II - Résolution

5 minutes de lecture

Je lève une main, tout doucement, dans un geste d'apaisement. Je sais que si je fais le moindre mouvement qui lui déplaît, la situation risque de dégénérer. Il pourrait y avoir, au mieux, un blessé, au pire, des morts. Je n'ai donc pas le droit à la moindre erreur.

Mon coeur s'est mis à battre frénétiquement, le traître, et ma respiration est courte, limite haletante. Il faut que je me calme, sinon... Ma main gauche est toujours tendue vers lui, paume vers le haut. J'essuie délicatement la droite sur mon pantalon, elle est moite.

Je parcours rapidement la salle des yeux. Les autres n'ont toujours pas bougé, je suis bel et bien seule dans l'arène avec le lion. Mon regard s'attarde sur lui, le détaille. Comme nous tous, il porte un pantalon de toile beige avec un t-shirt gris ardoise assez pâle et des chaussures de ville en tissu épais. Ses cheveux sont ébouriffés, comme s'il ne s'était pas coiffé ce matin et son regard est étrange. A la fois fou et épuisé, comme s'il était sous l'emprise de drogues ou qu'il n'avait pas fait de nuit complète depuis longtemps. Ce n'est pas normal.

Il n'y a plus un bruit dans la salle depuis plusieurs minutes et je suis pétrifiée dans ma position d'apaisement. Jack, lui, a les deux pieds bien fixés dans le sol, les bras tendus qui nous maintiennent dans sa ligne de mire. Par contre, son regard saute de l'un à l'autre et d'un point à un autre. Il ressemble à l'un de ces petits singes que j'ai vu une fois à la télé, avant que celles-ci ne soient interdites. Toujours en alerte, crispé, il semble incapable de se détendre, comme s'il anticipait quelque chose, ou comme s'il était stressé, effrayé. Rien d'étonnant pour un preneur d'otage de tout juste dix-huit, me direz-vous.

D'ici peu, la sonnerie de fin de cours va sonner et un nouveau prof va entrer dans la salle, si la situation n'a pas évolué d'ici là les conséquences pourraient être terribles. Il faut faire quelque chose. A cette idée, j'ai un froncement de sourcils intérieur et je jette un coup d'oeil au prof. Il est définitivement HS. Il faut que quelqu'un agisse, et vite, et cette personne ne peut être autre que moi.

Une inspiration profonde et je me lance.


  • Jack ? demandé-je d'une voix aussi douce que possible.

Il sursaute, manquant de faire tomber son flingue, avant de fixer son regard sur moi. Là, il écarquille carrément les yeux, comme s'il ne m'avait pas vue avant, puis un air d'effroi pur se peint sur son visage. Pas bon ça, pas bon du tout !

Je fais un nouvel essai.

  • Hey, Jack, tu m'entends ? Parle-moi, dis quelque chose, n'importe quoi.

Cette fois, il ne sursaute pas. Mieux, son regard se fixe sur moi. Il me dévisage longuement. Un frisson glisse le long de ma colonne. Son regard rampe sur la peau nue de mon cou avant de descendre plus bas, de s'arrêter sur mes hanches et de reprendre sa course. Puis ses yeux font le même chemin, en sens inverse. Ce n'est plus l'effroi qui brille dans ses prunelles désormais, mais un regard lubrique, malsain. Il a définitivement pété un boulon.

Il ne parle toujours pas. Il faut pourtant faire quelque chose.

  • Jack, chuchoté-je, je t'en prie, Jack, parle-moi.

J'ai mis autant d'intensité que j'ai pu dans ma voix, il faut absolument qu'il réagisse, qu'il parle, comme ça, je pourrais peut-être le ramener à la raison.

  • Tu ne peux rien faire, me dit-il.

Sa voix est étonnante, rauque comme s'il avait trop crié, alors que ce n'est pas le cas. Elle est aussi un peu hallucinée, enfin, je crois; je n'ai jamais été confrontée à un cas pareil avant aujourd'hui. Ça y est, cette fois il me regarde pour de vrai, mais il aurait mieux valu qu'il n'en fasse rien : son regard est comme sa voix, fiévreux, halluciné.


  • Tu ne peux plus rien me faire, Mana, tu m'entends ? Tout s'achève aujourd'hui et tout commence demain.

Un sourire fou étire ses lèvres. Ses yeux clignent, une fois, deux fois. Il lâche son arme de la main gauche et la passe dans ses cheveux, comme pour se rassurer. Le canon du pistolet descend. C'est le moment où jamais pour tenter quelque chose, mais il est trop loin. Ni moi, ni personne ne peut agir.

Il replace sa main sur la crosse de son arme et lèche ses lèvres lentement, son sourire tordu toujours présent. Cette fois, je tremble carrément. J'ai l'impression d'être face à l'un de ces psychopathes de l'Ancien Monde que l'on a étudié à travers des vidéos en cours de sciences humaines et psychologiques, et qui sont censés ne plus exister.

  • Qu'est-ce que tu veux dire par là, Jack ? Je ne t'ai jamais rien fait.

Ma voix n'est plus aussi forte que tout à l'heure comme si elle aussi, elle avait peur. Elle est désormais frémissante, fluctuante.

  • Tu le sais très bien, Mana. Après tout, c'est toi qui es entrée dans ma tête. C'est toi qui as joué avec moi. Qui m'as séduit et drogué avant de me torturer. C'est toi qui m'as violé. Toi qui m'as harcelé encore et encore jusqu'à ce que je craque et que je te supplie d'arrêter. Tu m'as mis une arme entre les mains la première. Tu m'as appris à tuer, Mana. Tu es responsable de tout ceci !

Il chuchote quasiment tout du long, le regard plus fou que jamais, mais finit par hurler la dernière phrase. Je me suis penchée vers lui pour entendre ce qu'il disait, tendue, fascinée et horrifiée à la fois. Je sursaute quand il hurle subitement et fais un pas en arrière, rentrant dans ma table, ma main glissant sur le dossier de la chaise, la faisant chuter dans un fracas de tous les diables.

Il n'y a plus un bruit dans la salle, les autres ne pleurent plus. Ils ont trop peur. Ils le regardent puis moi, et encore lui avant de revenir à moi. Heureusement, ils n'ont pas entendu le début de ce qu'il a dit, seulement la fin. Si j'ai de la chance, ils n'ont entendu que la toute dernière phrase.


  • Je ne comprends pas, Jack. Qu'est-ce que tu veux dire ? m'enquiers-je.

Ça y est, j'ai des trémolos dans la voix. Je suis prête à fondre en larme. J'ai peur, terriblement peur. De lui, de moi. De ce que les autres ont entendu. De ce que, moi, j'ai entendu.

  • "Je ne comprends pas, Jack", il m'imite en prenant une voix geignarde et nasillarde. Bien sûr que tu comprends ! Ah ! Mana, Mana, Mana, cesse de faire l'idiote, veux-tu ?

Il fait de grands gestes de bras, comme un orateur à la tribune mais veille à toujours garder le canon de l'arme vers ma poitrine.

  • Jack, je t'en supplie, pose ton arme et arrête tout. Je ne comprends pas où tu veux en venir. Je n'ai rien fait, tu le sais aussi bien que moi... nous ne nous parlons jamais. Je ne connais même pas ton nom de famille. Arrête tout, s'il te plaît.

Ma voix se fait suppliante puis sanglotante. Des larmes perlent à mes yeux puis commencent à couler le long de mes joues jusque dans mon cou puis sous mon haut. Ma vision se floute, ce qui fait que je ne le vois pas s'approcher, je n'entends que le son de ses pas.

Presque d'un seul coup, il se retrouve devant moi et se saisit de mon menton qu'il lève pour me forcer à le regarder. Sa main est chaude, son regard toujours fou.

  • N'oublie pas, tout est de ta faute, me rappelle-t-il.

Il se tire une balle.

Et la sonnerie retentit.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Morien ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0