Chapitre 12

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À l’assaut du Pariou

Deux ans, c’est long et c’est court. Dans ce laps de temps, la prédiction de la propriétaire de l’Auberge du Sancy s’est réalisée. Sur la porte, un écriteau annonce « Fermeture définitive ». Les volets sont clos et clouées dessus deux pancartes de notaire et d’agence proclament la mise en vente. À une femme qui passe devant la bâtisse, courbée sur son bâton, je demande :

— Pardon, madame, savez-vous ce qu’est devenue l’ancienne propriétaire ?

— Hélas oui, mon bon monsieur ; quand, l’année dernière, l’Administration a ordonné la fermeture de l’auberge pour « mise en danger de la vie d’autrui », à ce qu’il paraît, ça l’a tellement tourneboulée qu’elle n’a pas tenu deux mois, la pauvre ; et, à présent, si vous voulez la voir, c’est au cimetière qu’il faut aller.

— C’est une bien mauvaise nouvelle que vous m’annoncez là !

— Vous la connaissiez ?

— J’ai logé ici quelques jours, il y a deux ans, c’est tout, mais elle m’avait marqué.

— Ah, c’était un personnage, Philomène !

— Merci, madame, bonne journée !

— Bonne journée !

En fait de bonne journée, la mienne est gâchée. Et je ne peux même pas rendre une dernière visite à l’aubergiste. Philomène, d’accord, mais Philomène comment ? Je n’en ai pas la moindre idée.

Dans ces conditions, inutile de s’attarder plus longtemps ici. Je vais pousser jusqu’à Saint-Donat, à une cinquantaine de kilomètres au sud, aux abords du puy de Sancy, dans le parc des Volcans d’Auvergne. Il y avait un Logis de France accueillant autrefois dans ce bourg minuscule.

C’était l’époque où Jeanne et moi pratiquions encore un peu de ski de fond, dans les années soixante-dix. Deux ans de suite, en février, on avait loué un appartement dans une maison qui était la propriété du boucher-traiteur de la commune. Tout près des pistes de Picherande et de Chastreix.

Mais, pour nous, la chaîne des Puys, c’était l’été qu’il fallait la pratiquer et notre préféré, c’était sans conteste, le puy de Pariou dont nous avions gravi les 1209 mètres à deux ou trois reprises, je ne sais plus très bien. On adorait son cratère strombolien au cercle presque parfait de deux cents mètres de diamètre pour quatre-vingt-dix de profondeur, tout engazonné d’une herbe fine et rase, parsemé de quelques bosquets de feuillus et genévriers. Très photogénique, vu d’avion, avec le puy de Dôme en arrière-plan. Ce n’est pas pour rien qu’il a servi de publicité à une célèbre marque d’eau minérale auvergnate.

Je me souviens qu’une fois, nous avions pique-niqué au sommet, au bord du sentier qui ceinture le cratère et que, après les traditionnels sandwiches jambon beurre et rillettes, précédés d’une tomate et d’un œuf dur, et suivis d’un bout de fromage et d’un fruit, j’avais fait à Jeanne la surprise de sortir du sac à dos un réchaud bleuet et une cafetière italienne deux tasses, préparée en cachette le matin. C’est ainsi, après avoir trouvé comment abriter le réchaud du vent du sommet, que nous avions pu siroter, en contemplant le majestueux paysage de la chaîne des Puys autour de nous deux tasses d’un bon café accompagné d’un carré de chocolat. Le pied ! avait dit Jeanne.

Je voudrais bien retenter l’ascension. Ce devrait être encore dans mes cordes. J’ai entendu dire que les propriétaires privés des Puys, inquiets de la trop grande fréquentation et des dégâts qu’elle entraîne, avaient décidé de supprimer des indications d’accès et d’interdire les randonnées de groupes, mais je pense pouvoir retrouver assez facilement le chemin le plus aisé.

Passé Orcines, je gare mon véhicule sur le parking à la sortie du hameau de la Fontaine du Berger, charge mon sac à dos, prends mon bâton de marche, traverse la départementale 941 et pars sur ma droite. Au bout d’un bon kilomètre, je tombe sur une bifurcation : je ne sais plus lequel des deux chemins mène au sommet du puy par le sous-bois, lequel par la rampe et ses escaliers. Les anciennes pancartes ont disparu. Il me semble que pour le sous-bois, plus aisé, il faut prendre à gauche, mais je n’en suis pas certain. Soudain, il me souvient que dans la poche intérieure de mon sac à dos, j’ai fourré les quelques cartes IGN au 1/25000e que je possède, au cas où. Hourra ! Celle de la chaîne des Puys est dedans. Et, de plus, j’avais pris le soin de marquer la route empruntée pour monter au Pariou et redescendre. C’est bien à gauche. Je m’engage allègrement sur le sentier.

Au début, la progression est aisée parce qu’elle suit plus ou moins les courbes de niveau, mais à mi-course elle vire à 90°, tirant droit vers le sommet. Alors, mon souffle se fait plus court, je dois ralentir le rythme de mes pas ; je sais que si je m’arrête, j’aurai beaucoup de mal à repartir. Ma main pèse davantage sur mon bâton. Je ne vais quand même pas caler si près du but ! Des randonneurs qui redescendent au pas de course s’inquiètent pour moi. « À votre âge, ce n’est pas raisonnable de monter seul ! » Je les tranquillise. Ça va aller. Je bois quelques gorgées et croque une barre de céréales au miel, avant de repartir à pas lents. L’acide lactique rend mes jambes lourdes à mouvoir.

Les dernières centaines de mètres sont dures, longues et pénibles. C’est sur des jambes flageolantes que je débouche au sommet avant de m’asseoir pesamment sur la première pierre que je trouve. Mon cœur bat la breloque dans ma poitrine et mes poumons me font mal. Je décharge son sac, le pose en oreiller et m’allonge dans l’herbe. Il faut que je récupère un moment.

Ce soir, je ne monterai pas la tente. Pourvu qu’il y ait une chambre de libre à l’auberge de la Providence ! Avec un nom pareil, ce serait bien le diable... !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, septembre 2017.

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