CXXXIV. Le tourbillon

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CXXXIV. Le tourbillon*


Louka, sans l’ombre d’un doute, était un enfant du Sud. Malgré sa géographie indéfinie, complexe, mouvante voire émouvante, sa peau sentait le soleil berçant le maquis dans les langueurs de la mi-journée et ses yeux n’étaient jamais aussi clairs, aussi intenses, que lorsqu’il contemplait la mer et ses rayons d’azur noyés dans l’infini. Pour lui, chez lui, l’été était la seule saison qui vaille et aurait pu durer toujours, dans une sorte d’uniformité rassurante.

À l’inverse, je viens d’un pays où les saisons s’enchaînent et même parfois se déchaînent, arborant leurs saveurs et leurs couleurs comme autant de renouveaux incessants. Chez moi, l’hiver est blanc, le printemps est vert, l’été est bleu et l’automne est rouge comme un cycle éternel. À chaque étape, la nature change, les paysages se transcendent et se transforment et les quatre saisons rythment la vie comme la mort de toutes choses. Dans le Wyoming, la nature tourne autour de vous sans jamais s’arrêter.

J’étais ravie de faire découvrir à Louka une nouvelle facette de notre pays natal. Car finalement, il n’en connaissait pas grand chose. Né à Los Angeles, il ne gardait évidemment aucun souvenir de ses premiers mois là-bas. Plus tard, il avait essentiellement fréquenté New York, où il se plaisait à passer quelques jours mais dont l’éternelle effervescence le lassait rapidement ! En fait, Louka n’aimait pas beaucoup les Etats-Unis, parce qu’ils étaient toujours liés, dans son esprit, à l’ombre de Natalia.

Alors évidemment, en l’emmenant dans le Wyoming en plein mois de décembre, entre la prévenance chaleureuse de mon père et l’infini glacé de nos montagnes, j’avais presque pris un risque ! Risque mesuré, car je savais que l’immensité de la nature ne pourrait que lui taper dans l’œil, mais risque quand même... Auquel l’intéressé faisait face avec entrain, malgré le froid et le jetlag, armé de pulls géants et de tisanes à la cannelle.


Louka s’acclimata très facilement à l'une de nos traditions : la sieste. Après tout, il fallait bien se réchauffer ! C’est ainsi que le 25 décembre, après le déjeuner familial, nous rejoignîmes ma chambre main dans la main. Je souris bêtement au décor de mon enfance : je me sentais comme une gamine s’apprêtant à faire une bêtise… Bien jolie, la bêtise, soit dit en passant, avec dans les yeux une incandescence aussi canaille qu’innocente qui me donnait très envie de l’explorer de A à Z.

Ce que je fis sans hésiter, une fois que j’eus réussi à ôter le t-shirt et les deux pulls sous lesquels Louka s’était calfeutré. Non sans peine, d’ailleurs : car dans la précipitation et compte-tenu de ma maladresse chronique, je manquai de lui arracher un bras en ôtant la première couche et je faillis l’asphyxier en m'emmêlant les pinceaux dans la seconde. Il me vint en aide dans un fou rire et je m’empressai de l’embrasser pour le punir de se moquer de moi.

Il entreprit alors de me parcourir des lèvres tandis que ses mains, bien plus habiles que les miennes, me débarrassaient petit à petit de mes vêtements. Je sentais sa chaleur passer en moi comme des ondes ou des vagues, mon corps répondait à chacune de ses caresses comme le désert attendant la pluie dans le miracle d’un petit matin. Mes reins avaient toujours plus faim de sa peau, de sa langue, de sa chaleur, de son envie de moi comme de mon envie de lui.

Petit à petit, je le grignotai à mon tour : son cou, son torse, son ventre, son sexe, sa bouche… Il était doux et ferme, je papillonnais de tatouages en cicatrices comme un explorateur affamé et il gigotait sous mes assauts comme une anguille toute guillerette. Sa peau était fraîche et salée sous mes lèvres et je me régalais de chaque nouveau baiser.

Ma langue s’attarda à dessein autour de son cœur, sur cette entaille presque pyrogravée qui le cernait désormais comme une vieille histoire qu’on ne raconte plus. Je m’étais habituée à elle, au point d’aimer sentir ses aspérités sous mes doigts pour ne pas oublier ce qui avait failli se passer, par une nuit de tempête, dans les mers du Sud.

Louka s’y était fait, lui aussi, et n’avait plus aucune velléité de dissimulation… Tout au plus frissonnait-il un peu plus fort lorsque je m’attardais trop longtemps à cet endroit-là. Sa balafre n’était pas jolie, même si elle devenait moins enflée et moins rouge au fil du temps qui faisait son œuvre ; Louka la trouvait même franchement hideuse ! Mais après tout, il était si beau partout ailleurs qu’un peu d’imperfection, de vulnérabilité, était presque bienvenu, selon moi.

Ce jour-là, dans le feu de l’action, sa cicatrice palpita comme si elle était vivante. Et quand la jouissance me cueillit au vol, au rythme de nos coups de reins si bruts et si doux à la fois, j’appuyai mes lèvres tout contre son cœur qui battait à toutes berzingues jusqu’à ce qu’il me donne son plaisir à son tour. Ce qu’il fit peu après, en gémissant doucement tout en m’embrassant dans le cou.


Nous restâmes ainsi haletants, trempés de sueur, imbriqués l’un dans l’autre comme si nos deux corps n’en faisaient qu’un. Je lui caressai la nuque, il avait la peau humide et douce, je lui murmurai dans le silence : “C’était bon... “

Il me répondit quelques secondes plus tard, sa voix était timide, mais ferme et grave comme une vérité qui ne triche plus : “Oui… C’est toujours bon, Romy. Better as it’s ever been. C’est presque un miracle, de pouvoir faire l’amour comme ça.”

Alors je l’embrassai, fort et longtemps, et nous repartîmes pour un tour qui fut tout aussi intense que le premier.



*Le tourbillon, de Jeanne Moreau ; in Jules et Jim, de François Truffaut, 1962.

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