CXIII. Entrer dans la lumière

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CXIII. Entrer dans la lumière*

Le soir même, nous avions rendez-vous chez lui pour dîner. J’arrivai toute fière de mon ânerie, évidemment… Louka m’ouvrit la porte : torse nu, cicatrice à l’air, tout frais sorti de la douche. Il était au téléphone et parlait en italien (Pietro, certainement) ; il me fit entrer, je déposai au passage un tout petit baiser sur les mots corses qu’il avait tatoués sur sa clavicule et je m’installai tranquillement sur le canapé en attendant qu’il termine sa conversation. Ce qui fut fait, cinq minutes plus tard.

« - Tu as l’air really proud of yourself ?

- Indeed ! Je suis fière de moi, my dear.

- Very well… Tu sais que pour un avocat, il est obligatoire de porter une robe au tribunal ?

- Ah ? Euh, non, je ne savais pas… Tu as eu des problèmes ?

- J’ai emprunté la robe d’une consoeur. Un peu courte, mais c’était ça ou le report d’audience.

- Oh… Je suis désolée, Louka, c’était juste pour te taquiner un peu.

- J’ai eu l’air fin ! Tu me l’as rapportée, au moins ?

- Bien sûr ! Tiens.

- Great… Tu voulais que mes collègues sachent que j’ai quelqu’un dans ma vie ? C’est réussi !

- Je marque mon territoire… C’est toi-même qui me l’avais suggéré.

- Territoire toi-même ! On en parle, du coup, de mon territoire à moi ?

- Tu n’as pas l’intention de me marquer comme le font certains animaux mâles dans la nature j’espère ?

- No thanks… Même si ce serait certainement assez efficace en termes de dissuasion.

- Qui veux-tu dissuader ?

- Peu importe.

- …

- Tu sais, Romy, quand tu me vires de chez toi, même gentiment, I might wonder si ce n’est pas parce que tu as un autre rendez-vous…

- Hein ? Depuis quand tu te demandes ça ?

- Depuis que tu m’as mis dehors en pleine nuit.

(je souris très niaisement)

- Je t’amuse ?

- Non ; mais… Tu es jaloux !?

- Maybe.

- Ça alors !

- Je ne vois pas en quoi ce serait aussi réjouissant que ce que tu as l’air de penser ?

- Eh bien moi, je le vois !

- Good…

- Louka ?

- What ?

- Tu veux bien arrêter deux secondes de faire la gueule, pour que je puisse te dire que non, je n’ai personne d’autre ?

- Really ?

- Really. »

Donc il avait ça en tête depuis des jours et des jours ?! Quelle andouille, parfois…

Mais il était si mignon, avec son inquiétude absurde, son silence enfantin, sa petite jalousie… Je me souviens m’être dit, sur l’instant, alors qu’il posait sur moi ses deux billes de vert au regard clair et droit, que j’avais très probablement la primeur d’un tel sentiment chez lui. Et je l’avoue, j’étais absolument ravie, pour ne pas dire béate, de cette constatation.

Pour le récompenser de sa mignonnerie, je le mangeai tout cru ! Il était déjà à moitié nu et j’eus vite fait d’avoir sous les doigts son corps tout entier. Je ne me lassais pas de la douceur de sa peau, de la fraîcheur de ses lèvres, de la fermeté de ses muscles, de l’inventivité de ses mains… Comment avait-il pu croire que j’irais perdre mon temps à regarder ailleurs, à câliner ailleurs ?

Ce soir-là, nous fîmes l’amour deux fois, en prenant tout notre temps. Après l’acte un, je fis un petit tour en cuisine pour nous préparer des sandwichs que nous mangeâmes presque en silence, assis sur des tabourets hauts, les yeux dans les yeux. Après l’acte deux, je me collai à Louka comme un vieux scotch. J’étais moite et molle comme une larve, il ne valait guère mieux, et la nuit nous accueillit ainsi, lovés dans la fournaise d’un Paris de canicule.

Juste avant de m’endormir, une dernière pensée me traversa l’esprit de façon fulgurante, au point de me faire soudain sursauter et rouvrir les yeux. Louka sentit mon mouvement, s’informa dans un murmure si quelque chose n’allait pas, je le rassurai doucement… Tandis que repassait dans ma tête un petit bout de phrase qu’il avait prononcé plus tôt : “j’ai quelqu’un dans ma vie”.

Avait-il vraiment dit ça, ou l’avais-je rêvé ? Louka Kerguelen pouvait-il vraiment, enfin, considérer qu’il avait quelqu’un dans sa vie, genre brunette, tout droit sortie de ses montagnes, livrée à domicile avec un petit accent, une maladresse chronique et une totale inaptitude à la cuisine ?



*Entrer dans la lumière, de Patricia Kaas ; in Je te dis vous, 1993.

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