Chapitre 5

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Croisic Nostalgie

Revenir dans l’appartement sans Jeanne me fait tout bizarre. Partout, son souvenir m’accompagne : en montant le large escalier, aux marches dallées d’ardoise jusqu’au premier étage et moquettées ensuite ; en m’asseyant dans le canapé en cuir taupe, face à la télé ; en mettant deux couverts par habitude sur les sets de la table blanche... J’essuie une larme. Si la vieillesse est un naufrage, la solitude est un esclavage. J’ouvre la porte-fenêtre et sors sur la terrasse : deux pies jacassent sur la cime des chênes verts d’en face. Je les salue, aspire une bonne goulée d’air venu du large et rentre préparer mon repas. Des coquillettes au beurre et une tranche de jambon. Souvenir d’enfance, de ces premières vacances de l’été 36 aussi. Même si le jambon sous cellophane n’a pas le goût de celui d’avant ! Du temps où les cochons avaient sur le dos une couche de lard qui rendait leur chair savoureuse. La nostalgie est bien proche du regret !

Je mange cependant avec appétit, devant mon poste de télévision. Je débouche même une bouteille de Bordeaux, restée dans le rack en polystyrène depuis notre dernier séjour, à Pâques de l’année dernière. Puis je lave ma vaisselle dans l’évier. Je ne vais quand même pas mettre le lave-vaisselle en marche pour si peu ! Je décide ensuite de descendre à pied jusqu’au port – c’est à dix minutes de marche – boire un café ou une bière. Au Skipper, je retrouve notre table et la patronne me reconnaît. En me voyant seul, elle questionne avec précaution :

— Votre dame n’est pas avec vous, monsieur Marchand. Elle n’est pas malade, au moins ?

— Je suis veuf depuis trois mois, vous savez.

Ma Doué benniguet  ! Comment est-ce arrivé ?

— Du jour au lendemain. Une opération de la hanche qui a mal tourné. Septicémie foudroyante.

— Toutes mes condoléances, monsieur Marchand. Ça me fait quelque chose. On s’était habitué à vous. La bière, c’est pour moi, hein, en souvenir.

— Merci.

— Vous gardez l’appartement ?

— Je ne sais pas encore. J’aime bien venir ici, même si tout seul, ce n’est pas pareil.

— Vous restez quelque temps, alors ?

— Pas tout de suite. Là, je fais juste étape dans un petit tour de France que je viens de commencer. Revoir les endroits où nous avons passé des vacances, ma femme et moi.

— Pas en vélo, j’espère ?

— Non ! Avec ma vieille DS.

— Vous croyez que c’est une bonne thérapie, ça, monsieur Marchand ?

— Je ne sais pas. On verra bien. Allez, kénavo. Je viendrai prendre mon petit déjeuner demain matin, avant de partir.

— Entendu, monsieur Marchand. À demain, bonne nuit.

L’étape du lendemain est plus courte que la précédente. Elle me mènera jusqu’au camping municipal de Le Bernard, une petite commune de Vendée, près de Longeville sur Mer. Cela représente un saut dans l’espace de moins de deux cents kilomètres, mais dans le temps, de vingt ans en arrière. Cette année-là, on avait réservé trop tard et les installations du bord de mer étaient complètes. C’était l’année de la grande sécheresse. La France entière avait l’air d’une biscotte ! Et tout le monde recherchait la proximité de l’eau. Le camping était récent et les arbres rachitiques ! La nuit, la température ne descendait pas au-dessous de 25 degrés. On ne s’endormait qu’au petit matin et à dix heures, la chaleur atteignait déjà les trente degrés ! Les gens seraient allés se doucher toutes les demi-heures si un contrôle n’avait été mis en place. L’eau finit par être rationnée ! Le marchand de pains de glace n’arrivait pas à fournir. C’était la course à la canette ! Au bout d’une semaine de ce régime, nous avions renoncé pour descendre dans les Pyrénées !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, septembre 2017.

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