LXXXIX. Je t'aime... moi non plus

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LXXXIX. Je t’aime... moi non plus*

Je n’étais pas prête du tout, mon sac était encore en vrac et mes affaires disséminées aux quatre coins de la maison. Je me levai donc comme un ressort et m’enfuis vers ma chambre pour me cacher de la bienveillance inquisitrice de Chiara Battisti.

J’entrepris de rassembler mon bazar mais malgré toute ma bonne volonté, il me fut impossible de remettre la main sur mon petit pyjama… Je retournai la chambre du sol au plafond, râlai abondamment, réfléchis puissamment… Pour me souvenir, enfin, que je le portais sous ma robe lorsque j’avais rejoint Louka dans son lit l’avant-veille. Et que je l’avais complètement oublié au matin.

Je frappai à la chambre de Louka mais il ne m’entendit pas. Je frappai de nouveau, puis passai la tête : le bruit de l’eau me guida vers la salle de bain. Il était sous la douche, porte entrouverte, la pièce était pleine de vapeur chaude et d’effluves de savon. Il était nu, couvert de mousse, et j’eus soudainement tout plein d’idées coquines en le voyant…

Puis elle me sauta aux yeux. Juste là, sur son torse. Une cicatrice immense, violacée, tracée par une impitoyable scie thoracique et entourée de chairs déchiquetées, bousculées, éventrées… Une empreinte indélébile et douloureuse qui lui barrait violemment le corps. Un stigmate silencieux mais tellement parlant ! Et tellement laid, objectivement : d’une laideur qui tranchait comme un paradoxe avec la perfection veloutée du reste de son corps.

Je compris alors pourquoi Louka s'était caché sous son satané t-shirt, l’autre soir. Il ne voulait pas que je voie ça. Ou plutôt, il ne voulait pas que je le voie, lui, amoché comme ça. Cette idée me fit de la peine… Mais je ne voulais ni le brusquer, ni le gêner.

Alors je remballai mes envies de lui et je frappai comme une dingue à la porte de la salle de bain pour bien me faire entendre. Il arrêta l’eau, je m’annonçai à voix haute tout en restant bien sagement cachée derrière la porte et il me répondit simplement : “J’arrive, j’en ai pour deux minutes.”

Ce qu’il fit en effet. Quand il sortit de la salle de bain, il était encore tout humide, il portait un t-shirt rouge assez près du corps et une serviette noire enroulée autour de la taille. Mes idées coquines se réveillèrent instantanément. Malgré la fatigue, sa peau anormalement blanche, son corps amaigri et couturé de partout, je le trouvai infiniment beau ! Et appétissant…

« - So… How can I help you ? Tu as besoin de quelque chose ?

- Mon pyjama ! Je crois que je l’ai oublié ici.

- Il est sur la chaise, derrière toi. Anything else ?

- Maybe… Ceci ?

(Je l’embrassai sur la bouche)

- Ceci, as you say, est à ta disposition. What else ?

- Je veux bien aussi un peu de ça…

(Je le caressai sur son ventre si tendre, par-dessous son t-shirt)

- Autant que tu veux ! Autre chose ?

- Well… Peut-être que tu n’as pas tellement besoin de ce truc-là ?

(Je passai la main sur le bord de sa serviette, que je fis tomber d’un air absolument innocent)

- Tu joues avec le feu, miss…

- Et tu n’aimes pas ça ?

- Oh si… How much time do we have avant de devoir partir pour l’aéroport ?

- Je dirais une heure. Mais je dois encore me doucher, et boucler ma valise. Une demi-heure ?

- Challenge accepted ! »

Louka dit cela dans un murmure presque vorace, sa bouche attaquant déjà mon sein, sa main remontant déjà ma jupe. Je me laissai grignoter avec délice, gémissant parfois sous ses caresses. Il y mit tout son coeur, son corps, ses lèvres, ses doigts, son souffle, son sexe… Le plaisir fut intense, presque violent, j’avais envie de lui encore et encore.

Et pourtant, il me fallait partir… Cette pensée me bousculait, et tout en attendant que nos respirations s’apaisent, je déposai des baisers de plume à la base de son cou en me demandant quand j’allais le revoir. Mais je n’osai pas lui poser la question. Nous restâmes ainsi silencieux, à l’unisson, l’un contre l’autre. Et juste sous mes doigts, à travers son t-shirt, son cœur battait à 100 à l’heure.

Trois heures après, Louka tout doux et tout branlant me disait au revoir devant les portiques de sécurité de l’aéroport. Il était à la fois câlin et fuyant, le mélange était étonnant, déroutant, paradoxal. On aurait dit un bricoleur du dimanche démuni devant une étagère suédoise !

Il m’embrassa vite, mais bien, sans se cacher dans un coin pour que personne ne nous voie. J’en profitai pour le serrer fort dans mes bras quelques secondes. Il semblait un peu perdu, un peu cassé, et je n’étais pas beaucoup plus solide que lui. Nos adieux furent mignons, mais maladroits comme une amourette adolescente.

Dans les contes, l’histoire s’arrête quand le prince et la bergère s’embrassent et se marient ; mon histoire continue, d’abord parce que je ne me suis jamais mariée avec Louka, ensuite parce qu’il ne lui a pas suffi de m’embrasser, même devant tout le monde, pour que tout devienne rose et simple.

Loin de là...

*Je t'aime... moi non plus, de Serge Gainsbourg et Jane Birkin ; single, 1969.

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