CVII. Mon manège à moi

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CVII. Mon manège à moi*


Les mois défilaient comme des mannequins à la fashion week : trop rapides, trop vaporeux, trop anonymes pour qu’on les regarde vraiment… Je courais à droite à gauche, entre les pavés des trottoirs, les cafés des bistrots, le soleil sur les carreaux. Paris était à la fois infinie et routinière, adoucie et printanière.

Je commençais à avoir mes petites habitudes, avec mes collègues, avec ma coloc, avec Ingrid. Et avec Louka... La vie était agréable et malgré les bouchons, la pollution, le bruit, je profitais vraiment des bons côtés de la France : brasseries, baguettes, balades, bons vins et beau mec !

Louka travaillait comme un dingue, parfois tard le soir ; pourtant j’avais, peut-être à tort, le sentiment que son boulot ne le passionnait pas plus que ça... Il était aux prises avec un dossier important, complexe, qui encombrait aussi bien son esprit que son agenda : une histoire de plagiat opposant une grosse boîte de production américaine et un auteur marocain édité en France.

Quand je m’étonnai qu’on lui ait confié une telle affaire alors qu’il débutait dans le métier, il m’expliqua que les associés du cabinet n’avaient pas tellement eu le choix : il était le seul à parler parfaitement l’anglais, l’arabe et le français, ce qui l’avait propulsé tête de liste d'un dossier qui visiblement était un peu trop grand pour lui.

Résultat : Louka finissait de plus en plus tard… Et je les trouvais souvent, lui et sa ride du lion, penchés sur quelque paperasse qu’il ne lâchait que sous la menace caressante d’avoir recours à des sévices corporels. Il me promettait cependant qu’une fois que l’audience serait passée, il retrouverait un rythme un peu plus normal.

Un soir, après le boulot, je sonnai chez lui juste comme ça, parce que j’avais envie de le voir. Et aussi un peu, pour tout vous dire, parce que je commençais à trouver qu’il travaillait vraiment beaucoup et qu’après tout, il y avait peut-être anguille sous roche, baleine sous gravillon, ou morue sous drap...

En arrivant, je trouvai Louka assis à son bureau, prenant des notes devant une affreuse pile de papiers, son code Dalloz sur les genoux. D’après les vestiges abandonnés à la cuisine, il ne s’était nourri que de pâtes au jambon et de… huit cafés ! C’est à peine s’il leva le nez lorsque je me penchai vers lui pour poser mes lèvres sur les siennes. C’est à peine s’il me répondit quand je lui demandai comment s’était passée sa journée. Bon !

Aux grands maux, les grands remèdes.

Je lui confisquai son satané code, ce qui eut le mérite de le forcer à s’interrompre, et je m’installai d’autorité sur ses genoux. Contre toute attente, il ne râla même pas. J’en profitai pour l’embrasser pour de bon, puis je le regardai tout doucement. Il était blanc comme une aspirine, cerné comme un château-fort, crevé comme un pneu sur un clou. Il appuya légèrement sa joue contre mon bras, il avait vraiment l’air d’un gamin épuisé. Alors je décidai que pour une fois, ce serait moi qui prendrais soin de lui : hot-dogs et pancakes pour tout le monde !

Je l’envoyai se doucher en lui disant de bien prendre son temps. Et j’entrepris de ranger tout ce qui traînait, de faire la vaisselle et quelques courses, de préparer la table et le repas. Une vraie fée du logis ! Du moins en apparence. Car en réalité, je fus battue en duel par un tube de moutarde récalcitrant qui m’explosa à la figure, je manquai de perdre un doigt dans le robot mixeur et je fis tomber toute une pile de tasses dans l’évier ; mais tout ça, le propriétaire des lieux n'était pas obligé de le savoir.

Quand il réapparut, Louka portait un t-shirt prune qui faisait ressortir ses yeux, il s’était rasé de près et il sentait bon comme un gel douche à la fleur d’oranger. Il s’assit sur un tabouret haut, tandis que je nous servais deux verres de vin italien. Je m’affairai encore une dizaine de minutes, le vin était doux et apaisant comme un matin d’été, Louka me regardait distraitement.

Après mes préparatifs, je m’approchai de lui et déposai un baiser très chaste sur sa nuque. Il était dur, tendu. Alors j’abandonnai mon verre sur le bar pour avoir les mains libres et je lui massai très lentement les épaules. Il se laissa faire en fermant les yeux, murmurant dans un souffle que ça faisait du bien.

Petit à petit, je sentis les tensions s’effacer de ses muscles, les nœuds se défaire, la fatigue se libérer. Il était comme une poupée entre mes doigts… Une bien jolie poupée ! Alors je décidai d’en profiter un peu.

Mes mains commencèrent par s’égarer de plus en plus sous le V de son col. Puis ma bouche prit le relai, papillonnant légèrement sur sa peau fraîche. Comme il ne montrait aucune velléité de protestation, je lui ôtai carrément son t-shirt et je parcourus son dos, puis son torse, de tout petits baisers. Il frémissait, gémissait, ondulait ; puis il m’attira à lui tout d’un coup, je perdis l’équilibre mais il me réceptionna dans ses bras. Alors il m’embrassa très fort, très loin, avant de déclarer que mes hot-dogs allaient devoir attendre.

Il m’entraîna dans sa chambre en m’inondant de caresses, semant au passage mes vêtements un peu partout. Il était pressé, délicieux, irrésistible. Mais je n’avais pas oublié ma promesse : ce soir-là, c’était à mon tour de m’occuper de lui. Ce que je fis très consciencieusement.

Je le poussai à s’allonger sur le lit et m’installai sur lui, reins contre reins, seins contre mains. Pendant un long moment, il se tortilla dans tous les sens au gré des explorations de ma langue, mais je me gardai bien de le laisser s’échapper ! Jusqu’à ce qu’il me dise, sa bouche tout contre mon oreille : “Romy, please… Viens maintenant... I can’t wait any longer.”

Je ne me fis pas prier pour lui faire l’amour de tout mon cœur et de tout mon corps. Il était ferme et souple sous mes doigts, ses caresses éclaboussaient mes fesses comme autant de morsures de feu, ses lèvres dévoraient les miennes comme on grignote un fruit bien mûr. Nos souffles s'emballèrent et quand enfin nous jouîmes, parfaitement synchrones, il m’offrit un sourire moite, comblé, immense, que je me hâtai d’embrasser en retombant tout contre lui.

Dix minutes plus tard, nous dînions au lit, un peu vite fait, mais bien fait. Puis j’eus à peine le temps de rapporter les assiettes à la cuisine que Louka s’était déjà presque endormi. Je m’allongeai près de lui, il se colla à moi (tiens, d’habitude c’est l’inverse !), soupira dans mon oreille, m’embrassa dans le cou, et s’assoupit en deux secondes.

Finalement je n’avais vu ni anguille, ni baleine, ni morue dans son lit ; ouf !

Tous mes doutes s’envolèrent et, à part la pensée-éclair d’avoir oublié de prendre ma brosse à dents, je m’endormis l’esprit aussi léger que la brise estivale sur le port de Cargèse. Mais pour combien de temps ?



*Mon manège à moi, d'Edith Piaf ; single, 1958.

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