JALOUSIE

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LUCAS

- Je présume que vous ne désirerez pas être responsable d'un drame de plus. J'ai la conviction que cinq ans, ont suffit à faire de vous un homme prudent et mûr.

Je déguerpis sans un regard en arrière. Dans cet endroit j'ai l'impression de souffrir et d'étouffer. Qui connaît ma douleur ? Une tragédie de plus. Mais quelle putain de connerie, j'ai envie de hurler. Qui sait ce qu'est réellement un drame ? Personne ne peut imaginer ce que j'ai traversé ! Non, personne ne comprend. Je me dirige vers une des sorties de l'Aurora.

Hanté, je frissonne de dégoût. Mon cœur cogne dans ma poitrine à cent mille à l'heure. Déchiqueté, voilà comment je me sens. Je suffoque dans cette atmosphère feutrée et viciée. Il me faut absolument sortir d'ici. Tant bien que mal, j'atteins les portes avec une nausée qui ne me quitte pas. Je m'adresse à Driss afin que Lewis me ramène.

Sur la route, Paris défile comme un paysage en noir et blanc, mais j'y suis indifférent. Les souvenirs me rongent et me bouffent les tripes, comme de sales petits secrets dégoûtants. En passant la porte de chez moi, accablé et défait par cette soirée merdique, je tombe nez à nez avec Dina. Cette femme de ménage et cuisinière que ma mère a tenu à me refourguer.

Décidément, je n'aime pas du tout cette fille et je me demande pourquoi j'ai accepté ses services. Pour le moment, elle ne m'a donné aucune raison de la virer. La maison écologique de sept cent cinquante-un mètres carré que j'ai imaginée et construite est parfaitement entretenue. Même si je n'aime pas le regard qu'elle porte sur moi, elle reste une employée efficace.

J'aurais préféré avoir une personne beaucoup plus âgée à mon service. Sauf que j'ai hérité d'une fille qui fantasme sur moi dès qu'elle me voit. Elle m'adresse un léger sourire et s'adresse à moi.

- Un problème, Monsieur ? Je ne pensais pas vous voir rentrer si tôt.

Elle va très vite déchanter, car cette soirée m'a vraiment foutu en rogne. J'aposte un sourire méchant et moqueur. Quand elle comprend que je m’apprête à la remettre à sa place, son expression se transforme en pli amer.

- Et depuis quand, je vous tiens informée de mon emploi du temps, mademoiselle Stein ?

Elle baisse la tête et ne répond pas, ce qui attise ma colère. Je suis frustré, furieux et jaloux. Alors, j'en rajoute une couche et me défoule volontairement sur elle.

- Vous êtes devenue sourde et muette ? Je suis votre employeur, mademoiselle, pas votre objet de convoitise.

Je m'approche d'elle davantage, car j'ai besoin de donner libre cours à ma rage. À défaut de le faire sur toutes les personnes qui ont contribué à me pourrir la soirée, je le fais sur elle.

- Je le lis dans vos yeux, mademoiselle Stein, je vous plais. Vous voulez que je vous baise ? Mes goûts risquent de ne pas vous plaire.

Je lui caresse la joue, provocateur. En la fixant, je constate que ses yeux se dilatent. Je me recule et éclate d'un rire noir, puis lui crie avec violence.

- Barrez-vous ! Vous avez compris ? Partez ! Je veux être seul !

Pendant quelques minutes, elle est comme statufiée. Le regard figé de stupeur, elle tremble. Elle finit néanmoins par disparaître aussi vite qu'elle le peut. Je me sers un verre de Scotch pour essayer de faire fuir la sombre tension, qui me ronge.

Mais cette tentative, celle d'atténuer ma nervosité dans l'alcool, est vaine. Car, après avoir vidé mon verre cul-sec, celui-ci finit sa course sur une des baies vitrées du salon. Il explose en mille morceaux et un des éclats est projeté sur mon visage qui arbore, j'en suis sûr, une légère coupure.

- Tu ne peux pas l'avoir celle-là !

Je sursaute de terreur et regarde le vitrage avec attention.

- Ely ! Ma tête déraille.

Je suis fou, complètement fou ! Ely est morte !

- Et oui, c'est moi, dit-elle.

- Ce n'est pas toi ! Tu es morte ! Tu as fui !

- Oui, je le suis et tout ça à cause de toi !

Je secoue la tête de douleur et de regret.

- Non s'il te plaît, Ely, ne dis pas ça !

- Pourquoi ne pouvais-tu pas le dire ? J'ai tellement attendu .....

Son regard triste me brise un peu plus, mais je ne comprends pas ses paroles.

- Te dire quoi, bon sang. Je l'interroge parce que je suis perdu.

- Que tu m'aimais ! Simplement, que tu m'aimais ! Je voulais l'entendre, j’en avais tellement besoin ! Pourquoi ne voulais-tu pas ? Pourquoi, Lucas ?

Ne sachant pas quoi répondre, je reste silencieux. Elle se balade dans la pièce comme si elle était avec moi, alors qu'Ely n'a jamais mis les pieds ici. Elle n'est jamais venue, pas parce que je ne voulais pas, mais parce qu'elle,c'était foutue en l'air avant. Pensive quelques instants, elle caresse ses lèvres du doigt. Comme avant, elle semble réfléchir, puis m'interroge.

- Et elle, tu l'aimes ? Tu as l'air désespéré, tu n'étais pas aussi affligé avec moi.

Je ne comprends pas. Je lève les yeux sur elle avec interrogation.

- Cette femme, Ley, tu l'aimes ? insiste-t-elle pour que je comprenne.

Je repense à Ley carré. Ley qui embrasse, caresse et s’agenouille devant un autre homme. Ley qui le suce, le fait jouir. Ley qui me regarde, les yeux emplis de défis, de provocations. Ley que j’attrape par le bras, que je traine dans les couloirs de l’aurora, que je plaque contre le mur, que je touche, puis que j’embrasse. Ley qui me détruit avec ses rejets. Ley qui s’éloigne de moi.

Bordel, je deviens complètement taré. Je n'ai jamais couru après une femme, même pas après Ely. Alors pourquoi elle ? C'est insensé.

- Tu t'interroges ? Tu as peur ?

Je sursaute et regarde Ely dans les yeux, troublé de parler à une morte.

- Tu ne veux pas me répondre, Lucas ? Tu l'aimes ? m'interroge t'elle, déterminée à recevoir une réponse de ma part.

Je ne peux pas répondre à ça !

- Je n'ai pas la réponse à cette question ! Ely, pardonne-moi, je t'en supplie !

Mes genoux glissent au sol, et alors que je lui demande pardon dans une litanie toxique. Mais il est trop tard. Je pleure comme un enfant. Je relève la tête pour la supplier à nouveaux, mais elle n'est plus là. Je crie son nom.

- Ely ! Ely ! ELYYYYYYYYYYYYYYYY !

Elle n'est plus là, elle m'a encore quitté ! Je me noie dans mon chagrin et mon corps tremble. Ma douleur, mêlée de regrets, me tue presque, mais je peux rien faire. Ma conscience me ramène à Ley, cette ondine aux yeux mystérieux. Est-il possible que je l'aime ? Je ne crois pas. Mais se peut-il qu'être jaloux veut dire être amoureux ?

Je me lève, prends un autre verre et décide que la meilleure option est de me noyer dans l'alcool, à défaut du sexe. De flint-glass en flint-glass, je suis engloutie par une tranquillité alcoolisée. Je finis par sombrer sur la moquette du salon entre le canapé d'angle et la table design.

Drinnnnnnnnng!!!!

- Lucas, ouvre-moi cette putain de porte ! Si tu n'ouvres pas, je te jure que je la défonce!

Dans mon brouillard alcoolique, j'ai l'impression d'entendre Andres. Mes yeux s'ouvrent doucement, et une douleur carabinée fait vibrer mon crâne.

Après le carillon, Andres semble vouloir utiliser les grands moyens, car les coups redoublent d'intensité sur la porte d'entrée. Je réalise alors qu'il va sûrement mettre à exécution sa menace si je ne me décide pas à lui ouvrir. Quelle idée de lui avoir donné mes clefs de portails. Indiscutablement, il ne manquait plus que lui pour venir me faire la morale.

Avec des remous non coordonnés et des vertiges dus à tout le Scotch ingurgité hier, je m'oriente vers la porte afin de lui frayer un passage. À peine ai-je ouvert le vestibule, que je me retrouve littéralement projeté à l'intérieur. Les élancements au niveau de ma tête prennent encore de l'ampleur. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, Andres referme derrière lui, histoire que je ne le jette pas dehors.

Chose que je veux faire avec plaisir. Il me regarde, avec un de ses regards inquisiteurs, qui veut me faire comprendre ce qu'il pense. C'est bien ma veine. Je n'ai pas envie de me confronter à quiconque ce matin. Mais il faut croire que je n'ai pas le choix, puisque Andres va se faire un joie de me prendre la tête.

- Tu peux m'expliquer, avec des mots simples, ce que tu as foutu pour t'afficher avec une gueule pareille ? Putain, Lucas, tu as une gueule à faire peur.

Je souffle de dépit en sachant qu'il ne va pas me laisser tranquille. Bien sûr, il va falloir que je lui fournisse une logorrhée digne d'un grand conférencier pour que Monsieur Blanc me fiche la paix.

- Je te remercie du compliment, Andres, ta franchise me va droit au cœur. Il faut dire que ta bonté d'âme est très agréable en cette belle matinée.

Mon ironie n'a pas l'air de lui plaire. Or, pour l'instant, je n'ai pas trouvé d'autre alternative au sermon bien-pensant, qu'Andres ne va pas tarder à me servir.

- Tu dois oublier cette fille, Lucas

Voilà, nous y sommes. Le même discours depuis des semaines, il pourrait changer de disque de temps en temps. Sauf qu'il n'a pas l'air de blaguer. Dans ses yeux, je peux lire une certaine inquiétude et aussi une colère difficilement contenue. Or, je me fiche de cet avertissement et de cette recommandation, à mon sens complètement foireuse.

- Ah oui, et depuis quand suis-je censé faire ce que tu dis ? Comme c'est drôle. Il me semble que tu n'as jamais réussi à faire foi de ton propre conseil en oubliant une certaine personne, Andres !

Les éclairs pleins les yeux, il a l'air de vouloir exploser de rage.

- C'est petit de ta part, Lucas !

- Et pourquoi donc ? Je ne comprends pas en quoi mes paroles sont un problème pour toi ? Ai-je menti ?

- Hier soir, tu as agis comme un gros connard jaloux. Le pire, c’est que tu le tourne à l'ironie. Tu n'es qu'un malade. Tu veux faire de Vénus ton ennemie ? Permets-moi de te dire que tout ceci n'a vraiment rien d'une plaisanterie !

- Moi jaloux, n'importe quoi. Ce n'est pas moi qui aie explosé de rage en croyant que l'amour de ma vie me trompait avec mon frère.

- Ta gueule, Lucas !

- Quoi ? La vérité blesse.

- Tu ne connais rien.

- Je le sais mieux que personne ! Non ? Au moins, contrairement à Ely, Amélia est vivante et t'aime toujours.

À peine ai-je dit ces mots que je reçois le poing d'Andres sur la pommette. Cependant, Scotch ou pas, je riposte par un crochet du droit. Nous nous regardons quelques instants avec défiance, puis nous éclatons tous les deux de rire et nous affalons sur le canapé d'angle. Je décide de reprendre la parole en premier.

- Écoute quidam, tu es mon meilleur ami, je comprends ton inquiétude, mais crois moi, je n'ai jamais voulu une femme autant que celle-là. C'est étrange, je suis moi-même perdu. Le silence s'éternise un peu, puis Andres ose me poser une question assez réaliste.

- Ne penses-tu pas que c'est parce qu'elle ne te cède pas que tu la désires autant ?

Je réfléchis quelques minutes et quand je tiens ma réponse, j'en suis très étonné.

- Si ce n'étais que cela, je peux te dire que j'aurais déjà abandonné après ce qu'il y a eu hier soir.

- Ah bon ? Qu'est-ce, dans ce cas ?

- Pour être totalement franc, je n'en ai pas la moindre idée.

- Tu es sûr d'aller bien ? C'est la première fois que je te vois comme ça.

- Comment ?

- Comment ?

- Désespéré.

Je ris jaune.

- Écoute, je ne vois pas en elle que sa beauté. Certes, inutile de mentir, elle est tout simplement magnifique, mais ce n'est pas la seule chose qui m'attire chez elle. Ses yeux à eux seuls sont d'une couleur si particulière qu'elle hypnotiserait n'importe qui, mais je vois plus loin que la femme qu'elle représente.

Andres lève les yeux au ciel.

- Quoi donc ?

- Cette femme est un appel au péché, je ne vais pas nier. Je suis certain que derrière tout cela, il y a plus. Je ne sais pas pourquoi, mais elle me touche. Elle est forte et me repousse, sauf qu'au-delà de tout cela, cette femme a souffert, Andres, d'une manière que toi et moi sommes loin d'imaginer. Je le jure, je l'ai lu dans son désespoir. Merde !

- Donc, tu l'aimes ?

- Comment ?

- L'aimes-tu, Lucas ?

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