Chapitre 19

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Lundi 12 août 1996

Au Ponget, où je suis allé m’installer hier après-midi, après avoir déjeuné assez rapidement à Domme, la matinée est brumeuse, mais la journée promet d’être chaude. Ce matin, je vais refaire le tour de la cité, qui a dû bien changer en trente-cinq ans ! En même temps, il conviendrait que je passe à la station de lavage la plus proche. Mon cabriolet a pris pas mal de poussière depuis le départ, et je suis assez coquet, pour lui comme pour moi !

Ville au passé prestigieux, Saint-Antonin-Noble-Val tire son nom de la vallée baptisée Nobilis Vallis par les Romains. Elle abriterait le plus vieil hôtel de ville de France et c’est une cité médiévale authentique, dans un site protégé, celui des gorges de l’Aveyron et des falaises du Roc d’Anglars, du Cirque de Bône... sur l’un des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle.

Albigeoise, prise par les Anglais, puis adepte de la Réforme, conquise par Louis XIII, la cité garde dans ses murs les traces de ce passé mouvementé.

Me revoilà devant le moyenâgeux ancien palais vicomtal, indûment qualifié de mairie par Viollet-le-Duc qui le restaura, avec ses arcades semi-ogivales, son beffroi à mâchicoulis et sa galerie à fines colonnes, puis la Halle, bien plus tardive, aux massifs piliers rectangulaires d’une hauteur inhabituelle pour un tel bâtiment, l’église gothique Saint-Antonin, le temple protestant... Les rues du centre ancien ont été pavées à neuf, en lieu et place du bitume que j’avais connu. Des enduits démodés ont été piquetés pour laisser apparaître les colombages et les pierres originelles. Les vieilles demeures s’enchevêtrent le long des ruelles sinueuses avec leurs fenêtres géminées ou à meneaux, leurs arcs gothiques ou romans, leurs vieux portails. Un effort de fleurissement a été conduit. L’essor du tourisme est passé par là.

Il me prend envie d’aller passer l’après-midi dans le village proche de Puycelsi. Fondé avant l’an mil par des moines d’Aurillac, le village a repoussé les Croisés en lutte contre les cathares, les Anglais, puis les troupes protestantes. Perché sur son piton rocheux, entouré de 850 mètres de murailles, il domine la vallée de la Vère et la forêt proche de la Grésigne.

Quasi à l’abandon dans les années cinquante, n’y restaient plus que quelques irréductibles qualifiés d’arriérés par la plupart. Mais, après l’arrivée de l’eau courante en 1960, peu à peu les résidents secondaires lui ont redonné vie en restaurant les vieilles maisons.

Jeanne et moi étions tombés amoureux du site et d’une demeure en particulier. Une bâtisse à colombages, étage en encorbellement et grande terrasse couverte. En ruine, mais avec tellement de charme ! À tel point que, rentrés à Saint-Laurent, j’avais écrit à la Mairie de Puycelsi pour demander les coordonnées du propriétaire afin de lui faire une offre d’achat. Ou l’on m’a pris pour un farfelu, ou l’on ne voulait pas d’un « hors-venu » breton, ou la maison n’était pas à vendre. Toujours est-il que nous n’avons jamais reçu de réponse. Après les temps enthousiastes de la restauration, serions-nous revenus chaque année ici, nous qui aimions tant le dépaysement, la mobilité et la nouveauté ? J’en doutais et avais considéré cette non-réponse comme un signe du destin. Ce projet ne devait pas trouver de concrétisation.

J’ai quand même un sérieux pincement au cœur en passant devant la maison convoitée, fort bien restaurée et habitée à l’année, me dit la marchande de souvenirs qui l’occupe. Nous entamons une conversation :

— Ce sont mes parents qui m’ont légué ce bien. Ils l’avaient acquis en piteux état et commencé à le restaurer. Et puis, l’ampleur de la tâche les a découragés, des ennuis de santé sont survenus, le vieillissement les a empêchés d’y revenir. Mon mari est du coin, on s’est attelés à terminer les travaux et voilà cinq ans qu’on y habite. Lui travaille en dehors comme artisan plombier et moi je tiens la boutique. Mais le logement est petit. Si la famille s’agrandit, je ne sais pas si nous pourrons rester ici...

Elle m’apprend que le village compte aujourd’hui une petite centaine de résidents permanents, dont un tiers d’étrangers, et près de cinq cents en été.

Je reconnais à peine les lieux, tellement tout a changé : murs relevés, toits et ouvertures neuves, enduits colorés, jardins coquets, artisans d’art, restaurants et cafés ; il n’y avait rien de tout cela, lors de notre passage. Je m’assieds pour déjeuner à la terrasse ombragée du Roc café. Dans l’église, je n’en reviens pas, le retable du XVIIe a été redoré et les volutes à la fresque du plafond brillent d’un bleu cobalt éclatant !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2017.

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