XCIX. La mamma

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XCIX. La mamma*

Nous étions tous les trois enveloppés dans un drôle de silence. Un silence en plein Paris, percé de klaxons et de voix assourdies qui montaient aux fenêtres. Etrangement, j’avais la sensation d’assister à une conversation qui ne me regardait pas vraiment, mais aussi d’avoir permis à Louka, par mes questions et peut-être par ma présence, d’exprimer quelque chose qu’il gardait en lui depuis très longtemps.

Lorsque Malika reprit la parole, ce fut d’une voix émue, étranglée, une voix lourde et profonde comme une souffrance pas tout-à-fait éteinte.

- « Eh bien… Luís ne voulait pas d’enfant pour plein de raisons qui me blessaient toutes plus fort les unes que les autres, et que j’ai acceptées sans jamais vraiment les comprendre.

- Mais encore ?

- Disons qu’il se trouvait laid, malsain, sale, indigne de transmettre quoi que ce soit.

- Luís Kerguelen se trouvait laid ? m’étonnai-je.

- Oui…

- Alors que tout le monde disait qu’il était le plus beau mec que la Terre ait jamais porté ?!

- Oui. Il ne se supportait pas lui-même. C’était plus fort que lui.

- …

- Parfois il se mettait à pleurer, juste en se regardant dans le miroir. Il ne voyait ni sa lumière, ni sa bienveillance. Juste le noir et la pluie qui lui inondaient le cœur. Alors faire un enfant, c’était impossible, impensable ! Il m’en aurait voulu à mort… C’était non négociable.

- Et vous ne l’avez jamais regretté ?

- Oh que si ! Pendant des années, j’ai espéré qu’il change d’avis… Jusqu’à Louka.

- Vous ne vouliez pas un enfant à vous ?

- Non… Parce que j’en avais un ! Je me foutais bien qu’il ne soit pas sorti de mon ventre. Et même, je me disais parfois que si je l’avais fait, moi, il aurait été différent. Moins réussi… Alors que je l’aimais tel quel. Avec Louka, avec Luís, j’étais la reine du monde. Je ne savais pas encore que la vie me les reprendrait tous les deux.

- C’est pour ça que vous avez voulu adopter Louka pour de bon … ?

- Oui. J’ai pensé au jour où j’allais mourir, au jour où il aurait des enfants. Dans ces moments-là, je veux être sa mère. Plus jamais on ne lui dira qu’il n’est pas mon fils. Plus jamais on ne me dira qu’il n’est pas mon fils. Ni à l’état-civil, ni à l’hôpital, ni nulle part ailleurs. Si j’ai un accident demain et qu’il faut me débrancher, je mourrai en étant sa mère.

- Mama, je crois que pour l’instant, je préfèrerais que tu vives en étant ma mère ! Bon, si tu as fini de raconter notre vie, je te raccompagne à l’hôtel ? ll est tard, et je bosse demain, moi.

- Tu as raison… Mais appelle-moi plutôt un taxi, ce n’est pas la peine de te déranger.

- Mais ça ne me dérange pas du tout.

- Moi, si. Tu dois t’occuper de ton invitée… Charmante, d’ailleurs ! Tu as bon goût.

- Mama, s'il te plaît… D’ailleurs ce n’est pas ce que tu imagines.

- Oh mais je n’imagine rien... Romy est certainement venue baby-sitter ta petite sœur, à cette heure-ci et de l’autre côté de l’océan.

- …

- Louka, vas-tu enfin m’appeler ce taxi ?

- Bon ! Comme tu veux… »

Cinq minutes plus tard, un klaxon retentit dans la rue et Malika sortit en me souhaitant une bonne nuit. Louka descendit avec elle pour porter sa valise, et remonta tout seul trois minutes après. Il me retrouva vautrée sur le canapé avec une migraine carabinée et beaucoup d’interrogations.

« - So… Tu dors ici finalement ? Tu as l’air morte…

- Je suis morte, indeed… Beaucoup trop pour envisager d’aller passer la nuit ailleurs ! Et j’ai horriblement mal à la tête.

- Tu veux une aspirine ?

- Oui, please.

- Voilà. Bois ça… Et installe-toi où tu veux, comme tu veux… Up to you.

- Merci. Je peux prendre une douche ?

- Sure. Fais comme chez toi, Romy. Tu connais la maison.

- Louka ?

- Oui ?

- Tu n’as pas dit à Malika que nous avions failli avoir un bébé, n’est-ce pas ?

- Non.

- Pourquoi ?

- Je ne sais pas… Peut-être plus tard. Je vais me coucher. Good night... »

Une fois dans la salle de bain, je pris une douche longue et brûlante et mes muscles se détendirent comme par magie. Puis j’enfilai une nuisette qui avait eu la bonne idée de se retrouver sur le dessus de la pile lorsque j’avais ouvert ma valise. Et je retraversai l’appartement silencieux.

Je n’avais plus le courage de faire semblant d’hésiter à rejoindre Louka ou non, alors je filai directement dans sa chambre. J’entrai sur la pointe de mes pieds nus, il faisait noir, il somnolait dans le silence, allongé sur le dos. Je me glissai tout doucement dans le lit et vins me pelotonner contre lui, sa peau était chaude et accueillante… Appétissante ! Sauf que son t-shirt était fidèle au poste... Et que j’avais un étau dans le crâne.

« - Louka, si on était dans un film, on ferait l’amour comme des fous, trois fois, et on discuterait toute la nuit… Mais là, en vrai, j’ai une migraine carabinée et le jetlag me tue. Alors on dort ?

- Alright… Mais c’est dommage. Ce film avait l’air very nice ! »

Je m’endormis toute recroquevillée entre ses bras, mon dos collé contre son corps, son désir lové contre mes reins. Ma première nuit sans nuage depuis trois mois.

*La mamma, de Charles Aznavour ; in La mamma, 1963.

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