XLIX. Mon petit lapin a bien du chagrin

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XLIX. Mon petit lapin a bien du chagrin*

Une heure plus tard, je fixais un écran tremblotant sur lequel apparaissait la silhouette fantomatique de mon petit enfant. Son coeur battait fort, le mien aussi ! Le médecin m’annonça une petite fille en parfaite santé, je repartis avec deux photographies en polaroïd et de l’espoir plein les yeux.

Je m’étais imaginée avec un fils, un p’tit loulou qui aurait la beauté magique et le regard étoilé de son père. Et la vie m’offrait une fille. J’étais un peu surprise, bêtement : comme si je ne savais pas qu’il y avait une chance sur deux ! Mais j’étais heureuse... J’envoyai la photo à Ingrid par texto, elle me répondit par une avalanche d'émoticônes enthousiastes.

C’est cinq jours plus tard que le pire arriva. Je me réveillai en pleine nuit, pleine de sueur et de sang. Je criai, je courus réveiller mon père. Je savais déjà ce qui allait arriver… Mais je ne sus jamais pourquoi l’accouchement se déclencha comme ça, sans autre raison que la malchance.

J’étais paniquée, je luttais de toutes mes forces contre cette étrange fatalité qui faisait que mon corps ne demandait qu’une chose : pousser ! Pousser encore et encore pour expulser cette petite vie dont la flamme n’avait même pas eu le temps de s'allumer. Ce fut sûrement le pire moment de ma vie. J’accouchai toute seule, sous les encouragements désolés d’une sage-femme trop compatissante pour être supportable : mon corps ne mit au monde qu’un tout petit cadavre.

Les autres femmes ont des enfant roses, chauds, hurlants ; mais ma petite fille naquit bleue, froide, silencieuse pour toujours. Pourtant elle était parfaite, minuscule, avec une masse de cheveux châtain assez improbable. Ses yeux avaient la forme de ceux de Louka, mais elle avait ma bouche, mes mains. Elle était merveilleuse ! Mais elle ne respirait pas. Et je n’ai jamais pleuré aussi fort que quand on me l’a mise dans les bras… Sauf peut-être, quand on me l’a reprise pour toujours.

Je dus ensuite choisir un prénom ; moi qui jouais régulièrement, depuis quelques mois, à chercher des idées sur Internet, je me trouvai soudain nue et desséchée, à des années-lumière de la réalité. Et puis dans un soupir me vint à l’esprit un prénom parfaitement corse, comme une reconnaissance à lire entre les lignes froides et incomplètes de l’état-civil. Letizia.

Elle fut enterrée avec ma mère, dans ce petit cimetière tranquille du Wyoming où les arbres semblaient toujours parler directement au ciel. Pourtant, les deux douleurs ne se ressemblaient pas. A la mort de ma mère, j’avais enterré avec elle quelques morceaux de mon passé. En perdant ma fille, ce sont quelques miettes de mon avenir qui se sont effacées pour reposer à ses côtés pour toujours.

*Mon petit lapin a bien du chagrin, comptine pour enfants.

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