LVI. Les démons de minuit

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LVI. Les démons de minuit*

Louka finit sa tirade en levant son verre, il avait le sourire en étincelles et l'œil comme une perle d’eau. Pietro dit quelque chose en italien que je ne compris pas, Ingrid semblait toute émue et ils prirent ensemble leurs deux témoins en accolade, ce fut joli, joyeux, soyeux.

Puis ils ouvrirent le bal, les mariés heureux comme seuls au monde, les témoins rieurs et survoltés. La soirée passa comme une éclipse, l’atmosphère était tendre et lumineuse, la mer bruissait en fond, la nuit était douce comme un cocon. Les gens dansaient devant mes yeux tandis qu’assise tout au fond du mariage, je buvais, riais, braillais avec les filles de la table. Louka passait de bras en bras, dansant tour à tour avec la mariée ou sa sœur, avec Chiara, et avec plein de paires de mains et de seins qui ne le lâchaient pas.

Lassée, je décidai de me servir un autre verre et fermai les yeux un instant comme pour m’éloigner du tumulte alentour… Je m’assoupis sans même m’en rendre compte. Et à mon réveil, Louka était assis là, devant moi, col ouvert, oeil opalin. La musique s’était tue. Les invités étaient presque tous partis, Chiara était rentrée coucher sa petite-fille, il ne restait plus que les fêtards, les voileux, les ivrognes d’un soir… Il était très tard, ou plutôt très tôt.

Louka tenta d’engager une conversation que j’eus peine à soutenir. Il parlait trop doucement, comme une inquiétude qui ne dit pas son nom.

« - Bonsoir, Romy.

- Hey !

- Comment te sens-tu ?

- Très bien.

- On ne dirait pas… Tu es sûre que ça va ?

(je lui ris au nez)

- Tu es venue seule ?

(je ris encore, mais jaune, cette fois)

- Tu es en voiture ? Tu ne peux pas conduire comme ça...

- And so what ? Tu vas me proposer de me raccompagner ? Parce que toi bien sûr, tu n’es pas saoul ?

- Je n’ai bu qu’un verre… Mais je ne peux pas te reconduire, je dois emmener Pietro et Ingrid à l’aéroport, ils partent pour leur lune de miel. Leur avion est à 8h.

- Louka, wait ! I need to talk to you ! »

Et je me rendormis.

Un peu plus tard, je sentis deux mains fermes me soulever, on me portait doucement tandis qu’autour de moi, une voix féminine demandait “Mais qu’est-ce que tu fais ?” et une voix grave, nerveuse, répondait “Je ne vais pas la laisser toute seule dans cet état… Je la ramènerai après vous avoir déposés à Ajaccio. Elle dort, de toute façon, alors elle peut aussi bien dormir dans la voiture. Elle t’a dit à quel hôtel elle était ?”

Une heure et trois claquements de portières plus tard, je repris vaguement pied dans la réalité. Le jour commençait à poindre, l’aéroport scintillait doucement, Ingrid baillait et riait en même temps, Louka et Pietro se taquinaient en italien en sortant les bagages de la voiture. Accolades, embrassades, puis nos mariés partirent main dans la main vers le comptoir d’enregistrement tandis que Louka revenait s’installer au volant.

Il faisait frais, je frissonnai un peu ; alors je sentis une veste se poser gentiment sur moi et le chauffage s’allumer comme par magie. Je ne pus que murmurer “Don’t be so nice... Louka, I need to talk to you ; I really need to talk to youPromise you will listen to me ; promise !” Il promit comme on cède au caprice d’un enfant, alluma l’autoradio et reprit la route.

Je sombrai de nouveau et me réveillai à Sagone, sur le parking de mon hôtel. Louka attrapa ma clé dans mon sac à main, lut le numéro, puis se pencha vers moi, me souleva aussi facilement que si je n’avais pas repris deux fois du dessert, et me porta jusqu’à ma chambre.

Je me lovai contre lui, j’étais probablement plus pathétique que sexy ! Et il mit fin à toute velléité de séduction en m’assenant d’un ton sec : “Arrête ton cinéma, Romy, je n’ai vraiment aucune intention de profiter de la situation !”

Dommage…

Il ôta mes chaussures, m’allongea sur le lit, me fit boire un grand verre d’eau puis murmura plus doucement : “If you need anything, I’ll be right there sur le fauteuil.”

*Les démons de minuit, d'Images ; in L'album d'Images, 1986.

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