XC. Funambule

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XC. Funambule*

Je retrouvai sans déplaisir la routine de ma vie new-yorkaise. Métro, boulot, apéros : toute la ville prenait peu à peu un rythme estival, ralenti, éternel ; et j’en profitais sans me faire prier.

Mais je dois admettre que mes pensées traversaient bien souvent l’Atlantique pour aller caresser une peau de miel un peu déchirée sous le ciel de la Corse. La journée, mon esprit était à 100% absorbé par mon travail, mes collègues, nos administrés qui chaque jour inventaient de nouvelles doléances. Mais le soir, je regrettais ma solitude et cédais bien souvent à l’envie de prendre des nouvelles de mon convalescent préféré.

Louka, de loin, semblait plus présent. Même si je ne saurais pas expliquer précisément ce qui me donnait ce sentiment… Au fil des jours, des semaines, puis des mois, ses textos me racontaient ses chutes et ses victoires, ses douleurs, ses espoirs, ses progrès, ses fatigues, ses attentes, ses rechutes. Il ne se laissait pas abattre ni décourager même si parfois, ses mots sentaient la fatigue, la lassitude ou l’impuissance.

Il pouvait au moins profiter de son île bien-aimée, entre Cargèse et Ajaccio, ce qui rendait la rééducation un peu plus supportable. Il allait nager tous les jours dans les eaux limpides de la Méditerranée ou entre les lignes désertes de la piscine municipale. Il y mettait toute son énergie, tout son entêtement, il fallait le raisonner régulièrement pour ne pas qu’il s'épuise ! Sa mobilité revenait petit à petit à force de sueur et de persévérance, sous la surveillance attentive du corps médical… et de Chiara, qui veillait sur lui comme une louve sur son petit.

Pendant les deux premiers mois, elle resta avec lui, allant jusqu’à décaler un tournage pour ne pas le laisser seul. Elle le houspillait, l’entourait, le secouait, lui cuisinait des plats sardes pour qu’il reprenne des forces, l’expédiait au lit à 22h comme un gamin… Et elle envoyait tous les quinze jours un “rapport” sur ses progrès à Malika, Pietro et moi : c’était toujours délicieusement rédigé, plein d’humour et de bienveillance, mais croyez-moi, elle le surveillait de près ! Rien ne lui échappait : ni les doutes, ni les grimaces, ni les douleurs, quels que soient les efforts de Louka pour les lui cacher… Elle était partout à la fois, elle le soutenait du bout du cœur pour ne pas qu’il s’effondre. Et avec une telle garde-malade, il avait intérêt à se tenir à carreau et à guérir aussi vite que possible.

En août, Louka allait beaucoup mieux. Au point que Chiara consentit à le laisser de nouveau monter sur un bateau avec Pietro. Juste quelques jours, et pas trop loin, mais si j’en juge par les quelques photos que je reçus pendant leur périple, ils en profitèrent à fond ! La baie de Calvi, en arrière-plan, badigeonnait de bleu leurs peaux bronzées et leurs sourires de play-boys. Comme si l’accident n’avait jamais existé ! La mort, décidément, semblait avoir perdu la bataille pour de bon.

Pendant ce temps-là, dans la moiteur lointaine de New York, je traversais l’été comme s’il n’avait pas vraiment lieu. Je n’eus qu’un seul jour de congé, que je mis à profit pour emmener Mila faire un tour de Manhattan en bateau sous un soleil radieux. Elle portait sa petite robe blanche et ses grandes lunettes noires. Elle était belle, mais elle ne le savait pas encore… Ce qui la rendait encore plus adorable. Nous nous immortalisâmes toutes les deux devant la Statue de la Liberté comme des millions de touristes avant de partager une gigantesque glace recouverte de chantilly en regardant l’océan.

Ensuite, mon père vint passer quelques semaines chez moi. Il travaillait sur une série TV qui se déroulait à New York et il avait besoin de sentir vibrer la ville, m’avait-il dit… Résultat, il passait ses journées à écrire, assis en tailleur au milieu de Central Park avec son ordinateur sur les genoux, et quand je le retrouvais le soir, après ma journée de travail, il avait les yeux rougis, les jambes ankylosées et l’estomac vide. Comme un ado ! Mais j’étais contente de le voir et de profiter de sa présence toujours pleine de rêverie et d’imaginaire.

A la rentrée, Dad repartit dans le Wyoming et je me retrouvai seule. Je me sentais triste, un peu vide, un peu perdue, comme si je n’étais pas à ma place. C’était un sentiment étrange, assez diffus, pas très agréable.

Louka aussi était seul, mais à Cargèse. Pietro et Ingrid étaient rentrés à Paris et Chiara avait enfin repris le chemin des studios cinématographiques. Mais notre convalescent avait besoin d’encore un peu de Corse et de soleil pour finir de se retaper. Il nageait, dormait, lisait, mangeait. Il continuait sa rééducation mais beaucoup plus doucement : l’urgence était passée, et moyennant trois séances hebdomadaires avec un kinésithérapeute (notez l’emploi du masculin…), il pouvait enfin recommencer à vivre presque normalement. Il put même reprendre le travail, d’abord à mi-temps et à distance, mais quand même, c’était un progrès !

Le 20 septembre, je reçus un appel triomphal m’annonçant qu’il avait définitivement rangé ses béquilles. Il avait l’air si heureux et si soulagé que j’en eus les larmes aux yeux.

Il me manquait, alors je le lui dis.

Quelques jours plus tard, il m’informa l’air de rien qu’il était de nouveau autorisé à emprunter des vols long courrier. Et qu’il allait venir à New York ; pour voir sa sœur, précisa-t-il.

*Funambule, de Grand Corps Malade ; in Funambule, 2013.

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