XCVII. La fée

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XCVII. La fée*

Nous étions plantés là dans le couloir étroit de son immeuble parisien. Il me regardait d’un air interrogatif, je tentais de refouler mes larmes pour ne pas me ridiculiser encore plus.

« - Romy ? Attends ! What are you doing here ? Et pourquoi tu pars comme ça ?

- Je… Je te l’ai dit, j’ai un rendez-vous.

- You are the worst liar I’ve ever seen…

- Bon, d’accord, je n’ai pas de dîner, mais je m’en vais quand même.

- Tu n’en as pas marre de t’enfuir à chaque fois que tu n’arrives pas à me dire quelque chose ?

- …

- Romy, ça fait des mois qu’on ne s’est pas vus, on a échangé quoi, à peine trois pauvres textos depuis ton anniversaire ? Et soudain te voilà… Tu n’es pas venue jusqu'ici pour repartir comme ça, si ?

- Je ne sais plus trop...

- Allez, viens manger, tu partiras après, si vraiment c’est ce que tu veux… Ou bien tu me diras enfin ce que tu as sur le coeur.

- Tu as préparé quoi ?

- Des pâtes au basilic, avec des côtes de bœuf, une salade, et des oranges à la cannelle.

- Bon… Tu as de la chance : j'adore le basilic ! »

Louka sourit sans rien ajouter. Et nous nous dirigeâmes vers son appartement. Je le laissai égoïstement se débrouiller tout seul avec mes bagages, qu’il déposa en vrac dans l’entrée, et nous prîmes place à table. J’avais les joues un peu trop roses, Louka arborait un œil un peu trop triomphant, et Malika nous enveloppa tous les deux d’un même sourire innocemment moqueur.

Ils avaient ouvert une bouteille de champagne, et quand je leur demandai ce qu’ils fêtaient, ils me désignèrent un papier qui trônait sur la table : couvert de tampons officiels, rédigé à la fois en arabe et en français et daté de l’avant-veille. C’était un acte d’adoption : Louka était désormais officiellement le fils de Luís Kerguelen Dos Santos, né à Saõ Paulo, Brésil, d’Ana Júlia Dos Santos Peres et de père inconnu puis adopté à Lyon, France, par Lou Le Bihan et Malo Kerguelen ; et de Malika Cherif, fille de Mohamed Cherif et Maria Pilar Rodriguez Martín, née à … Tiens, Manille ?

« - Malika, vous avez vécu aux Philippines ?

- Oui, mais pas longtemps. C’est là-bas que mes parents se sont rencontrés : ma mère dirigeait l’Institut Cervantes de Manille et mon père était conseiller économique à l’ambassade du Maroc. A peine un an après ma naissance, nous sommes partis pour Prague. Ma mère y est morte.

- Oh, excusez-moi, je ne voulais pas être indiscrète.

- Vous n'avez pas de raison de vous excuser. C’était il y a longtemps. Je n’ai aucun souvenir d’elle... Ma famille, c’était mon père ! Il m’a offert une enfance extraordinaire pleine de joies, de couleurs et d’épices. Il m’a baladée partout au fil de ses affectations : nous avons vécu à Istanbul, New Delhi, Buenos Aires puis Pékin avant d’atterrir à Lyon quand j’avais 11 ans.

- Votre géographie est aussi compliquée que celle de Louka ! Déjà que je m’y perdais un peu...

- C’est vrai, mes racines sont un peu nomades… Mais je suis marocaine avant tout ! Et vous Romy, quelle est votre géographie ?

- Simplissime ! Je suis née et j’ai grandi dans le Wyoming, à 20 miles à peine du petit town de mon père. Ma mère, elle, venait de Denver, dans le Colorado : c’est juste à côté ! Mon arrière-grand-père paternel était suédois, et ma famille maternelle descend plus ou moins de la tribu cheyenne, mais mon exotisme s’arrête là. Je suis la fille d’un coin perdu, grandiose, avec des prairies à perte de vue et des montagnes aux lignes infinies dans le bleu d’un ciel immense.

- Ce doit être magnifique ! Vos parents vivent-ils encore là-bas ? Vous m’aviez dit qu’ils travaillaient dans le cinéma, je crois.

- Mama, interrompit Louka, c’est quoi cet interrogatoire ?

- Tssss, on discute, c’est tout… Ressers-nous plutôt du champagne, habibi, s'il te plaît.

- Ma mère est morte quand j’avais douze ans. Elle était costumière. Mon père, lui, vit toujours dans le Wyoming. Après quelques années à New York, il est retourné près de ses chères montagnes. Il est scénariste, il travaille à distance la plupart du temps, il dit toujours qu’il a besoin de grands espaces pour écrire.

- Vous êtes proche de lui ?

- Oui... Enfin je crois. C’est un rêveur, il invente mille et un mondes sans même y penser, comme si j’étais encore la petite fille à qui il lisait des histoires.

- Moi aussi, mon père était mon ancrage… Quand il est tombé malade, tout a vacillé. Il a été hospitalisé au Centre Léon-Bérard, à Lyon. J'ai été placée en foyer, d’abord temporairement, le temps qu’il se soigne ; puis définitivement, quand il a perdu la bataille.

- Et c’est là que vous avez connu votre mari ? J’ai lu ça dans un journal, un jour.

- Non ; on s’était rencontrés avant, à l’école : sa classe était en face de la mienne. On n’avait échangé que quelques mots, il était un peu sauvage…

- Tiens, ça me rappelle quelqu’un ! Un garçon qui a passé quelque temps dans ma classe sans parler à personne, ou presque. Un certain Louka.

- Ah bon ? Vous avez été à l’école ensemble ?

- Juste quelques mois. Votre fils n’a même pas eu le temps de se souvenir de moi.

- Bien sûr que si ! Tu es la seule à m’avoir adressé la parole quand la mort de mon père dégoulinait en une de tous les journaux du monde ; tu es la seule que je n’aie pas oubliée.

- Oh ! Je ne pensais pas… A l’école en tout cas, personne ne t’a oublié. Surtout les filles !

- Tu parles, on avait treize ans…

- Justement, c’est l’âge parfait pour ricaner bêtement en parlant d’un garçon. Tu avais tout pour toi : des parents célèbres, un visage d’ange, le parfum du drame...

- Je crois que je préfère ne pas savoir ! Je pensais à tout sauf aux filles à cette époque-là.

- Tu t’es bien rattrapé depuis, right ?

- Peut-être. On est obligés de parler de ça maintenant ?

- Sorry ; tu as raison. Malika, vous en étiez à me raconter comment vous aviez réussi à draguer le plus beau mec de sa génération ? Un vrai conte de fées… »

*La fée, de Zaz ; in Zaz, 2011.

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