CLV. Je t’aimais, je t’aime, je t’aimerai

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CLV. Je t’aimais, je t’aime, je t’aimerai*

Le soir était tombé sur l’océan comme un édredon de nuit. Le ciel était d’un noir d’encre, les étoiles brillaient telles des étincelles. Louka était comme étranglé. Il avait les yeux sombres, le sourire éteint, le verbe triste, les mains froides. Comme s’il était sonné…

Pourtant, la soirée qui suivit fut infiniment douce. Nous étions rentrés au riad : je n'avais aucune envie de manger dehors et Louka était beaucoup trop fragile pour affronter la ville. Aussi fîmes-nous appel au room service, couscous poulet et pastilla : un vrai festin ! Nous dinâmes aux chandelles, assis tous les deux en tailleur sur le lit, et si je n’avais pas été en jean et en baskets, je me serais crue dans les mille et une nuits… Mon Aladin avait un peu mauvaise mine, mais pour rien au monde je n’aurais voulu être avec quelqu’un d’autre.

A défaut de lampe merveilleuse, je lui offris autre chose. Un cadeau, ou plutôt deux, que j’emballai grossièrement dans une taie d’oreiller rouge et or “empruntée” dans le placard de l’hôtel et que je brandis son son nez, très fière de mon petit mystère, à la fin du repas. Il tendit la main, ouvrit mon ersatz de paquet... Et en extirpa, l’oeil en vrille, ses deux petites surprises : d’abord mon pull, the pull, celui avec les rennes qui font du ski sous leurs bonnets verts, puis un briquet noir. Louka me sourit alors comme un feu d’artifice.

« - Non mais je rêve ! Tu es partie sur un coup de tête, avec à peine un sac à dos, et malgré la colère et la précipitation, tu as pensé à emporter cet horrible pull ?

- Eh ! D’abord, il n’est pas si horrible. Ensuite, j’y tiens beaucoup. Je n’allais pas le laisser…

- …

- Tu m’as fait jurer de le brûler, tu te souviens ?

- Oui. Mais je ne pensais pas que tu serais prête à le faire.

- ...

- Et puis… C’est un souvenir de ta maman ?

- Je sais... Mais peut-être que moi aussi, je dois la laisser partir, maintenant.

- …

- Louka, je ne sais pas ce que tu as fait hier soir, ni par quel miracle tu as décidé de revenir auprès de moi… Mais je sais que c’est un pas immense ! Alors voilà. Je voulais marquer le coup… Et te faire sourire, au passage.

- C’est réussi !

- …

- Hier soir, j’ai juste marché dans la ville. J’ai fait le tour des remparts, jusqu’à la pointe de la médina… Je voyais, à ma droite, le cimetière où repose Papa dans un silence infini… À ma gauche, la vieille ville avec toutes les lumières de la vie. Et devant, l’océan, tout noir avec juste quelques feux de balisage… Je suis resté là pendant des heures, sans même m’en rendre compte ! Comme si tout cela battait dans mon cœur, coulait dans les veines.

- C’est exactement ça, Louka. Ton père, le Maroc, et la mer : voilà d’où tu viens. Maintenant, il faut que tu écrives qui tu es, qui tu veux être.

- Et tu crois vraiment que je peux y arriver ? Et laisser Papa mourir, as you once said.

- Oui, Louka. Et où qu’il soit, je sais qu’il est fier de toi.

- …

- Hey… Ça va ?

- Oui. C’est juste que… C’est drôle que tu me dises ça.

- Pourquoi ?

- C’est la dernière chose qu’il m’ait dite. Enfin, qu’il m’ait écrite.

- Vraiment ?

- Oui. D’ailleurs…

- D’ailleurs, what ?

- Eh bien, je crois que si tu es prête à sacrifier ton pull fétiche, il faut que moi aussi, j’aille jusqu’au bout.

- Au bout de quoi ?

(Il se leva pour prendre son portefeuille, dont il extirpa une vieille enveloppe pliée en deux)

- Tiens.

- Oh… C’est sa lettre ?

- Oui.

- Tu la trimballes dans ton portefeuille depuis tout ce temps ?

- Oui.

- Tu ferais mieux de la ranger ailleurs. Elle a l’air prête à tomber en miettes ! Et puis, elle pèse trop lourd pour que tu la portes tout le temps sur toi.

- …

- Tu aimerais que je la lise, Louka ?

- Oui.

- Alors d’accord. Je la lirai. Demain.

- Ah ?

- Oui. Là, maintenant, tout de suite, j’ai plutôt envie que tu me prennes dans tes bras. »

Il mit la lettre tout doucement sur mon sac à main, lui-même posé sur le fauteuil, sous la fenêtre. Puis il revint vers moi, s’allongea sur le lit et se colla à moi pour me serrer fort, très fort, dans la chaleur de son corps. Je sentis d’abord son cœur battre comme un sourd contre ma poitrine, puis son souffle s’abattre sur mes lèvres, puis son désir s’ébattre sous ma hanche. Il m’embrassa, me déshabilla, me caressa, me pénétra avec une intensité presque viscérale.

Cela faisait des semaines qu’il ne m’avait pas fait l’amour comme ça ! Il était ferme et doux, il était irrésistiblement bon, sa peau était chaude et moite et la nuit semblait frissonner tout autant que nous. Le plaisir nous coupa le souffle comme on allume la lumière, puis Louka s’effondra sur moi, il resta en moi, tout collé contre moi, sa tête reposait dans le creux de mon cou et sa main s’accrochait à mon sein.

Il faisait affreusement chaud, nous étions trempés, soudés, noyés. Il somnolait gentiment, mes doigts reposaient sur son dos, il me tenait chaud comme une bouilloire ou un couscoussier et pourtant, je n’avais nulle envie de bouger.

Ce n’était pas la première fois que je réussissais à ce que Louka entrouvre sa coquille ; mais c’était la première fois que j’avais la sensation bizarre d’avoir pénétré vraiment à l’intérieur ! Et ce soir-là, bien à l’abri dans le noir de la nuit marocaine, je lui murmurai quelque chose que je retenais en moi depuis bien longtemps : « Je t’aime, Louka. »

Il ne répondit rien. Mais il me serra contre lui, de plus en plus fort, sans plus me lâcher de la nuit. J’eus une pensée émue, reconnaissante, pour la “psychologie à deux balles” de Malika et le fait que Louka, depuis toujours, avait vu partir ceux qu’il avait aimés… Son geste était une réponse… Peut-être la seule qu’il puisse me donner, à ce moment-là. Alors au lieu de me vexer, je l’embrassai sur le front, caressai longuement son dos, et m’endormis dans la chaleur de son étreinte.

Le lendemain, Louka se réveilla avec les bras tout ankylosés.

*Je t'aimais, je t'aime, je t'aimerai, de Francis Cabrel ; in Samedi soir sur la Terre, 1994.

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