LXXXVI. Désillusionniste

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LXXXVI. Désillusionniste*

Après mon départ, Ingrid et Pietro retournèrent s’asseoir, non sans avoir fait un stop au comptoir pour reprendre deux bières très fraîches. Ils avaient beaucoup dansé, il faisait chaud, ils étaient gais comme deux pinsons et leur complicité irradiait comme toujours de leurs deux regards bleus.

Louka n'avait bougé ni d’un pouce ni d’une béquille. Et la brunette non plus, perchée tout près de lui comme le sémaphore de Pertusato surveillant la Sardaigne. Elle tenta de se mêler de leur discussion, au point de réussir ce qui était presque un exploit : agacer Pietro ! Qui se mit donc, sciemment, impoliment, à parler en italien pour que Miss Pétasse ne le comprenne pas.

Au bout de cinq minutes, Pietro eut gain de cause : elle se lassa ! Et fila vers le bar pour se ravitailler. C’est alors qu’il prit le taureau par les cornes et vint s’asseoir, à son tour, sur l’accoudoir de Louka.

- « Comment elle s’appelle ?

- Qui ça ?

- Cette fille qui te colle depuis tout à l’heure.

- Je n'en sais rien… J’ai oublié.

- Va bene... Discussion intéressante ?

- Je me fous de sa conversation… Et tu le sais très bien ! Tu me fais quoi, là ? Une leçon de morale ?

- Non. Mais Romy est partie, si ça t’intéresse.

- Pourquoi tu me dis ça?

- Comme ça…

- Tu es au courant ?

- Il y a quelque chose dont je pourrais être au courant ?

- Arrête, Pietro…

- J’arrête si tu me dis la vérité.

- Bon ! Ok. Romy et moi on… a couché ensemble ancora.

- Ah...

- Quoi, ah ?

- Rien ; ça a l’air romantique ton histoire.

- Je ne suis pas romantique.

- Et elle ?

- Je ne lui ai rien promis !

- Et tu crois que ça suffit ? Tu vas la blesser ancora et tu le regretteras ancora.

- Pourquoi je la blesserais ? Elle est douce, jolie, j’aime coucher avec elle. Voilà.

- Depuis combien de temps ?

- Solo una notte.

- Je ne te parle pas de cette fois-ci ; je te parle d’avant...

- Je ne sais pas. Un momento.

- Quel genre de momento ? Une semaine, un mois, un an ?

- Plutôt un an.

- Ah oui, c’est un momento assez long... Et ça ne compte pas pour toi ?

- Non.

- Louka… Tu crois vraiment que je vais avaler ça ?

- Pense ce que tu veux, je m’en fiche.

- Je ne ferai même pas semblant de te croire.

- …

- Alors ?

- Parfois, Pietro, tu me tapes vraiment sur les nerfs...

- Oui ; surtout quand j’ai raison ! Louka, à force de partir du principe que toutes les nanas du monde te courent après, à force de toujours être le plus beau comme une évidence, tu vas laisser partir la seule qui s’en fout complètement.

- …

- Arrête de jouer avec elle. Plus maintenant. L’enjeu est trop fort. Elle ne peut plus être un coup en passant. Pas après tout ce qui s’est passé entre vous. Pas après qu’elle ait porté et perdu ton enfant.

- Romy n’a jamais été un coup en passant.

- Ah ??? Incredibile ! Tu as au moins réalisé ça ? Voilà une bonne nouvelle !

- Tu peux arrêter de faire semblant de découvrir que je ne suis pas débile, Pietro mio ?

- Je peux, oui. Ma… Louka, je vais te dire une chose que tu n’as pas envie d’entendre : tu te conduis comme un con avec elle.

- Grazie... Tu es vraiment obligé d’avoir un avis sur ma vie sexuelle ? Toi aussi, tu as fait quelques erreurs de casting, non ?

- Romy est une erreur de casting, selon toi ? Vraiment ? Regarde-moi en face et dis-moi que tu ne tiens pas à elle.

- …

- Louka, je te connais par coeur. Tu as la trouille, c’est tout... Tu sais comme je tiens à toi : je mourrais pour toi ! Je te le jure. Mais avant de mourir, il faut vivre ; et pour vivre, pour vieillir, pour grandir, bordel ! Il faut que tu sortes de ta putain de coquille. Si tu te plantes, je te ramasserai morceau par morceau. J’y passerai le temps qu’il faudra, mais je serai là.

- Pietro mio,...

- Non, laisse-moi finir. Essaie de vivre, Louka. Je marcherai à tes côtés. Toujours. On aura plein de mioches qui grandiront ensemble autour de Lucia, ils parleront français, italien, arabe, anglais, flamand, corse, nos mères seront fières comme des nouilles et nos femmes râleront qu’on ne s’en occupe pas assez. C’est ça la vie, Louka. Tu ne peux pas te barricader éternellement ; sinon tu ne vis pas… D’ailleurs tu ne vis plus, depuis que tu as quitté le Maroc sans un cri, sans un regard, sans une larme ; depuis que Luís est mort sans un mot, sans un souffle, sans un soupir.

- Laisse mon père tranquille !

- Non.

- Perché ?

- Perché tu te comportes comme si tu étais mort en même temps que lui.

- ...

- Et tu en souffres depuis des années… Tu en crèves, littéralement. Maintenant ça suffit. La vie t’envoie une fille géniale, battante, drôle, avec suffisamment de caractère pour t’aider à te tenir droit et suffisamment de patience pour te laisser venir à elle. Et canon, en plus ! Ne laisse pas passer ça, Louka mio… Ne la laisse pas passer, elle. Tu t’es moqué de moi des dizaines de fois parce que j’ai mis plusieurs mois avant d’ouvrir les yeux et de me rendre à l’évidence de mon amour pour celle qui allait devenir ma femme ; à ton tour maintenant ! A quoi je sers, moi, si je ne suis même pas foutu de te faire comprendre que tu es amoureux de Romy ? »

*Désillusionniste, de Maurane ; in L'un pour l'autre, 1998.

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