CXV. Mes mains sur tes hanches

6 minutes de lecture

CXV. Mes mains sur tes hanches*


J’avais tout faux : non seulement Louka avait sérieusement réfléchi à ses vacances, mais en plus, il ne lui fallut pas plus de deux secondes pour me proposer de venir avec lui. Au menu : trois jours à Cargèse, deux semaines de voile, puis quatre jours à Rome avec Mila. Je pouvais accompagner Louka jusqu’à mi-parcours : ensuite, je m’envolerais pour le Wyoming tandis qu’il récupérerait à son bord son équipier préféré, historique, indéboulonnable : Pietro.

C’est ainsi que je me retrouvai une nouvelle fois dans la maison et dans les bras de Chiara Battisti. Elle semblait en pleine forme, elle était gaie et volubile, elle taquinait Louka sans y penser, tantôt en français, souvent en italien. Et il en souriait toujours, comme un gamin qui n’osera jamais vraiment répondre à sa mère… Elle avait une façon bien à elle de prendre soin de lui, l’air de rien, comme on regarde un tour de magie qu’on connaîtrait par cœur. C’était drôle, enveloppant, reposant. Sauf peut-être, quand elle me demanda innocemment si j’avais besoin qu’elle me prépare “ma” chambre ou si Louka et moi pouvions nous serrer un peu dans la sienne. Je rosis, assez bêtement.

Cargèse était ronde et pleine comme une bienheureuse indigestion. Les rues de la ville haute grouillaient de touristes en quête de cartes postales, de serviettes de plage ou de spécialités corses. Le port accueillait tour à tour voiliers et pêcheurs pendant que les semi-rigides emportaient les estivants vers les mille et une merveilles de la réserve naturelle de Scandola. Les polyphonies corses jaillissaient plus ou moins harmonieusement des terrasses des restaurants tandis que les deux églises, la grecque et la romaine, élevaient leurs clochers bien au-dessus de la mêlée.

Nous ne pouvions pas faire un pas dehors sans croiser quelqu’un que Louka connaissait. Voisins, saisonniers, stagiaires, copains de voile ou de lycée : j’eus droit à quelques regards gentiment interrogatifs et à d’autres franchement scrutateurs. Mais indéniablement, je fus vite identifiée comme la copine de Louka… A une exception près : le principal intéressé, qui semblait ne pas se poser de questions. Il prenait les choses comme elles venaient, sans penser au lendemain ; il le faisait avec entrain, avec plaisir, mais c’était comme s’il vivait sans avenir.

J’avais très peur qu’il finisse par se lasser de moi, avec mes maladresses, mes fautes de français et ma cellulite. Pourtant son corps, toujours, me disait le contraire. Il me suffisait de le toucher, de l’explorer, de l’embrasser pour que son désir soit au rendez-vous. Et au garde-à-vous ! Mais l’inquiétude coulait dans mes veines comme une méchante traînée de poudre.

Un matin, je pris mon courage à deux mains et entrepris de lui en parler. J’étais debout devant la baie vitrée de sa chambre, la Corse s’ébrouait tout doucement dans les lueurs de l’aube. Le calme était total, la journée était belle, Louka venait de sortir du lit. Il vint tout contre moi, mon dos sur son torse, il regarda la mer comme une merveille éternelle avant de poser sur mon épaule un tout petit baiser.


« - Good morning… Tu as l’air toute pensive ?

- Maybe.

- Tu me dis ce qui se passe ?

- …

- Romy ?

- Well… C’est juste que… Parfois, Louka, je me dis qu’un jour, tu n’auras plus envie de moi.

- …

- Et que tu te rattraperas avec d’autres filles.

- Please… On ne va pas reparler de Cinderella ?! Tu ne me crois toujours pas, n’est-ce pas ? Je peux dire tout ce que je veux, tu restes absolutely persuadée que je me la suis faite alors que tu étais là.

- Euh…

- Euh, what ? Aurais-tu miraculeusement changé d’avis ?

- Disons que… Bon, je me sens très conne, vraiment, mais en fait… Je sais maintenant que ce n’est pas toi que j’ai entendu rentrer avec une fille, ce fameux soir.

- Ah ?

- Oui… Mais je ne peux rien te dire de plus, ce n’est pas mon secret.

- Wait a second… Quelqu’un que tu connais suffisamment pour te confier ce genre de chose… Susceptible de s’être glissée en douce dans une des chambres du haut… Non mais je rêve ! Tout ce pataquès, c’est parce que Pietro et Ingrid ont couché ensemble en cachette il y a des lustres ?

- Ah mais tu le sais ?

- Evidemment que je le sais ! Pietro me l’a dit, qu’est-ce que tu crois... Alors c’est eux que tu as entendus ?

- …

- Je n'en reviens pas. Tu es partie comme une furie, sans un mot. Tu m’as pris pour le dernier des menteurs et le premier des queutards. Tu m’as caché ta grossesse et ta fausse couche… Tout ça à cause de cet imbécile de Pietro ? Comme s’il avait besoin de se cacher alors que de toute évidence, il serait heureux et aurait beaucoup d’enfants avec Ingrid ?!

- Je suis désolée, Louka. Je me sens parfaitement ridicule.

- Mais au moins, tu admets que je ne t’ai pas menti ?

- Oui…

- Enfin !

- I am sorry, Louka. Je t’ai accusé à tort et je ne t’ai pas écouté.

- Indeed.

- ...

- Anyway, tu es encore inquiète, aren’t you ? Pas pour Cinderella, mais pour toutes les autres.

- Oui.

- Romy, au-delà du fait que ça me gonfle un peu, cette jalousie, je vois surtout que tu en souffres… Je ne couche avec personne d’autre. Je peux te le jurer, mais je sais très bien que ça ne changera rien.

- Tu as raison. C’est à moi de réussir à te faire confiance...

- C’est peut-être à toi-même que tu devrais faire confiance ? Si tu te voyais comme je te vois, tu comprendrais pourquoi mes doigts n’ont pas très envie de perdre leur temps ailleurs ! Si j’avais tellement envie de me taper quelqu’un d’autre, je ne t’aurais pas proposé d’embarquer à deux sur un voilier sur lequel je suis complètement certain de ne croiser personne, à part toi.

- …

- Romy… Je plais aux filles. Je le sais, je l’ai toujours su. J’en ai beaucoup profité, c’est vrai, et j’en profite encore, d’une certaine manière : je ne suis pas aveugle ! Ni sourd… Et j’ai toujours un peu dragué, juste pour le fun. Sans réfléchir. Je t’accorde que je ne suis pas un saint, loin de là ! Pourtant, si tu savais le nombre de nanas à qui j’ai dit non… Même si j’avais voulu, d’ailleurs, je n’aurais pas eu le temps.

- Et maintenant ? Tu ne veux plus ?

- Maintenant, je ne veux pas. Je te veux, toi. Je ne sais pas si ce sera pareil dans un mois ou dans vingt ans. Je n’y pense pas. Et je m’en fous, je crois. Aujourd’hui, entre toi et la caissière de la boulangerie qui me caresse à moitié en me rendant la monnaie, entre toi et la petite brune qui me donne son numéro au marché alors que je n’avais rien demandé, entre toi et la fille à la plage qui se pavane seins nus en me regardant comme si tu n’étais pas assise juste à côté, … Entre elles et toi, je préfère toi. Je ne te promets rien pour l’avenir. Mais pour le présent, je sais que c’est toi que je désire. Un point, c’est tout. Maintenant, est-ce que je peux aller prendre ma douche et ensuite, on change de sujet ? »


Il me laissa scotchée, muette, remuée. Mon cœur battait la chamade ou le chabadabada, mes yeux clignotaient comme ceux d’un lapereau dans les phares d’un 4x4. Mon cerveau nageait dans une bulle d'eau de rose... Et mes mains, quant à elles, avaient faim de bagatelle.

Alors je le rejoignis sous la douche et je laissai mes doigts parcourir toutes les parties de son anatomie qui passaient à leur portée ! Et devant son air (agréablement) surpris, je murmurai à son oreille que moi aussi, c’était lui que je désirais. Lui et personne d’autre.



*Mes mains sur tes hanches, de Salvatore Adamo ; single, 1965.

Annotations

Vous aimez lire Marion H. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0