VI - Rencontre

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Je suis rentrée très tôt ce matin de mon escapade nocturne. J'étais si fatiguée que je me suis immédiatement effondrée dans mon lit, sans avoir eu le temps de remettre mon pyjama. Ayant besoin de beaucoup de sommeil, autant dire que le réveil a été douloureux malgré l'absence de cauchemars.

L'esprit dans le brouillard, je me suis préparée avec des mouvements d'automates avant d'aller prendre la navette qui m'emmène tous les matins au lycée. Ce n'est qu'arrivée devant les portes de l'établissement que j'ai enfin réussi à ouvrir les yeux et à me connecter à la réalité. Je suis restée près de deux minutes à les regarder stupidement avant de réagir et de me diriger vers mon premier cours de la journée : étude des langues anciennes.

J'arrive juste avant la sonnerie annonçant le début du cours et entre mon code sur la table numérique. Je pose ensuite mon sac par terre et m'affale sur la chaise. L'enseignante n'est pas encore arrivée, ce qui est plutôt étrange puisqu'elle appartient au genre de professeurs qui sont toujours là dix minutes avant le début de leur cours pour finir de tout préparer. Je consulte le sujet du jour et lâche un grognement de désespoir, aujourd'hui nous allons apprendre une comptine en anglais. Génial ! C'est parfait pour s'endormir... je vais peut-être réussir à ne pas faire de cauchemars grâce à elle, qui sait.

J'ouvre le lien qui conduit au fichier audio de la chanson puis l'écoute. Je suis plutôt étonnée, elle est tout à fait ravissante. Dès la deuxième écoute, je me surprends à chantonner certains vers en même temps, malgré le fait que je ne comprenne pas toutes les paroles.

Autour de moi, les autres bavardent ou écoutent aussi la chanson, voire les deux à la fois. Tout le monde est présent et assis à sa place. Il y a cependant une chaise vide. Dès que je la remarque, je ne peux plus en détacher mon regard, j'en viens même à ne plus faire attention à la chanson. J'ai l'impression qu'elle me nargue, qu'elle se moque de moi et de mon impuissance, ce jour-là. Je secoue la tête et me force à en détacher mon regard.

Je consulte mon bracelet digital, la professeure a dix minutes de retard. Si elle n'est pas là d'ici cinq minutes, nous aurons le droit de quitter la salle et nous aurons quartier libre jusqu'à l'heure suivante. Je préfèrerai que cela n'arrive pas. Je déteste perdre mon temps.

Heureusement pour moi, moins de deux minutes plus tard la porte s'ouvre sur Mademoiselle Anzeit. C'est une jeune femme rousse d'une trentaine d'années aux sublimes yeux verts. Elle est absolument adorable et toujours de bonne humeur. Mon total contre-pied. C'est peut-être pour cela que je l'apprécie autant.

Elle ne ferme pas la porte mais prend tout de même sa place habituelle devant le tableau. Le fait qu'elle ait laissé la porte ouverte a éveillé ma curiosité, aussi, quand elle commence à parler, je suis toute ouïe.


  • Bonjour à tous et désolée pour mon retard. J'ai dû faire un crochet par le bureau du directeur pour accueillir un nouvel élève. Il rejoint votre classe et assistera désormais aux cours avec vous. Il ne devrait d'ailleurs plus tarder à arriver. Levez-vous donc pour lui souhaiter la bienvenue, nous annonce-t-elle avec un grand sourire qui fait pétiller ses yeux.

Elle n'a pas fini de parler que la classe s'est emplie du doux bourdonnement des chuchotements d'élèves surexcités. Moi aussi, je suis contente de voir une nouvelle tête, mais l'arrivée d'un nouvel élève me fait me souvenir de la mort de Jack. Je me demande même si j'arriverai à l'oublier un jour ou, au moins à réussir à effacer la douleur et le traumatisme de cet épisode.

Pendant que les autres discutent de la grande nouvelle, je ne peux m'empêcher d'imaginer à quoi ressemble le nouveau et à le comparer à Jack. Est-il aussi perturbateur que lui ou plus sérieux ? Quel âge a-t-il ? Est-il gentil, méchant ? D'où vient-il ? A-t-il été obligé de quitter ses amis ?


Un bruit de pas dans le couloir me tire de ma litanie de questions et je me lève prestement. Les pieds légèrement écartés, les bras croisés dans le dos et le menton relevé, j'ai l'impression d'être au garde à vous et d'attendre la revue aux côtés des mes camarades d'unité. Sauf que nous ne sommes pas des soldats, rien que des adolescents boutonneux - pour certains - attendant la venue d'un nouveau camarade de classe.

Les pas se rapprochent et une chaussure apparaît sur le pas de la porte. Elle est brune, tout bête. Elle est suivit d'un pied, puis d'une main aux longs doigts fins, des doigts de pianiste. Enfin, c'est le garçon tout entier qui pénètre dans la salle.

J'étouffe tant bien que mal un cri de surprise : ce garçon, je le connais. Ou plutôt, j'ai déjà fait sa rencontre, pour ainsi dire. Pas plus tard que la nuit dernière.

Il va rejoindre mademoiselle Anzeit et s'arrête à sa gauche, face à nous. Il est plus grand que ce dont j'avais l'impression, hier sous les rayons de la lune. Il est plus beau aussi. Et je peux enfin voir la couleur de ses yeux. Ils sont étonnants. De là où je me situe, ils semblent d'un noir tout à fait basique, mais quand il bouge, la lumière leur fait prendre des reflets tantôt bleus, tantôt verts forêts ou gris.


  • Bonjour à tous ! Je me nomme Hikage et j'ai dix-huit ans. J'espère qu'on s'entendra bien.

Sa voix me tire de ma torpeur contemplative. Elle est belle. Un mélange de chaleur et de douceur, qui lui convient tout à fait.

Nous lui répondons d'une même voix. Je dis nous, mais je parle plutôt des autres. Pour une raison inconnue ma voix ne marche plus et aucun son n'est sorti de ma bouche quand j'ai articulé le mot "bienvenue".

 

  • Bienvenue à toi, Hikage, lui souhaite la prof avec l'un de ses plus beaux sourires. Comme tu peux le voir, il y a deux places de libres. Je te laisse choisir celle que tu préfères.

Quand elle lui propose de choisir sa place, ma première pensée est que j'aimerais bien qu'il s'asseye à côté de moi. C'est bien la première fois qu'une idée pareille me vient à l'esprit et je fais de mon mieux pour la chasser en vitesse.

Hikage la remercie rapidement et prend la direction de la table juste à côté de la mienne et qui est libre. Mais il l'évite et continue sa route jusqu'à l'ancienne place de Jack. Il me frôle au passage et nos regards se croisent, faisant naître un frisson qui parcourt tout mon corps.

Une fois qu'il est à son bureau, mademoiselle Anzeit nous donne la permission de nous rasseoir et le cours débute.

Durant toute l'heure, je ne peux m'empêcher de penser à lui et au hasard qui nous a fait nous rencontrer la nuit dernière pour ensuite nous placer dans la même classe. Le monde est si petit.

À un moment, j'ai la sensation d'être observée et, quand je me retourne, je vois son regard sur moi. Je ne me suis plus retournée de toute l'heure après cela.

Le cours passe à une vitesse folle et la sonnerie retentit bientôt. Je ferme les fichiers que j'ai ouverts et range mes cahiers et mes stylos. Je m'apprête à quitter la salle quand la prof m'interpelle. Je la rejoins, suivit d'Hikage qu'elle a aussi appelé.


  • Mana, j'aimerais que tu présentes l'établissement à Hikage et que tu le lui fasses visiter durant la pause du déjeuner, me dit-elle avec son sourire coutumier.

A ces mots, mon coeur rate un battement. Cela signifie que je vais me retrouver seule avec un parfait inconnu. Je fais un joli sourire, puis je dis :


  • Oui madame, ce sera avec plaisir, tout en pensant que non, ça n'allait pas être un plaisir.

La pause du midi est un rituel sacré pour moi, une sorte de moyen de me ressourcer et de réparer mon armure avant de retourner dans la fosse aux lions. Car si je n'ai pas beaucoup de contacts avec les jeunes de ma classe, ou les jeunes en général, c'est principalement parce que je ne suis pas à l'aise avec eux.

Je ne pense pas de la même manière qu'eux et je ne sais pas communiquer. Je me retrouve toujours à dire des âneries et tout fini toujours de la même manière : eux qui sont, soit énervés, soit en train de se moquer de moi.

Je ne veux pas que cela se produise avec Hikage. Je ne le connais pas encore, mais j'ai la sensation qu'il est intéressant et qu'il pourrait m'apprendre énormément de choses, à condition que je ne gâche pas tout.

Nous prenons congé de mademoiselle Anzeit sur un dernier "au revoir" et nous dirigeons vers la salle suivante sans échanger un mot. Je m'efforce de garder le regard droit devant moi parce que je sais que si je n'y prends pas garde, il va revenir sur Hikage et je vais me retrouver à le dévisager en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Incapable de ne pas le regarder, je jette un bref coup d'oeil.

Il marche deux pas derrière moi et regarde tout autour de lui avec de grands yeux ronds. Il ressemble à un enfant dans un magasin de jouets. Un sourire apparaît sur mes lèves à cette pensée et je m'empresse de détourner la tête.

Nous arrivons finalement à la salle de cours sans qu'aucun mot ne soit prononcé. Lorsque nous entrons, les autres sont déjà à leur place. Je me dirige vers ma table et m'assois, Hikage sur mes talons. Il prend le bureau libre à côté du mien et le cours commence.

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