PRÉDATEUR

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LEY

Depuis plus d'une heure, je gamberge. Je devrais être déjà prête pour le donjon Star, mais je suis en plein faux-fuyant. Encore en lingerie fine, assise sur un sofa Rayne de velours bleu roi, je contemple la robe noire haute couture signée Vera Gaultier étendue sur mon lit à baldaquin. Seul un lampadaire rétro Hudson en métal doré éclaire ma chambre. Les rideaux ouverts laissent les parois translucides refléter le Paris des noctambules.

Je tente de relâcher la sensation d'oppression que je ressens depuis ce début de journée, mais je n'y parviens pas. Ces derniers jours V n'a pas cessé de me prendre la tête pour que je me repose. Sauf que j'ai ignoré ses inquiétudes, ses incertitudes et ses avertissements. Quarante Huit heures après ma crise d'angoisse, je rejoignais mon bureau afin de préparer cette soirée.

Pour la première fois depuis très longtemps, je suis excitée à l'idée d'une session dans un donjon. Enfin exaltée ou angoissée, je ne le sais pas encore. Je reste donc face à ma robe, attendant je ne sais quoi. Alors que je suis perdue dans mes réflexions, trois coups sont frappés ma porte. Cette habitude que tout le monde a d'envahir mon sanctuaire m'importune profondément.

J'entreprends d'adopter une attitude nonchalante et invite mon visiteur à entrer.

Sorel pousse la porte, lève les yeux sur moi et promène un œil appréciateur sur mon corps. Finalement, ce n'est pas un visiteur indésirable. J'encourage son regard évaluateur et aiguillonne son désir en fixant mes prunelles dans les siennes, attendant qu'il parle. Il a un mouvement de langue qui électrisent n'importe quelle femme, sauf que je ne suis pas n'importe laquelle. Je suis Ley Carré, celle que l'apparat masculin laisse de marbre.

Il faut dire que mes motivations de participer à cette nuit de débauche ne sont pas très nobles. Sensible au conseil de Vénus qui agit sur moi comme une vil tentation diabolique, j'attire Sorel vers une clarté sinistre. Car n'étant pas prête à affronter à mes véritables sentiments, et désirs, je fuis un homme, pour me servir d'un autre. Certes, il n'y a rien de plus malsain que cela, mais pour l'heure, je manie tel un génie fou l'art de la manipulation. Et c'est sans le moindre scrupule que je me dirige vers cette issue de commodité. Faire de Sorel une solution de facilité, un être interchangeable, un vulgaire pion.

Je décide narquoisement de lui demander les raisons de sa venue, même si je les connais parfaitement.

- Que puis-je faire pour toi ? Tu désires quelque chose ?

- Rien, simplement vous préciser que tout le monde est pratiquement arrivé et qu'il ne manque plus que vous. En outre, V m'a envoyé vous chercher.

Il me parle, mais je remarque qu'il persiste à lorgner ouvertement mon corps, comme s'il prévoyait de me prendre. J'ai eu raison de demander à V de me l'envoyer. Un rictus point sur mes lèvres et je me permets de lui lancer une pique mesquine.

J'initie une attitude encore plus provocante puis lui demande d'une voix des plus sensuelle.

- Ce que tu vois te plaît ?

Il déglutit avec difficulté, et je me divertis de la lueur perverse qui traverse ses yeux bruns.

Je dois dire que Sorel est un très bel homme, le mélange de ses deux origines, asiatique et française, font de lui une beauté sombre et très atypique. Il est particulièrment tordu, comme en témoigne les nombreux jouets sexuels et meubles qu'il fabrique avec soin.

Si l'Aurora est ce qu'il est, c'est parce que Sorel est ce qu'il est. Il est toujours à la hauteur, même des commandes les plus extravagantes. Rien ne semble lui faire peur. Il rajoute toujours des détails de son cru, ce qui ont le don de faire s'extasier nos élus les plus exigeants.

Il ne se contente pas d'ajouter un meuble ou un jouet. Non, Sorel a le don de créer chaque mois de nouvelles salles de jeux aussi luxueuses qu'improbables. Et lorsque je pénètre dans un des donjons ou une des chambres privatives, j'ai la sensation d'y venir toujours pour la première fois.

Il aurait pu devenir un formidable amant, mais sous ses sourires quasi-permanents, je vois une douleur beaucoup trop identique à la mienne. Il n'est pas pour moi. Mais cette nuit, je vais prendre du plaisir avec lui à défaut de trouver quelqu'un d'autre.

- Alors ? dis-je, espérant qu'il réponde.

Il me dévisage carrément et se décide enfin à m'apporter une réponse.

- Je n'ai pas besoin de vous dire que vous êtes le fantasme de beaucoup d'hommes, Ley. Vous le savez.

Il ne baisse pas les yeux et poursuit.

- Il se chuchote que vous êtes impossible à attraper...

- Impossible ? J'affiche un rictus moqueur.

- C'est une légende ? me demande t'il.

J'éclate d'un rire sombre. Et rétorque aussitôt.

- Et vous, Sorel ? Pensez-vous que je sois un mythe impossible à atteindre ?

Il hausse un sourcil, et ne semble pas me répondre volontairement.

- Nous devrions descendre, V s'attend à votre présence.

Je ne relève pas le fait qu'il élude la question mais répond tout de même en balançant une petite bombe.

- Vous pourriez m'avoir, si vous le souhaitiez. Ses iris se font alors nettement plus sombres.

- Ne me tentez pas avec de fausses promesses.

- Que voulez-vous insinuer, Sorel ? Ayant entendu les bruits de couloir, vous savez sans doute que je ne fais jamais de faux engagements.

Il me dévisage davantage.

- Ce soir, je suis à vous.

Je ne prends pas la peine d'observer sa réaction. Je m'approche du lit d'une démarche féline puis enfile ma robe alors que les mains de Sorel ne referment la fermeture éclair.

Il imprime son toucher au creux de mon dos alors qu'il remonte la fermeture, ce que je juge totalement suggestif de sa part. Sauf que je ne ressens pas ces frissons que m’ont procuré les bras de Lucas Lambert. Ceux auxquelles je m'efforçai de résister.

Agacée que mes pensées dérive de la sorte, je mordille mes lèvres. Je reviens à l'instant présent et me retourne sur un Sorel aiguisé par la proposition que je viens de lui faire. Même si sa bouche reste close, ses yeux brillent d'une lueur sombre et perverse. Ce qui m'indique clairement qu'il serait plus que ravie de me prendre.

Moqueuse, je lui adresse un sourire canaille auquel il répond de la même façon. Alors que je m'investis dans ce jeu de séduction, je me rappelle pourquoi je ne veux pas prendre part à cette séance seule. Ne connaissant pas le nom de l’invité mystère, les mots de V m’ont travaillée durant tout la période précédant cette soirée.

"J'ai reçu cette demande spéciale trois semaines plus tôt, Ley. Une certaine personne va être vraiment ravie de te revoir."

Je n'aime pas particulièrement les surprises. Or, grâce à ses paroles énigmatiques, elle a réussi à me faire me creuser les méninges. Sorel m'offre son bras et, sans avoir échangé un mot, nous sortons de mon appartement.

Sa présence est réconfortante, même si je donne toujours l'image d'une femme forte et indépendante. Nous nous dirigeons vers l'un des ascenseurs privatifs pour nous rendre au premier étage. Mais lorsque nous nous retrouvons à la porte du donjon, mon regard croise celui de Séréna, qui pour une raison inconnue me fait serrer les poings.

Je ne suis pas jalouse, du moins c'est ce dont j'essaye de me convaincre. Une brûlure semble pourtant me ravager. Putain de bordel, j'ai l'air pathétique. Pourquoi penser à lui et cette femme ? Je tente de chasser l'image de Lucas criant mon prénom trois fois et de sa semence dégoulinant du cul de Séréna, mais mon corps se tend tel un arc.

Cette nuit, je veux enfin baiser, et c'est Sorel que j'ai choisi. Cette soirée qui va permettre d'être à nouveau un objet de plaisir, c'est cette nuit également que j'ai voulu. Pas question d'inviter à Lucas Lambert dans ma tête pour qu'il... Ce soir marquera le début de mon retour aux charmes de notre monde.

V a raison, je ne peux pas continuer à penser au passé. Bien que Sorel n'est pas précisément ce que j'espère, il sera le début. Je sais précisément ce je veux, et je ne suis certainement pas prête pour Lucas Lambert. Attirant certes, mais bien trop dangereux pour mon équilibre. Ayant senti ma crispation, Sorel caresse mon bras, se rapproche de mon oreille et me demande.

- Quelque chose ne va pas ?

- Non, tout va parfaitement bien.

Pressée de passer à autre chose, je refuse de m'attarder sur le sentiment d'embarras qui m'étreint le cœur.

Pourquoi suis-je ainsi ?

Je n'en sais rien, mais ne voulant pas me retarder, je me redresse, m'accroche au bras de Sorel et décide enfin de faire mon entrée. Nous franchissons enfin les portes du donjon Star. La fierté m'envahit davantage en voyant que nous sommes une fois de plus à la hauteur de notre réputation.

La création de Sorel me subjugue complètement. Les alcôves individuelles sont aménagées telles des Glory holes chics. À la fois intimiste, mais toujours tournées vers la balançoire, objet du futur spectacle de Yaan Blanchard et de sa nouvelle soumise. L'ambiance est feutrée, sensuelle et glamour. Tout est de bon goût, sans une once de vulgarité malgré la tension sexuelle palpable de plusieurs élus déjà installés.

Les effluves onéreux des convives se mêlent à l'arôme du champagne millésimé servi. Une légère pression s'enracine entre mes cuisses me poussant involontairement à me coller contre Sorel qui, lui, semble durcir. J'ai soif de sexe, j'ai besoin de ça pour combler des années de disette. Alors que je m'installe dans un des renfoncements réservés à notre intention, je vois V se faisant passer pour n'importe quelle élue.

Elle aussi est très bien installée dans ce climat dispendieux. Quand certains disent que la meilleure cachette du monde, se situe dans l'ordinaire, ils ont parfaitement raison. Car, dans un milieu si banal pour notre monde, personne ne devinerait que celle qui caresse le sexe de Triss n'est autre que Dame Vénus, la grande patronne. Je parcours la salle des yeux, quand la musique de fond change de registre et annonce l’arrivée de nos invités de marque.

Trahison !

Je me stoppe net.

Yaan Blanchard, Andres Blanc, Casey Mercier et Lucas Lambert s'avancent accompagnent une jeune femme brune aussi magnifique qu'une illusion fantasque. Je tourne mon regard sur V, furieuse d'avoir été abusée, mais celle-ci me regarde dans les yeux sans arrêter de toucher Triss. Elle me lance un regard de défi, qui semble me demander ce que je compte faire.

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