La bataille des deux rois

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Mon nom est Philidor. Je suis fantassin dans l’armée de Mélas, mon Roi. En première ligne. Prêt pour le Combat, celui pour lequel j'ai été formé. Paré à en découdre. Déterminé à me battre jusqu'au sacrifice. Les autres à mes côtés sont comme moi : résolus à rejoindre l’autre monde si le destin le commande.

Une lumière aveuglante s'est abattue sur le champ de bataille aux reflets d'ivoire et d'ébène. Nous avons reçu l’ordre d’attendre que l’armée adverse fasse le premier pas. Mon casque commence à chauffer violemment, il est temps que l’assaut soit lancé.

Le silence sépulcral imposé par notre roi fait régner dans nos rangs une tension palpable, une nervosité sourde. Les chevaux ne sont pas en reste : ils trépignent, piaffent d’impatience.

J’aperçois, au loin, les gens de pied de l’armée ennemie ainsi que les tours pâles du château de Leucade qui se dressent derrière, majestueuses et fières, éclatantes de beauté. Nous sommes de force égale, des soldats vaillants, de part et d’autre.

Je crois distinguer au coeur de l’ost ennemi la haute silhouette de Leucos, Roi de Leucade, dont Mélas était le compagnon autrefois, avant que ce dernier ne décide astucieusement de placer ses pions pendant qu’il était parti guerroyer dans les grandes terres de l’Est. Mélas avait tiré parti de cette absence pour lui subtiliser une partie de son royaume qu’il dirige maintenant d’une main de fer. Certains d’entre nous se souviennent d’avoir servi Leucos, mais ce temps est révolu. Ils doivent faire face à lui aujourd’hui.

Pour Leucos, il est temps de solder la trahison par le sang.

Pour Mélas, il est temps de prouver sa légitimité face à son ancien frère d’armes.

J’adresse un regard vers le ciel, puis une courte prière au Très-Haut. En face, les autres doivent en faire de même avec leur propre Dieu, mais je ne doute pas que le nôtre est plus puissant que le leur.

Un signal retentit soudain : l’ennemi a enfin décidé d’engager le combat. Nous allons pouvoir en découdre. À notre grande surprise, un fantassin adverse s’avance seul sur le champ de bataille et reste planté là, à découvert. D’un geste bref, Mélas ordonne à l’un des nôtres d’avancer également, peut-être pressent-il un piège ?

Les deux soldats se toisent de longues secondes, l’épée tirée, le pavois prêt à parer les coups, mais aucun des deux ne fait le premier pas, comme s’ils étaient tétanisés par l’enjeu.

Ils restent ainsi à se regarder lorsqu’un éclair blanc jaillit sur le champ de bataille et le traverse de part en part, semblant flotter au-dessus du sol.

De notre côté, le duc Mélanos, sur son cheval caparaçonné, sort à l’avant-garde pour mieux jauger la situation, et fait volter sa monture en direction du spectre qui vient d’apparaître devant nos lignes.

  • Quelle sorcellerie est-ce là ? fait-il de sa voix imposante. Des couards qui n’osent se livrer, et maintenant, un fantôme !

Le spectre répond, plein de morgue :

  • Votre jugement vous trompe, seigneur Mélanos ! Je ne suis point un fantôme ! Vous avez devant vous la Dame Blanche ! Et je suis venue pour châtier l’Usurpateur !

Je me mets à trembler sous mon broigne. La Dame Blanche fait partie de ces histoires contées le soir à la veillée. Quand j’étais minot, plus d’une fois j’embrénais mes chausses lorsque j’écoutais les légendes à son propos. On raconte qu’elle a envoûté le Roi Leucade et fait office de Reine désormais. La Légende de la Dame rapporte qu’elle est dotée de pouvoirs maléfiques d’une puissance redoutable, et surtout, qu’elle peut renaître de ses cendres. Voilà qu’elle est ici, à deux pas devant moi ! Je n’en crois pas mes yeux ! Cette histoire va chabler, c’est certain !

J’en suis là de mes considérations, lorsqu’un soldat adverse se rue vers notre première ligne en hurlant comme un dément. Il s’arrête lui aussi en plein milieu, comme frappé par la grâce. Il nous lance un regard fou, roule des yeux, tire la langue, frappe son armure avec les poings et nous agonit d’injures. Il n’en faut pas plus pour que le prince Méléna, frère de Mélanos, sorte lui aussi du rang. Hiératique, droit sur son destrier à la robe alezan brûlé, il porte dossière et ventrière d’acier. Son heaume sombre brille d’une lumière crue. Son écu est frappé des armoiries royales, sable et cendré. La poussière vole sous les sabots de sa monture qui trépigne sous lui.

D’un geste sec, il ouvre son vantail et dévoile un rude visage hâlé.

  • Regardez ces faibles qui n’osent se livrer ! De piètres soldats gouvernés par des stratèges infatués et grotesques !

Un soldat de notre vieille garde, qui n’a plus toute sa tête, siffle entre ses dents : « On mesure la qualité d’une stratégie à ses résultats, Monseigneur, bien fol qui pourrait dire le contraire » .

Le prince ne relève pas l’ironie, et continue de plus belle.

  • Cessez de finasser et combattez hardiment !

La dame Blanche, à ces mots, se redresse et fond droit sur le jeune fantassin à ma droite. Elle le fait virevolter au-dessus d’elle, défonce son heaume, cogne avec fureur, aligne les coups, fend son plastron, déchire sa brigandine. L’autre a tout juste le temps de tirer l’épée, qu’il est proprement taillé en pièces.

Personne n’ose s’interposer. Nous sommes tous déroutés, hébétés par la violence de la scène et par la Dame Blanche qui paraît plus grande encore à présent.

Elle me tourne le dos et fait face à mon Roi qui n’ose dire mot. Il baisse la tête, penaud.

  • Mélas, vous portez une couronne, mais la couronne ne fait pas le roi. Vous êtes défait !

Au-dessus de nous, un rire moqueur éclate. Dieu apparaît et annonce fièrement :

  • Je ne pensais pas qu’un simple coup du berger te ferait plier. Echec et mat, mon ami !

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