XCVI. Du courage

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XCVI. Du courage*

Je sautai dans un vol pour Paris avec mon cœur sous le bras, ma peur sur les bras, et un excédent de bagages digne d’un record du monde. J’étais seule avec ma décision comme un plongeon dans le vide hollywoodien.

Dans les films, quand l’héroïne plaque tout pour rejoindre le héros à l’autre bout du monde, elle n’a jamais, au grand jamais, une gamine qui braille sur le siège d’à côté ! Moi j’eus droit à un festival : une petite poupée de deux ou trois ans, pleurant, hurlant, bavant, courant partout, renversant le chariot de l’hôtesse, tâchant ma chaussure de grenadine et me poussant au bord de l’infanticide, sous l’œil béat et impuissant de sa Maman. L’enfer...

Quand enfin j’arrivai chez Louka, je n’avais plus qu’une envie, une seule pensée cohérente : repartir à New York sans demander mon reste. Je n’avais pas pris le temps de me demander comment je serais reçue. Mais une fois plantée devant sa porte, je réalisai soudain la folie ridicule de la situation. Et si Louka était en Corse, ou au Maroc, ou n’importe où ; ou pire, s’il n’était pas seul, qu’allais-je donc devenir avec mon pathétique déménagement ?

Prudente, j’optai finalement pour un petit texto annonçant ma présence à Paris, en espérant une réponse immédiate et enthousiaste. Je restai là dans le couloir, l’espoir au cœur.

Mais rien.

Au bout de dix minutes, assaillie d’un immense sentiment de ridicule, je quittai l’immeuble et partis m’installer à une terrasse de café anonyme.

J’essayai d’appeler une fois ou deux mais je tombai directement sur sa messagerie. Nouvel essai par sms deux heures plus tard : toujours rien.

Épuisée, excédée par cette situation, je décidai de crever l'abcès et donc, de débarquer chez Louka en bonne et due forme. Une fois devant sa porte, j’étais tendue comme une drisse de grand-voile. Dans l’air flottait tout doucement une odeur de viande et de basilic qui mettait en appétit. Je devinais à travers la porte un fond discret de radio italienne. Mon cœur battait comme un fou furieux, je sentais monter en moi une angoisse sourde et impatiente au fur et à mesure que je réalisais que j’allais débarquer en mode pochette-surprise sans trop savoir ce que j’attendais du propriétaire des lieux.

J’en étais là de mes (tardives) réflexions quand mon doigt pressa le bouton de la sonnette, presque contre mon gré, déchirant le silence ouaté de cette soirée pluvieuse. Louka apparut, sapé comme un sous-neuf, l'œil rond comme une bille. J’entrai telle un zombie à talons hauts et vis, bien au milieu du salon, sa table joliment dressée pour deux personnes, avec vin rouge, salade verte et assiettes creuses.

Mon sang vrilla dans mes veines. Trois mots tournaient en boucle dans mon esprit comme des billes folles dans un flipper absurde : “Mais quelle conne !” Pâle comme une serviette amidonnée, je bafouillai quelque chose comme “Sorry, je te dérange ?” en cherchant des yeux la créature, forcément féminine, à qui s’adressaient de tels préparatifs.

Louka n’eut pas le temps de me répondre, un grand “Bonsoir !” sonore et bienveillant jaillit du canapé et je vis, assise et souriante, une femme brune qui me regardait bien en face, d’un regard sombre et franc, un peu humide ; en deux secondes, mon visage passa du blanc au rouge quand je reconnus Malika Kerguelen en chair et en os.

J’étais tellement gênée que j’en fus presque impolie. Je n’avais plus qu’un seul espoir : quitter les lieux sans trop me ridiculiser. Je bredouillai en me tenant trop droite, les yeux fixés sur mon sac à main comme une bouée de sauvetage.

« - Louka ? Je… J’ai essayé de te joindre plusieurs fois.

- Really ? Mon téléphone est déchargé, je n’ai pas pensé à le rebrancher. Tu veux boire quelque chose ?

- Non. Je… Je dois y aller. On m’attend, je suis déjà en retard… Bonsoir, Malika. Je ne savais pas que vous étiez à Paris.

- Bonsoir… Romy, si ma mémoire est bonne. Je viens tout juste d’arriver. Comment allez-vous ?

- Euh ! Bien. Merci. Je… J’y vais. Bonne soirée.

- Vous ne restez pas dîner avec nous ?

- Merci, non ; on m’attend… pour dîner ! Justement. Excusez-moi. Au revoir. Goodbye, Louka, see you around. »

Je m’enfuis dans le couloir sans demander mon reste, à moitié morte sous le poids de mes sacs, manquant de m’étaler en me prenant le pied dans un tapis. Je m’étais comportée comme un pot-de-colle hystérique, parfaitement tarte, bêtement énamourée et obviously possessive… Je me sentais la reine des idiotes, ridicule comme jamais, gourde comme personne.

Le temps d’appuyer sur le bouton de l’ascenseur, je sentis les larmes me monter aux yeux et j’entendis mon prénom flotter derrière moi dans le couloir.

Louka, évidemment.

*Du courage, de La Grande Sophie ; in Et si c'était moi, 2003.

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