V - Contact

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J'attends patiemment que la patrouille passe, dissimulée parmi les ombres. Je m'élance ensuite juste derrière elle et pénètre dans le dôme par l'entrée de service, à l'aide de mes clefs. Ici, tout est calme et paisible. Les fausses étoiles clignotent joliment dans le ciel contrefait que constitue le dôme.

J'enlève mes chaussures et mes chaussettes puis enfouis mes pieds dans l'herbe. Aussitôt, un sourire apparaît sur mes lèvres et s'agrandit. C'est de la vraie herbe, la seule qu'on peut trouver dans toute la ville, à ma connaissance, et pas du gazon synthétique ou je ne sais pas quoi d'autre. Je lève la tête vers le firmament et trace mentalement les constellations en tiraillant des brins d'herbes avec mes orteils. J'aime venir ici, j'ai l'impression d'être dans le monde d'avant. Celui où tout était beau, naturel, et où les gens étaient heureux. Celui où le gouvernement ne cachait pas de secrets et où les gens ne "déménageaient" pas sans prévenir.

Je sais que ma vision du passé est naïve, elle est même probablement fausse, mais je me plais à imaginer qu'hier était parfait. Ça me permet de me dire que si hier l'était, demain le sera peut être aussi.

A cette pensée, j'ai un reniflement de dédain ; je suis vraiment puérile, quelle gamine ! Si je continue comme ça, je vais finir par croire aux contes de fées et au prince charmant. Le monde d'hier, tout comme le monde d'aujourd'hui, ne pouvait être parfait. C'est simplement impossible. Les hommes étant des hommes, il devait y avoir des injustices, des inégalités, la mort et la famine. Peut-être même des guerres. Non, il y avait certainement des guerres. De toute façon, à quoi y bon y penser ?

Cette ère est révolue et nous vivons désormais dans un monde dénué de beauté mais aussi de conflit depuis l'établissement du Gouvernement Central à l'Administration des Ressources et des Territoires, aussi nommé GCART. Son rôle, comme son nom l'indique, est de répartir l'ensemble des ressources selon les besoins de la population et de déterminer comment exploiter tel ou tel territoire. Il est certainement l'organisation la plus puissante qui existe aujourd'hui. Sa création a définitivement changé la face du monde, modifiant jusqu'à la notion de pays. En réalité, ils ont quasiment tous disparus.

Désormais, il n'y a plus vraiment de frontières entre les territoires, sauf en ce qui concerne les villes comme Centrale qui sont un cas particulier. Les habitants de Centrale ont le droit d'en sortir, mais les individus étrangers à la ville doivent remplir tout un tas de formulaires et de documents puis passer des tests avant d'êtres autorisés à pénétrer dans la ville, si bien que peu d'étrangers viennent par ici. C'est du moins ce que nous a dit monsieur Track. Il a aussi dit que ceci a été mis en place dans le but de protéger la population de la ville, son économie et ses industries.

J'arrête de rêvasser et ramasse mes chaussures avant de me diriger droit vers le lac. Je consulte une nouvelle fois mon bracelet, il ne me reste déjà plus qu'une demi-heure avant la prochaine patrouille, je dois me dépêcher.

Aujourd'hui, j'ai décidé de faire quelque chose que je n'ai pas fait depuis des années : me baigner. Quand j'arrive sur les berges, je me déshabille jusqu'à ne plus avoir sur moi que mes sous vêtements. Une fois en tenue légère, je dissimule mes habits sous un buisson et rentre dans le lac. Un frisson me parcourt aussitôt : il est bien plus froid que l'eau de ma douche.

Pour gagner du temps, je me mouille les bras et les jambes avant de continuer à avancer. Lorsque je suis immergée jusqu'à la taille, je m'arrête, prends une grande inspiration et plonge. La morsure du froid ne tarde pas à se faire sentir et je frissonne une nouvelle fois. Cette sensation est tout simplement grisante, à mi-chemin entre douleur et bien-être.

Je fais quelque brasses puis me laisse flotter sur le dos, le regard perdu parmi les étoiles. Je reste ainsi durant quelques minutes puis regagne la berge. Je m’assois dans l’herbe le temps de sécher. Il va bientôt falloir que je me cache : la prochaine patrouille va passer dans peu de temps.


La nuit, Centrale est une ville paisible mais cela ne dure jamais bien longtemps : aux première lueurs de l'aube les hommes et les femmes reprennent le chemin de leur travail, les enfants prennent les navettes pour se rendre à l'école et les machines sont relancées. La ville devient alors une ruche bourdonnante et puante où la vie sauvage n'a pas sa place. La nuit, bien au contraire, est le domaine des bêtes.

Plus d'une fois lors de mes sorties nocturnes, j'ai aperçu un rongeur ou un petit prédateur en quête de son déjeuner. J'ai même surpris une chouette en train de m'observer, un soir. Elle était ravissante avec son plumage beige et son visage blanc en forme de coeur. Je me suis toujours demandé comment les animaux pouvaient survivre dans un environnement tel que celui-ci, fait d'arbres synthétiques, de béton et de fumées toxiques. Nous n'avons pas de chiens et peu de chats, seulement de petits animaux domestiques qu'il est aisé de garder enfermés. Moi-même j'ai eu un hamster, autrefois. Mais il est mort quelques jours après la disparition de Liv. Cela m'a brisé le coeur, encore.

Ce soir, justement, les insectes sont particulièrement actifs. Bien à l'abri du dôme, ils ont prospéré et pullulent désormais. Les stridulations des criquets et des sauterelles résonnent dans l'air pur et font monter une migraine. J'aime beaucoup les entendre chanter, mais comme je n'en ai pas l'habitude, j'ai tendance à rapidement avoir mal au crâne. Dommage que je n'ai pas pris mes écouteurs, je les aurais enfoncés dans mes oreilles pour atténuer leurs cricris.

Je consulte mon bracelet, il me reste cinq minutes avant la patrouille. Je me rhabille rapidement puis je rejoins la cachette habituelle. Il s'agit d'un groupe de rochers au milieu desquels se trouve une petite cavité, juste de la bonne taille pour que je m'y cache. Après une brève vérification, je cesse de bouger : ils arrivent. Pile à l'heure.

J'entends leurs voix bien avant de voir le faisceau de leurs lampes. Ils ne sont vraiment pas discrets et rient à une blague lancée par l'un d'eux. Je reconnais leurs voix. Je ne sais pas à quoi ils ressemblent. Je ne les ai jamais vus, et heureusement car cela voudrait dire que j'ai été prise. En revanche, je connais chacune de leurs voix. Ce soir, c'est l'équipe numéro trois qui est de sortie.

Celui qui rit, c'est Alec, il a environ trente ans, est marié et père de deux petites filles. D'après ce que j'ai entendu la dernière fois, sa mère est malade. J'espère qu'elle va mieux. Il est accompagné de celui que j'ai appelé James. Je n'ai jamais entendu son nom et ne sais rien de lui : il préfère raconter des blagues salaces que sa vie. Normalement, ils sont accompagnés de Maggie, une jeune femme qui doit bientôt se marier, mais je ne l'entends pas ce soir. D'habitude, elle passe son temps à reprendre James pendant qu'Alec se tord de rire.

Je me crispe aussitôt, si elle n'est pas là, cela signifie qu'un inconnu est à sa place. Or, qui dit inconnu dit danger. Il est silencieux, j'ignore donc s'il s'agit d'un homme ou d'une femme et s'il fait sa première patrouille ou s'il a simplement changé d'équipe. Si c'est un nouveau, je vais devoir me montrer prudente : il risque d'être un peu trop zêlé et de m'attirer des ennuis. En venant vérifier ma planque, par exemple.

Quand ils passent devant moi, je me rencogne contre les rochers. Aucun d'entre eux n'a la mauvaise idée de pointer sa torche vers moi et ils passent rapidement. Alec ne rit plus et discute à mi-voix avec James. Je m'extirpe délicatement de mon creux et jette un coup d'oeil. Ils ne sont plus que tous les deux. Où est-ce que l'autre a bien pu passer ?

Un frisson de panique pur me parcourt et le rythme de mon coeur s'accélère. Je regarde tout autour de moi mais ne voit rien. Il a éteint sa lampe. Merde, merde, merde ! Je n'ai aucun moyen de savoir où il se trouve. Comme il ne fait pas de bruit en se déplaçant, il risque de me prendre par surprise. Je balaie encore la zone du regard et finis par capter un reflet métallique à quelques dizaines de mètres. Je remercie mentalement la lune et la finesse du nuage de pollution. Sans eux, mon escapade aurait pu mal finir.

Le garçon, car il me semble désormais que c'en est un, est debout sur les rives du lac et regarde le ciel, comme moi plus tôt. Prise d'une pulsion soudaine, je m'approche sur la pointe des pieds, en prenant garde à rester sous le couvert des quelques arbres qui poussent à cet endroit, puis m'accroupis. Il ne réagit pas.

De ma nouvelle position, je peux parfaitement l'observer grâce à un rayon de lune qui tombe sur son visage. Je ne vois que son profil gauche de là où je suis, mais c'est largement suffisant. De toute façon, si je m'approche encore, il me verra automatiquement.

Il a des cheveux ondulés légèrement trop longs qui lui tombent devant les yeux et un nez droit. Son menton est ferme et décidé, sa mâchoire, bien dessinée. Ses lèvres sont fines et semblent peu portées au rire. Sans être beau, il a un profil que l'on pourrait tout de même qualifier de séduisant. Mon regard quitte son visage et suit le contour de sa silhouette. Légèrement plus grand que moi, il semble uniquement fait de muscles. Son uniforme de garde lui va comme un gant. Je n'ai jamais vraiment été attirée par les garçons ou même les gens en général mais quelque chose m'intrigue en lui. Je n'ai qu'une envie : m'approcher plus et lui demander son nom, mais je ne dois pas le faire. Surtout pas. On ne doit pas savoir que je viens ici.

Pourtant, je tends la main vers lui et m'apprête à le toucher quand une voix agacée retentit dans le lointain :

  • Hikage ! Qu'est-ce que tu fous ? On t'attend, là !

C'est Alec. Il doit être pressé de rentrer chez lui et de retrouver sa femme.

J'ai juste le temps de me glisser dans les ombres que l'inconnu, Hikage donc, fait demi-tour et prend le chemin de la sortie. Je le regarde disparaître dans les ombres puis patiente quelques minutes avant d'emprunter le même chemin que lui ; il est temps de rentrer à la maison.



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Bonsoir à tous ! Comme vous pouvez le voir, ce chapitre est un peu plus long que les précédents. Il y a deux raisons à cela : son importance et le fait que j'ai galéré à l'écrire... Vos commentaires et annotations sont donc essentiels. Notamment en ce qui concerne l'enchaînement des événements, les idées et la description d'Hikage (il en faut plus, moins ? D'autres détails ?).

Merci d'avance, vous êtes géniaux ! <3

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