Chapitre 11

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Mercredi 7 août 1996

Je me suis levé de bonne heure, à mon habitude, un peu courbatu de m’être tourné et retourné sur mon lit Picot. Douché, rasé, vêtu, je m’en vais prendre mon petit déjeuner à l’auberge de la Chaumerette, puis je décide de monter à pied au village, en passant par le Moulin. Un bon quart d’heure de marche. Je serai arrivé à la Villa Manceau pour l’ouverture, ce qui me permettra d’éviter la cohue, habituelle au mois d’août, dans ce petit espace. Vingt-trois années se sont écoulées depuis ma première visite ici, mais le temps semble avoir eu assez peu de prise sur le village. Le gravillonnage des rues a été remplacé par de l’enrobé. On a enterré une partie du réseau électrique, mais pas encore le téléphone ; des peintures ont été refaites, dans différentes tonalités de bleu principalement, des huisseries renouvelées, me semble-t-il, mais c’est tout. Les mêmes toits pentus de tuiles plates brunes ou rouges, les mêmes géraniums zonaux et « rois des balcons » où domine le rose, le lierre et la vigne sur des façades, des entourages de portes et fenêtres en briques. Le village est encore tel qu’en mon souvenir. Ah si, je remarque pas mal de pétunias de toutes les couleurs parmi les potées et jardinières disposées un peu partout. C’est nouveau. L’ensemble est très plaisant.

Me voilà devant la maison de George Sand. Ici, rien n’a changé. L’extérieur est quelconque. Cela m’avait frappé, la première fois. L’auvent au-dessus de la porte d’entrée est toujours là, les sept marches de pierre brute pour y accéder aussi. Tiens, on dirait que les jardinières sur le claustra de briques qui ferme la courette ont été renouvelées. J’entre. L’intérieur est modeste, mais étincelant de propreté. L’intimité mise en scène, dit la publicité. C’est exactement cela. Toujours ce bleu pâle aux murs et sur les huisseries, quelques meubles aux bois sombres dont les vernis brillent et, couvrant l’essentiel de l’espace des deux pièces, des vitrines, des photos, des tableaux sur la Bonne Dame de Nohant et son amant graveur et collectionneur de papillons.

Pour moi, l’intérêt n’est que documentaire. Je m’interroge sur la charge émotionnelle que disent éprouver des visiteurs étrangers au cercle intime de l’écrivaine en contemplant tout cela. Simple projection, à mon avis. Et un peu de voyeurisme aussi. Je relis quelques anecdotes connues, mais oubliées, avant de m’éloigner, non sans avoir signé le livre d’or, dernière concession à ma vanité : « Que la modestie de ce logis soit leçon de vie à qui passe ici croyant découvrir monts et merveilles... »

En me relisant, je me trouve grand donneur de leçons, et scripta manent, comme disaient les Latins, mais il est trop tard. Me voilà parti.

Je décide de flâner dans le village jusqu’à midi pour déjeuner à l’Auberge Hôtel des Artistes, située en plein bourg, avant de redescendre au camping et poursuivre ma route. C’est un ancien hôtel de 1820, aux encadrements de portes et fenêtres de briques rouges, comme bien des maisons de Gargilesse, et dont une vigne vierge orne les deux étages du faux-pignon. Pour vingt francs, on me sert sur la terrasse six escargots de Bourgogne (Jeanne me serinait que c’était beaucoup trop de beurre), une cuisse de canette aux griottes et une part de tarte maison, le tout arrosé d’eau pétillante et un café. Me voilà lesté pour l’après-midi.

Tente pliée, voiture chargée, camping payé, je regarde l’itinéraire que je me suis confectionné avant de partir. Ma prochaine étape va me conduire dans le Puy-de-Dôme, au village de Pontgibaud. Un peu plus de cent cinquante kilomètres, cap sud-est et deux heures et demie de route, si tout va bien.

Je voudrais retourner au petit hôtel qui nous avait accueillis, Jeanne et moi, il y a deux ans, dans des circonstances un peu particulières.

Cette année-là, Pontgibaud était notre point de chute. Pour d’obscures raisons, nous avions décidé de voyager léger et emprunté la canadienne deux places de Paul au lieu de la tente dôme gonflable habituelle. À notre âge, soixante-quinze et soixante-treize respectivement, c’était incongru, mais enfin nous en paraissions dix de moins tous les deux et on se voyait toujours jeunes. Nous avions trouvé un emplacement à nous convenir pour un séjour d’une semaine, mais dès la première nuit, un gros orage s’abattit sur nous et resta fixé là plusieurs heures durant. Je m’empressai de placer deux pommes de terre sur les têtes des piquets de la tente. Hélas, il se mit à pleuvoir si fort que toit et double-toit bientôt se touchèrent et que la tente finit par prendre l’eau, tandis que ses abords se transformaient en marécage. Les éclairs incessants et le tonnerre, répercuté par les montagnes environnantes, rendaient tout sommeil illusoire. Alors, nous entreprîmes de mettre à l’abri literie, vêtements et autres possessions fragiles et nous repliâmes dans la voiture, trempés comme des soupes.

Séchés vaille que vaille, nous terminâmes la nuit sur nos sièges en position couchette, mal couverts par notre seul plaid, sans beaucoup fermer l’œil, maudissant la sotte idée que nous avions eue et jurant, comme le renard de la fable, qu’on ne nous y prendrait plus.

Au matin, nous allâmes nous réchauffer avec un bon petit déjeuner dans un café-restaurant de la place et tâchâmes de trouver une chambre d’hôtel pour le reste de la semaine. Les trois que nous visitâmes affichaient complet. Enfin, on nous adressa à l’auberge du Sancy, située à l’écart du bourg, près de la gare.

L’établissement, au standing modeste, avait gardé son cachet d’après-guerre, décoration incluse. On aurait pu y tourner les scènes d’un film sur la Résistance sans y changer grand-chose. Escalier étroit et chantant, cloisons de bois et tapisseries couvertes de motifs au pochoir, ampoules nues sous leur chapeau d’acier émaillé, appliques tulipe et le reste à l’avenant. La tenancière avait passé les soixante-quinze ans, elle aussi, et continuait tant qu’elle pouvait pour ne pas finir à l’hospice. Mais la mise de la clé sous la porte était proche, nous dit-elle. On l’embêtait trop avec les normes nouvelles.

Il lui restait une chambre, côté jardin, libre pour quatre jours seulement. Nous la prîmes. Le lit était en fer et les draps de lin râpeux. Mais nous y dormîmes comme des bébés, après l’expérience de la veille. Notre hôtesse nous régala de cuisine locale, abondante et savoureuse, le tout à des prix défiant toute concurrence.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, septembre 2017.

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