XXXIII. Une nuit sur son épaule

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XXXIII. Une nuit sur son épaule*

Quelques jours après cette soirée, je reçus une carte et un joli dessin m’invitant à dîner pour fêter les 11 ans de Mila. Le jour J tombait un jeudi, j’avais du travail par-dessus la tête et je pensais avoir quelques heures devant moi pour en venir à bout.

C’était sans compter sur Louka et son grand sens de l’organisation. Pour son anniversaire, il devait récupérer Mila à l’école et l'emmener au cinéma, pendant que Thomas finirait les préparatifs : gâteau crémeux, décoration mielleuse, arrivée des copines, tout devait être parfait. Sauf que Louka ne put pas monter dans son avion. Il était parti à Essaouira avec son passeport marocain et sa carte d’identité française. Or pour entrer sur le territoire américain, il lui fallait soit un visa sur son passeport marocain, visa qu’il n’avait pas du tout pensé à demander, soit son passeport français, passeport qu’il avait laissé à Paris. Il dut donc faire un (long) détour par la rue de Médicis, avant d’enfin pouvoir embarquer pour New York. Mauvaise anticipation, ou bel acte manqué pour ne pas reprendre ce vol Royal Air Maroc entre Casablanca et JFK qui lui avait laissé de si mauvais souvenirs ? Toujours est-il que Thomas m’appela en catastrophe pour que j’aille chercher Mila à l’école.

Je trouvai l’héroïne du jour toute triste et franchement déçue de me voir, moi, et non son frère adoré. Je tentai de lui expliquer que Louka arriverait plus tard, mais à peine avais-je prononcé le mot Morocco qu’elle commença à pleurer toutes les larmes de son corps, répétant entre deux reniflements qu’elle savait qu’il ne l’aimait plus, qu’il ne viendrait plus, et que de toute façon elle détestait le Maroc (où elle n’avait jamais mis les pieds). Je maudis Louka intérieurement de me valoir une scène pareille, avec nez rouge et grandes eaux, mais je fus heureusement sauvée par le dernier Walt Disney qui réussit, avec l’aide d’un gigantesque cornet de pop-corns, à faire revenir le sourire sur le visage de Mila.

Ce sourire s’élargit encore une fois chez elle : il y avait une dizaine de ses copines de classe, des ballons rigolos partout dans l’appartement, des brochettes de bonbons… Mila reçut plein de gadgets trop roses et trop chers et quand vint le moment de clore la soirée, elle était encore surexcitée ! Thomas lui offrit alors son dernier cadeau : un beau billet d’avion bleu-blanc-rouge pour Ajaccio. Mila sembla un peu perdue, comme si cela n’avait pas de sens en l’absence de son frère, mais elle n’eut pas le temps de s’interroger : elle fila se brosser les dents puis se mettre au lit, avec autorisation de lire un peu.

Louka finit par arriver vers 23h. Sans l’ombre d’une attelle, et presque sans boîter, il alla embrasser Mila, lui lut une histoire, et resta auprès d’elle jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Pendant ce temps-là, je discutais au salon avec Thomas, bien au chaud autour d’une tisane. Je l’aimais bien, il était simple, humain, attentif… Il me dit soudain qu’il avait besoin de quelqu’un pour accompagner Mila en Corse cet été, que si j’étais libre ce quelqu’un pouvait être moi, mais que sinon il embaucherait une autre baby-sitter. Je fus d’abord tentée (chouette, 5 semaines avec Louka !), puis gênée (euh, on va me payer pour ça ?) mais je finis par accepter quand la jalousie fit irruption dans ma tête (pas question qu’une autre parte à ma place !).

Thomas me sourit et dit qu’il s’occuperait de mon billet ; puis il se leva et alla dans la chambre de sa fille voir si tout se passait bien. Mila rêvait à poings fermés, roulée en boule autour du bras de son frère qui s’était endormi sur le bord du lit. Il le réveilla gentiment, lui proposa de passer la nuit dans la chambre d’amis ; mais Louka refusa, remercia quand même, ramassa ses affaires, serra la main de son beau-père et proposa de me déposer en taxi.

Il avait réservé une chambre dans son hôtel habituel, celui où il m’avait emmenée le soir de mes 21 ans. Sans réfléchir, je lui proposai de monter chez moi. Il s’excusa en disant qu’il était crevé et qu’il ne serait sûrement pas bon à grand chose. Je lui répondis qu’il pouvait monter chez moi pour y dormir, tout simplement. La fatigue dans ses yeux verts se teinta de surprise, mais il accepta et dix minutes plus tard, il s’effondrait presque dans ma toute petite chambre. Il s’endormit en deux secondes et j’en profitai allègrement pour me pelotonner tout contre lui.

Je dormis comme une bienheureuse, Louka faisait un oreiller ferme et chaud contre ma joue. En ouvrant l’oeil, puis l’autre, je le vis devant moi, il n’avait pas bougé d’un pouce, ses paupières étaient closes, il était d’une beauté enfantine et scandaleuse et je ne me retins pas d’embrasser doucement ses lèvres douces et fraîches. Il sourit, ouvrit sur moi ses deux billes d’émeraude et hocha moelleusement la tête quand je lui demandai s’il avait bien dormi. J’émis alors l’idée, puisqu’il avait repris des forces, d’en abuser un peu. Il approuva pleinement et me fit l’amour très vite, très fort, j’avais tellement envie de lui... Puis je passai en revue, d’une main gourmande, toutes les griffures de son corps amaigri pour vérifier leur cicatrisation, tout en constatant à voix haute qu’il était fort agréable de se réveiller à ses côtés.

« - Nice to wake up on your side too.

- I missed your skin… Même balafrée !

- Tu vois, je tiens ma promesse.

- Laquelle ?

- Celle de te laisser me peloter le ventre à volonté une fois que tout aurait cicatrisé… Tu avais oublié ?

- Non ; j’avais juste envie de voir si toi, tu n’avais pas oublié.

- …

- Miam, je crois que je pourrais le manger tout cru, ton ventre…

- Même avec les deux immondes balafres en plein milieu ? Parce que moi, j’ai l’impression d’être un mauvais remake de Frankenstein.

- Tu exagères. Bon, là elles sont encore très roses mais ça va s’éclaircir.

- Oui, comme ça j’aurai des traces toutes blanches au milieu de mon bronzage, ce n’est pas beaucoup mieux.

- Pffff… Moi je l’aime bien comme ça, ce ventre. Il est tout chaud, tout tendre, bien ferme... Si je mets la main juste là, je te sens respirer, ça vibre quand tu parles et ça respire quand tu dors. J’adore. Je pourrais le grignoter pendant des heures.

- Marrant que tu aimes justement cet endroit-là… Mais je prends, tu peux le grignoter autant que tu veux maintenant, il n’y a plus de risque sanitaire...

- Waouh ! Tant que je veux ?

- Oui… Tant que je suis là, du moins.

- Et tu restes jusqu’à quand ?

- Ce soir, tard.

- Ah oui, c’est un open-bar tout à fait relatif... Pourquoi tu viens jusqu’à New York pour n’y rester que 24h, à peine ?

- I came for Mila’s birthday… I don’t like that city.

- I know… But Mila needs you. She misses you. Elle te voit toujours entre deux avions, tu devrais essayer de rester un peu plus longtemps, pour une fois. »

Je finis par me lever à contre-coeur, j’aurais mille fois préféré prendre mon temps, voire mon pied, en si bonne compagnie. Mais je devais aller au bureau, et Louka avait rendez-vous avec son banquier et son assureur. Ensuite il récupérerait Mila devant l’école à 15h tapantes, l’emmènerait à la patinoire puis la déposerait chez son père avant de filer à l’aéroport.

*Une nuit sur son épaule, de Véronique Sanson ; in De l'autre côté de mon rêve, 1972.

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