-cinq ans, il n’y a rien à dire, mais la prudence du pompiste m’a mis la puce à l’oreille ! Je reprends la Nationale 117, en espérant que l’alternateur remplisse correctement son office, car comme disait Chirac, « les emmerdes, ça vole toujours en escadrille », et je me méfie...

Après Bayonne, la Nationale 10 que j’ai rejointe longe la côte et revoir l’océan est un bonheur. L’air me semble plus léger tout d’un coup et je roule, capote baissée, admirant les rouleaux ourlés d’écume qui viennent se briser sur les rochers ou mourir avec indolence sur les plages qui se succèdent. Ma destination, c’est Ciboure et son fort de Socoa. Une superbe plage et une fortification datant de Louis XIII, mais améliorée ensuite par Vauban, bien entendu. Décidément, ce type a laissé son empreinte partout ; sur toutes nos frontières, du nord au sud et de l’est à l’ouest, ses ouvrages perdurent dans le paysage, depuis bientôt trois siècles et pour quelques-uns encore, défiant le temps et les éléments après les envahisseurs du passé. Contre ceux d’aujourd’hui et de demain, hélas, il ne peut plus grand-chose : bombes et missiles téléguidés ont remplacé les boulets de son époque !

On se bouscule sur la côte landaise en cette avant-veille de 15 août et les derniers kilomètres seraient un peu pénibles si je n’étais salué à de nombreuses reprises par les estivants, à pied ou en voiture. Je réponds en soulevant mon chapeau de paille ou d’un petit coup de klaxon, le bras à la portière, le sourire aux lèvres, fier comme jamais. Cette voiture me coûte un peu cher en entretien, mais elle m’offre quand même de jolies compensations !

Camping de la Plage à Socoa. J’ai bien fait de réserver mon emplacement, sinon j’étais fait comme la romaine. Ça se dit encore, ça ? J’en doute, mais ce qui est dit est dit, n’est-ce pas ?

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2017.

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