CXVII. Elle préfère l’amour en mer

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CXVII. Elle préfère l’amour en mer*



Romy et Louka étaient sur un bateau. Mais personne ne tomba à l’eau ! Même pas moi, contre toute attente. Ceci étant dit, l’honnêteté m’oblige à écrire la vérité : pendant les 36 premières heures, je passai mon temps à… vomir. J’étais terrassée par le mal de mer, auquel s’ajoutait la sensation déplaisante de gâcher assez fortement une situation qui aurait pu, qui aurait dû, être parfaitement idyllique. J’avais mal au cœur, mal à la tête, une ruche de guêpes hyperactives s’agitaient entre mes tempes et je ne pouvais pas me lever sans perdre l’équilibre. L’enfer !

Dehors, il faisait un temps superbe, Eole soufflait dans les voiles, la mer ondulait un peu sous la coque mais sans aucune méchanceté… Louka était merveilleusement dans son élément. Il absorbait le vent, le sel, le soleil, par tous les pores de sa peau et dévorait le ciel et la Corse de toute la force de son regard. Il était détendu comme jamais, et si je n’avais pas été cantonnée dans la cabine pour cause de mal de mer, je n’en aurais pas perdu une miette !

Nous longeâmes la côte jusqu’au Capu di Muru, que nous doublâmes après avoir salué chapelle et tour génoise. Louka mit ensuite le cap sur Porto Pollo, où nous arrivâmes de nuit : il manoeuvra sous les étoiles et nous mouillâmes face à la plage, à l’abri du vent d’Ouest, à côté d’un autre voilier plus petit.

Du moins, c’est ce qu’il m’expliqua quand il vint me rejoindre dans la cabine : car je n’avais rien vu de tout ça, cantonnée au lit comme je l’étais. Il me donna un peu d’eau, me força presque à avaler une banane (non sans m’expliquer ce charmant adage maritime selon lequel, en cas de mal de mer, c'est le seul aliment qui a le même goût à l’aller… et au retour), me passa de l’eau sur le visage et sur la poitrine, tout gentiment, puis il s’allongea près de moi et s’endormit.


Le lendemain matin, je me sentais beaucoup mieux. Je pus avaler un peu de pain et de thé sous l'œil approbateur du capitaine. Puis je mis le nez dehors, et découvris une plage de sable blanc bordée d’eau turquoise, qui me tendait les bras à quelques encablures de nous. Le jour était encore timide, les touristes étaient rares, la Corse s'étirait dans la langueur estivale. Je regardais cela de tous mes yeux lorsque Louka me rejoignit et, passant ses bras autour de moi, me demanda si je me sentais suffisamment d’aplomb pour me baigner.

Cinq minutes plus tard, nous nagions tous les deux autour du bateau. Nous étions seuls au monde ou presque, l’eau était calme et délicieuse. Louka posait sur la Corse ses beaux yeux verts que la lumière rendait joliment clairs. Il resta d’abord près de moi puis, lorsque je remontai sur le pont pour me sécher, il s’éloigna pour nager un moment. J’en profitai pour m’installer au soleil, sous la bôme, avec un pare-battage en guise d’oreiller. Et je m’assoupis.

Lorsque je m’éveillai, le soleil était haut, l’air était chaud, Louka était allongé à mon côté, il dormait sur le flanc, sa joue reposait sur son bras et sa main sur ma hanche. Il souriait comme un enfant, et je ne me privai pas de l’admirer dans son sommeil, m’appliquant à rester immobile pour ne surtout pas le réveiller tandis que la mer nous berçait comme un fragile fétu de paille. Ma nausée avait disparu et j’avais une faim de loup !

Plus tard, nous étions assis face à face dans le cockpit, partageant un pique-nique à l’ombre bienveillante d’une toile tendue au-dessus de nous (un taud, comme me l’apprit Louka). Nous ne parlions pas beaucoup, chacun perdu dans ses pensées, occupé à observer la mer, la terre, le bleu. Une fois rassasiés, Louka me demanda d’une voix un peu inquiète si je me sentais suffisamment bien pour continuer, ou si je préférais qu’il me débarque sur le plancher des vaches, à Propriano par exemple, puisque nous étions tout près. Je lui fis un sourire immense, lui dis qu’il ne se débarrasserait pas de moi comme ça, lui attrapai la main et l’entraînai dans la cabine en lui disant que j’avais bien envie d’un dessert ! Il ne se fit pas prier et me fit l’amour tout doucement, comme si j’étais encore fragile.


C’est ainsi que je découvris la voile sous un autre jour… Car pendant le reste de la semaine, nous adoptâmes un rythme de croisière proche de la perfection. Parfois nous filions sur l’eau dans le souffle du vent, parfois nous restions au mouillage dans quelque crique accueillante. Selon mes envies, j’aidais ou non Louka pour régler les voiles, tenir la barre, bricoler ceci ou cela. Mais j’avais aussi de longues heures pour lire, bronzer, me reposer… Nous n’avions pas d’autres occupations que bavarder, manger, dormir, naviguer, nager, observer, faire l’amour. Bon, et aussi parfois, quand on s’arrêtait dans un endroit propice, porter les poubelles ou faire quelques courses : moins glamour, mais indispensable !

Le soir, Louka et moi faisions joyeusement trempette dans le soleil couchant. La mer était douce, presque autant que sa peau… Il nageait longtemps, moi pas, alors j’en profitais souvent pour lire ou mettre la table. Puis nous partagions l’apéritif sur le pont, lonzu et Pietra pour lui, fromage de brebis et Colomba pour moi. Avant de dîner tous les deux : parfois, Louka nous cuisinait de vrais repas pleins de soleil et d’Italie, parfois nous nous contentions d’un pique-nique ou d’une salade.

Au fil des jours, nous vîmes la plage d’Argent et celle de Roccapina, doublâmes Figari et le Capu di Fenu, admirâmes les falaises de Bonifacio qui, vues de la mer, étaient encore plus grandioses que vues d’en haut ! Nous traversâmes ensuite vers les Lavezzi où nous passâmes une nuit avant de continuer vers les îles sardes. Les paysages étaient plus magnifiques les uns que les autres, Louka connaissait tout cela par cœur et naviguait (presque) les yeux fermés en se repérant très facilement.

La Corse comme la Sardaigne se faisaient blondes et rondes sous son regard amoureux. Amoureux, oui, je crois que c’est le terme le plus approprié pour qualifier ce vert plein de lumière qui brillait dans ses yeux lorsqu’il admirait, toujours en silence, les nuances de bleu dont se teintait la mer ou celles de blanc et d’or qui éclaboussaient la terre comme autant d’éclats de lune ou de soleil… Chaque jour, la nature se faisait féerique et semblait nous bercer dans sa main comme deux poussières d’étoiles.


Mais l’heure était bientôt venue pour moi de rentrer voir mon père et mon pays : j’allais troquer la Méditerranée contre mes chères montagnes.

Nous mîmes donc le cap sur Porto-Vecchio. C’était là que je devais débarquer et que Louka allait récupérer son éternel coéquipier : Pietro qui, à peine arrivé en Corse, avait déposé femme et enfant à Cargèse avant de reprendre la route pour mettre le cap au Sud.



*Elle préfère l'amour en mer, de Philippe Lavil ; in Nonchalances, 1985.

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