Chapitre 3

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Jeudi 1er août 1996

L’été brûle jusque dans les Côtes-d’Armor. j’ai chargé dans le coffre de ma vieille DS 19 décapotable la dernière tente que Jeanne et moi avons utilisée, l’année de ses soixante ans. Finis les armatures à emboîter et les ressorts qui cassent, la toile à déplier et replier. C’était une tente dôme à arceaux en fibre de verre. Rien à voir avec les premières canadiennes qu’on avait connues. Beaucoup plus facile et rapide à monter ! Et puis, un lit de camp ; à mon âge, coucher sur le dur est devenu trop inconfortable. Mon duvet de toujours, dont la fermeture éclair menace de rendre l’âme. Un minimum de matériel de cuisine, regroupé dans une petite cantine. Et une valise à roulettes contenant quelques vêtements de rechange, des sous-vêtements, des mouchoirs et deux maillots de bain. Tels sont mes bagages.

Le matin du premier août, le ciel est clair et un petit vent d’est rafraîchit l’atmosphère lorsque je prends la route pour Bréhec. Les vacanciers, déjà nombreux, se retournent sur ma DS crème et café, une lubie de Jeanne à l’époque, à laquelle j’avais cédé. C’est devenu un véhicule de collection qu’on m’envie souvent et pour lequel j’ai déjà refusé d’alléchantes propositions.

Avec une automobile de ce style, on pourrait s’attendre à me voir m’arrêter dans des hôtels de standing. À la réception des campings, chaque fois on pense que je viens pour un renseignement et quand je demande un emplacement pour une tente, on me fait répéter par crainte d’avoir mal compris.

Après une petite demi-heure de route, les hauteurs de Plouha apparaissent et bientôt le virage au-dessus duquel nous nous étions installés Jeanne et moi, soixante ans plus tôt. Notre champ est devenu un camping privé : Les Tamaris. Je m’engage sans hésiter dans le chemin d’accès et me gare devant la réception.

Panama en tête, en chemisette à fleurs, bermuda et sandales, je pense avoir encore belle allure, en dépit de mes soixante-dix-sept ans. Je soulève son chapeau en entrant dans le bungalow. L’hôtesse me répond :

— Bonjour, monsieur. C’est pour quoi ?

— Je voudrais un emplacement pour une petite tente, avec vue sur mer, si c’est encore possible, et dans l’idéal, un peu d’ombre.

— Vous demandez beaucoup !

— Le privilège de l’âge, mademoiselle !

— Deux personnes ?

— Hélas, non, mademoiselle ! Je suis veuf.

— Je regarde ce qui me reste.

La jeune femme, après m’avoir dévisagé quelques instants comme un client pas ordinaire, se retourne vers le plan, punaisé au mur, et regarde les épingles de couleur qui parsèment le tracé du camp : vertes pour les tentes, de plus en plus rares ; rouges pour les caravanes, en nombre encore respectable, et bleues pour les mobile homes, de loin les plus abondants, sur les 250 emplacements du camping.

— Vous avez de la chance. Je crois que j’ai ce qu’il vous faut, au pied d’une haie qui vous abritera du soleil de l’après-midi, avec vue sur l’anse effectivement. Elle a été libérée ce matin par des motards.

— Je prends.

Soixante ans ont passé. J’ai un peu de mal à m’y reconnaître. Je n’étais pas revenu ici depuis les années soixante-dix. Certes, les masses du paysage n’ont pas changé, c’est toujours Plouézec à gauche et Plouha, à droite, et le havre, enserré entre les falaises, mais tout un tas de constructions se sont rajoutées, avant l’heureux coup d’arrêt porté par la loi Littoral d’il y a dix ans. Je dois fermer les yeux pour retrouver les images de l’été 36. Comment en serait-il autrement ? Une fois installé, je décide de descendre faire trempette à marée haute, oh, les pieds seulement, ici l’eau est froide et je crains l’hydrocution. Un escalier a été aménagé là où il n’y avait qu’un sentier de chèvres. La descente à la plage est facile.

Mais la remontée est quand même raide ! Je dois utiliser le banc prévu à mi-côte. J’entends mon cœur qui bat fort. Pour au moins deux raisons. Les souvenirs et l’âge ! Ou l’inverse.

Le jour décline. Il va falloir songer à l’intendance. Ce soir, plus besoin de chauffer ma popote au feu de bois comme jadis ; je dînerai d’une demi-pizza et d’une bière, achetées à l’épicerie du camping. C’est plus pratique, mais tellement moins poétique !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, août 2017.

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