LI. Pas d'amie comme toi

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LI. Pas d’amie comme toi*

Ingrid fut la première à aborder le sujet.

Elle s’était invitée chez moi quelques semaines après mon emménagement. Ainsi la récupérai-je aux portes de JFK, pétillante comme si elle ne descendait pas d’un vol transatlantique ! Elle n’avait pas changé, cheveux courts, idées longues, oeil de biche et humour corrosif.

Nous nous retrouvâmes complices et confidentes comme si nous ne nous étions jamais quittées. Et dès le soir de son arrivée, nous savourâmes une bouteille de vin français en bavassant comme deux vieilles copines.

« - Tu as l’air en forme, Romy ; ça me fait plaisir de te voir comme ça.

- Merci ! Je crois que le pire est passé.

- Tant mieux… Je ne savais pas trop ce que je pouvais faire pour toi de loin… Je suis contente que tu aies réussi à te remettre aussi bien. En plus tu es canon avec cette coupe !

- Tu parles, j’ai pris au moins 5 kilos et j’ai des cernes comme d’immenses poches de brouillard.

- Tu es jolie quand même… Et côté moral, ça va ?

- Maintenant oui. Au début ça a été horrible mais là ça va beaucoup mieux. Et puis ça me fait du bien de travailler de nouveau.

- Et Louka ?

- Louka, what ?

- Tu lui as parlé ?

- Non…

- Il ne t’a jamais donné de nouvelles ?

- Non.

- Moi, je l’ai vu. Le mois dernier. J’ai un peu discuté avec lui, et j’ai été surprise, finalement. Je l’avais rangé un peu arbitrairement dans la case du dragueur sympa mais assez pathétique, et en fait, c’est un chouette gars ! Je comprends que tu aies craqué si fort… Je veux dire, au-delà de la gravure de mode, je trouve qu’il a du fond, du coffre. Du cœur.

- Je sais, oui.

- Il a aussi un cerveau, apparemment ; il vient de réussir l’examen d’entrée à l’école d’avocat.

- Tant mieux pour lui.

- Tu t’en fiches ?

- Oui… Enfin non ; je suis contente pour lui, si c’est ce qu’il voulait, mais je n’ai pas très envie d’en savoir plus.

- Eh bien lui, il m’a demandé de tes nouvelles. Je ne savais pas trop quoi répondre. Je lui ai juste dit que tu allais bien… Et puis j'ai changé de sujet.

- Dis donc, Ingrid ; si tu as croisé Louka… C’est que tu as revu Pietro ?

- Oui !

- Enfin ! Et alors ???

- En fait, il m’a rappelée il y a deux ou trois mois. Il m’a expliqué qu’il avait quitté son Italienne, qu’il était en stage à Paris pour quelques mois, qu’il pensait à moi de temps en temps… On a commencé à s’appeler juste comme ça, pour bavarder, et puis évidemment il a fini par venir me voir à Bruxelles et là…

- Et depuis vous filez le parfait amour !?

- Exactement !

- Je suis contente pour toi, Ingrid. Pietro est sympa, beau mec, intelligent… Il te mérite, je crois. Comment va-t-il ?

- Très bien. Il travaille au Ritz, tu te rends compte ? Je ne sais pas comment il fait pour supporter le milieu du luxe mais lui, il adore ça ! Dans trois mois il aura fini son stage, il ne sait pas encore où il ira ensuite mais avec son métier, il a l’embarras du choix… L’autre jour, il m’a même demandé où j’aimerais qu’il aille.

- Bruxelles, ce serait bien non ?

- En fait, je crois que je préfèrerais me rapprocher du soleil… Ce n’est pas la peine de m’amouracher d’un Italien si c’est pour le faire venir dans le gris de la Flandre !

- Eh ben, c’est du sérieux tout ça.

- Oui… C’est étrange, je n’ai jamais vécu ça ; c’est tellement simple… J’ai l’impression de vivre dans un film un peu tarte, mais sans les robes de princesse ridicules !

- Je ne t’imagine pas une seconde encombrée d’une robe de princesse… Mais il ne faut jamais dire jamais ! En tout cas, avec ou sans froufrous, j’espère vraiment que tu seras heureuse avec Pietro. Tu as rencontré sa mère ?

- Pas encore ! Mais c’est prévu, figure-toi… D’ailleurs ça me fait un peu peur ; quand tu rencontres la mamma ce n’est pas rien… Surtout quand c’est Chiara Battisti en personne !

- Elle va t’adorer.

- J’espère… Je te raconterai ! Pour l’instant le seul de la “famille” avec qui j’ai passé du temps en tant que girlfriend officielle, c’est Louka. Pietro squatte chez lui à Paris, et je me suis incrustée pendant un week-end.

- Rue de Médicis ? Ils vivent ensemble dans ce petit appart ?

- Ce n’est pas si petit pour un appartement en plein Paris ! Et puis ils ont tellement l’habitude d’être l’un sur l’autre, ces deux-là ! Il y a une vraie fluidité entre eux, c’est agréable. Ils sont complètement inséparables et insubmersibles et pourtant ils ne sont pas excluants du tout. Bon, je t’accorde que partager le canapé du salon avec Pietro, ce n’était pas Byzance, mais ça a quelques avantages... Louka m’a accueillie chez lui sans chichi, et en plus il cuisine super bien, je me suis régalée !

- ...

- Romy, pour être franche avec toi, je ne suis pas tellement à l’aise. J’aime Pietro, tu sais, je l’aime vraiment. Si je fais ma vie avec lui, Louka fera forcément partie du package… Il est sympa, bienveillant, ultra-fiable dans son amitié avec Pietro. Et moi en retour, j’ai l’impression de lui mentir… Et de mentir à mon amoureux. Ou en tout cas, de leur cacher quelque chose d’important. Je n’ai pas très envie de garder ça dans ma poche, et de devoir réfléchir à chaque fois que j’ouvre la bouche pour m’assurer que je ne fais pas de gaffe. Tu as perdu son enfant, Romy. Tu ne crois pas qu’il faudrait que tu le lui dises ?

- Je sais, Ingrid. Je suis désolée… Au départ, c’était pour me protéger, parce que sa voix au téléphone m’aurait fait infiniment mal ; et puis je lui en voulais à mort d’avoir couché avec cette nana !

- Tu tenais à lui à ce point ?

- Oui ! J’étais raide amoureuse… Alors il fallait que je parte avant que ça me détruise complètement.

- Hmm… Admettons. C’est sûr que même si vous n’étiez pas vraiment un couple, il a eu tort de coucher avec cette gonzesse ! Et ensuite ?

- Ensuite, j’avais peur qu’il me dise de ne pas garder le bébé, qu’il me propose de payer mon avortement ou quelque chose comme ça... Je n’avais pas envie d’entendre ça.

- Et maintenant ?

- Maintenant… J'ai l’impression d’avoir fait quelque chose de mal, j’ai peur de sa réaction à un point que tu n’imagines même pas ! Et plus le temps passe, plus c’est difficile… Surtout que l’histoire finit mal. Je ne sais pas comment il réagira.

- Commence peut-être par lui laisser une chance de réagir ?

-... »

Ingrid et moi partageâmes dix jours extraordinaires, arpentant les rues de New York dans tous les sens comme deux billes de flipper. Elle voulait tout voir, tout goûter, tout sentir, et j’appris mille et une choses sur ma propre ville ! Puis elle rentra à Bruxelles.

Quelques mois glissèrent sur l’été de Brooklyn. Ma vie était douce, je profitais de la lumière et du soleil, j’adorais mon job, je croquais New York à pleines dents !

Je pensais encore souvent à mon enfant, abandonnée six tristes pieds sous la terre du Wyoming. Mais au lieu de me retenir, de me bloquer, ce souvenir apprenait peu à peu à marcher avec moi sur le chemin de la vie, comme une valise que je porterais toujours.

*Pas d'ami comme toi, de Stephan Eicher ; in Engelberg, 1991.

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