XXXIV. L'eau à la bouche

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XXXIV. L’eau à la bouche*

Et pourtant, Louka m’appela vers 18h. Il avait raccompagné sa sœur, il était dans le métro, avait changé son billet d’avion et me demandait l’hospitalité. J’en fus heureuse comme une gamine, l’idée qu’il ait pu retarder son départ pour me revoir me rendait euphorique ! Et en l’accueillant chez moi quelques minutes plus tard, je lui adressai un sourire digne de Sa Majesté des Nouilles.

« - Hey… Merci d’ouvrir ta porte à un poor lonesome homeless foreigner !

- De rien… Et puis, you might be lonesome and homeless, mais tu n’es pas poor ! Ni étranger d’ailleurs ; tu es né aux Etats-Unis, non ?

- I was born in LA… Mais j'ai renoncé à la nationalité, à ma majorité. Does it matter ?

- Absolutely not ! J’essaye juste de me repérer dans ta géographie qui est un peu plus complexe que celle de la moyenne des gens.

- Ce n’est pas si compliqué. J’ai deux nationalités : celle de mon père, et celle du pays où j’ai grandi… Mais ça aurait pu être pire ! J’aurais pu avoir un passeport brésilien, et canadien, et russe, voire peut-être italien si ça se trouve ! Anyway, where would you like to go for dinner ? You choose the restaurant and I invite you there.

- Anywhere ?

- Absolutely ! Even if it’s very expensive and pretty far away.

- Tu as gagné au loto ?

- Romy, je suis l’orphelin de deux superstars. Alors tu peux choisir le resto le plus cher de Manhattan, si c’est celui-là qui te fait plaisir.

- You know what would really please me ?

- Tell me.

- En fait, je préfère rester ici… Je sais que c’est tout petit, que ma cuisine ressemble à un placard et que je n’ai même pas de vraie table. Mais je n’ai pas envie de sortir. Je suis crevée, toi aussi, tu as des cernes presque jusqu’aux genoux ! Et puis il pleut… Let’s stay here ! And maybe you could cook ? On mangerait bien au chaud sous la couette comme deux vieux… J’adorerais ça ! »

Louka me gratifia d’un sourire fantastique, prit mes clés et son manteau et sortit faire quelques courses. J’en profitai pour m’offrir une douche délicieusement chaude dans la micro salle de bain sur le palier. Puis j’enfilai mon jean préféré et un petit pull bleu, et je restai sans chaussure ni maquillage ; je n’avais pas envie d’en faire trop, juste d’être bien.

Je retrouvai Louka en plein duel avec un demi-poulet, qui avait fini à la casserole entre olives et citrons confits, et avec deux pauvres aubergines, qui furent enfournées sans ménagement entre mozza et parmesan. Il faisait épouvantablement chaud près de la cuisinière, Louka s’était mis torse nu sous le tablier ridicule que mes copines m’avaient offert pour mes 20 ans et qui affirmait en lettres noires sur fond rose : “For your own safety, NEVER let me cook !”

Je mis de la musique en sourdine sur mon téléphone et m’assis sur le lit, adossée au mur, pour le regarder finir ses grandes manœuvres culinaires. L’air sentait le Maroc et l’Italie, la lumière était chaude. La soirée s’annonçait douce et feutrée ; et même en tablier dans ma chambre trop petite pour deux, avec ses cernes mauves et ses côtes saillantes, Louka rayonnait comme une évidence.

Il était bavard et détendu comme un jour de vacances, et je me sentais la reine du monde : une reine aux pieds nus et au grand sourire tarte.

*L'eau à la bouche, de Serge Gainsbourg ; single, 1960.

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