Chapitre 56

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Huit heures. Les lumières s'allumèrent et Olympe se réveilla. Seule. Où était-il ? La parenthèse devait-elle déjà se refermer ? Elle s'apprêtait à se lever quand Guillaume déboula les bras chargés d'un petit déjeuner copieux apporté sur un plateau. En unique bonjour, il l'embrassa avec tendresse et déposa les victuailles sur le lit pour la rejoindre.

— Un moment, j'ai cru que tu t'étais sauvé comme un lendemain non assumé.

— J'y ai pensé, mais je ne savais pas où aller pour pas te retomber dessus. Du coup, pas le choix, je dois assumer, s'amusa-t-il.

Comme s'ils le faisaient depuis des années, ils déjeunèrent ensemble et discutèrent de la soirée, de la nuit et surtout de la taupe. Cette matinée simple après la nuit extraordinaire confortait la jeune femme. Une vie calme et paisible était possible. Après tous ces combats, elle n'aspirait qu'à cela, la normalité. Mais pour cela, il fallait démasquer cette taupe. Olympe espérait beaucoup des fuites volontaires de la veille. Guillaume, lui, était plus prudent.

Après plus d'une heure à échanger, elle souhaitait retourner dans sa chambre pour prendre des affaires et se doucher. Pourquoi ne pas se servir de sa salle de bain, proposa le gradé.

— Dis moi, même dans un bunker, être capitaine a ses privilèges ! C'est gentil mais j'aimerais récupérer des affaires propres, répliqua Olympe.

— Pas de souci, mais je pense que tu vas vite revenir chez moi.

Légèreté, complicité, normalité. Parfait. Comment imaginer plus beau début de journée ? Tandis qu'elle se moquait de son assurance, elle quitta la pièce, un sourire non dissimulé sur le visage. Devant sa chambre, la main sur la poignée, elle stoppa tout. Des gémissements très évocateurs traversaient la maigre frontière que représentait la porte.


Et merde !


Bredouille, elle fit demi-tour et se heurta aux éclats de rire de Guillaume, hilare devant la mine déconfite d'Olympe. La matinée se prolongea ainsi dans un calme relatif, bercée ça et là par de nouvelles salves de délectations soufflées qui n'amenaient aucune ambiguïté.

— On les applaudira quand ils se lèveront ! dit-il en riant.



Enfermé dans la salle de bain depuis plusieurs minutes, comment réagirait-il si elle y faisait irruption ? Guillaume apprécierait-il sa spontanéité ? Pourrait-il à nouveau l'inonder de sa puissance ? Quelqu'un frappa, mettant fin à la fine rêverie d'Olympe. Le capitaine toujours sous la douche, elle invita le mystérieux visiteur à entrer. Pas réellement surprise de la trouver ici, Gaëlle salua sa lieutenant. Que voulait-elle ? Parler au capitaine. L'eau avait cessé de couler, Guillaume ne tarderait pas. La jeune femme détailla alors sa combattante. Comment avait-elle pu ne pas réaliser à quel point ce bunker la rongeait ? Des cernes longues comme ses joues lacéraient son visage, ses clavicules creusées comme jamais, les doigts mutilés par ses dents... Gaëlle semblait terrorisée. Allait-elle bien ? Elle s'apprêtait à le lui demander quand le gradé sortit de la salle de bain. Serviette nouée autour de la taille, torse humide, désespérement sexy.


Il est pas sérieux là ? On a été seuls depuis tout à l'heure et c'est maintenant qu'il se pointe comme ça ?


L'expression tendue du Gaëlle la ressaisit immédiatement. Quelque chose clochait. Soudain, un éclair. Olympe regarda Guillaume, c'est elle ! Il installa la chaise en face du lit, lui fit signe de s'asseoir. À l'affut, le corps tendu et l'esprit acéré la lieutenant tendait l'oreille.

— J'ai trahi...

Parenthèse fermée. Une rage indescriptible s'empara d'Olympe qui coupa la voix de sa combattante pour lui aboyer dessus.

— PUTAIN GAËLLE, J'ESPÈRE QUE TON EXPLICATION VA VALOIR LE COUP !

Une main sur sa cuisse, lui intima de se calmer. Guillaume souhaitait laisser parler la combattante. Elle tenta alors de contenir la furie qui assiégeait sa poitrine. Comment avait-elle osé ?

— J'ai trahi et je n'en suis pas fière.

Alors l'ancien gendarme mena la danse. Interroger, peser chaque mot pour obtenir une confession précise, analyser chaque expression, chaque geste.

— Comment le MLF s'est approché de vous ?

Olympe revivait à chaque blessure de ses coéquipiers soignée tout comme, sous ses yeux, l'homme ressuscitait à chaque question posée.

— Le MLF est entré en contact avec moi à l'hôpital. Je travaillais au service de planification des interventions et un homme se faisant passer pour un chirurgien m'a manipulée.

— Quel était son but en vous approchant ?

Gaëlle se confia sans sourciller. Se libérait-elle d'un ulcère qui la rongeait ? Probable, mais Olympe n'en demeurait pas moins hermétique à toute cette souffrance étalée devant elle. La colère étouffait tout.

— Que je rejoigne l'unité W.

— Comment vous tenait-il ?

— Ma soeur. On a perdu sa trace au moment du shut-down des communications. Ma mère, terrifiée à l'idée de la savoir seule loin de nous, a décidé de partir à sa recherche une nuit. Le lendemain, pour l'exemple, le MLF l'a assassinée sur le parvis de la ville pour non respect des règles de confinement et du couvre feu.

— Cet espion vous a offert l'assurance de retrouver votre soeur, n'est-ce pas ?

L'empathie dans la voix du capitaine irratait la lieutenant qui se leva et fit les cents pas. Marcher pour contrôler le fauve. Marcher pour s'empêcher de commettre l'irréparable. 

— Il m'a remis une photo d'elle, récente, amaigrie et emprisonnée. Ces gens savent tout, toujours. On ne peut pas lutter contre la force de leur réseau. Des hackers puissants passent leur temps à tout relier, tout maîtriser, tout manipuler pour que la propagande soit toujours plus écrasante. Et leur méthode a fonctionné sur moi. Pour la sauver, je devais coopérer. La règle était simple, tant que les informations sur les assauts étaient fiables, ma soeur serait saine et sauve. Si en revanche, les informations s'avéraient inexactes, direction le pire des bordels.

— Aviez-vous envisagé un moyen de contrer leur emprise ?

— Je n'entrais jamais en contact avec eux, la seule chose que j'avais à faire c'était d'installer une application espionne sur ta radio, Olympe.

Elle prononça cette phrase en se tournant vers la boule de feu qui arpentait la pièce de long en large. 

— Cependant, les soupçons de votre lieutenant ne sont pas apparus dès la prise d'armes de l'unité W...

— J'ai traîné avant de m'exécuter. Comment pourraient-ils savoir ? Pouvaient-ils vraiment m'atteindre en plein coeur des combats ? En réalité, oui.

Des dizaines de photos, enfermées dans la mémoire d'un appareil que Gaëlle sortit de sa poche, s'étalèrent sous leurs yeux. Une seule et même protagoniste : Clara, la soeur de sa combattante. Séquestrée, blessée. Les images glaçaient le sang. Nez défoncé, orbite gonflée, visage en sang, cette femme avait cruellement souffert mais pour Olympe, rien d'autre ne comptait que la trahison qui brisait son coeur.

— Alors, reprit-elle en s'adressant à sa lieutenant, un soir que tu saluais tes anciens coéquipiers, tu avais laissé ta veste, j'en ai profité et à partir de là, tout s'est enchaîné. Les échanges étaient enregistrés et le MLF s'en servait pour contrecarrer nos actions. Chaque bordel devenait pratiquement imprenable. Ils voulaient notre peau, la mienne y comprit. Jamais je ne reverrai ma soeur si je ne tentais pas quelque chose.

— Intervenir deux heures plus tôt, c'était ton idée... souffla Olympe.

— Je savais que le MLF se fierait aux ordres du capitaine Bela, mais comment pourraient-ils savoir que l'unité W ne les respecteraient pas ? Tu as suivi mon idée, lieutenant, et la réponse a été sanglante.

Dernière photo. Le jour de l'échec. Le jour où trois de leurs soeurs étaient mortes... Que lui avaient-ils fait ? Comment Olympe ne pouvait-elle pas s'émouvoir devant la souffrance physique de cette femme ? Doigts ensanglantés, dos charcuté, les traces de sévices étaient insupportables, mais rien ne calmait la fureur qui grondait en elle. Elle s'était faite bernée. On l'avait trahie. Conséquence de sa naïveté ? Trois des siennes étaient mortes et servaient désormais probablement à la propagande du MLF.  

— Il n'y a ni traçage GPS, ni possibilité d'émettre, ce dispositif leur permettait de me mettre la pression, c'est tout.

— Pourquoi parler maintenant ?

La voix calme du capitaine la sidérait. Etait-ce un sourire qu'elle voyait sur son visage ?

— Il faut comprendre que pour le MLF, les réussites des unités W et BABYLON causeraient du tort à leur propagande, comme la CHARLY lors du siège d'Artois en avait déjà causé. La fougue et la détermination d'Olympe avait fait réagir une partie de la population et notamment une partie des soutiens financiers du MLF. Le nerf de la guerre est et demeurera toujours l'argent. Moins d'argent ? Moins de moyens. Moins de victoire. Donc, moins de pouvoir. Que craignaient-ils ? Que là où les villes seraient libérées par ces sections d'interventions l'espoir renaisse. L'espoir, maladie à fort taux de létalité et d'une contagion extrême pour un régime de répression. Le réduire à néant devint alors une priorité. Olympe, il faut que tu comprennes que je n'ai pas eu le choix. J'ai tenté de gagner du temps en ne révélant rien, croisant les doigts pour que la RF finisse par nous retrouver. Mais j'ai entendu Cassandre parler d'une taupe hier avec toi, et ce que tu m'as dit ensuite m'a fait réfléchir. Je suis prête à faire tout ce qu'il faut pour nous sortir de là. Deux mois de silence, le MLF sait pertinemment que nous ne sommes pas morts.

— La propagande, toujours, intervint Bela.

— Les corps de nos soeurs ont servi à nourrir la bête pour mater la population, j'en suis persuadée, acquiesça Gaëlle, mais ils savent que nous sommes toujours dans les parages et ces deux mois de silence radio doivent les rendre fous. Ma soeur dans tout ça, qu'en ont-ils fait ? Cette question me ronge. Cette question me tue. Toi, convalescente, incapable de faire le moindre mouvement seule pendant plusieurs semaines... Le groupe devait attendre. J'aurais pu me sauver, seule et tenter de retrouver Clara. Attrapée, peut-être m'auraient-ils épargnée pour service rendu ? Peut-être... Mais ils ne vous auraient pas oubliés, non. Vous trouver. Vous tuer. Vous êtes l'espoir matérialisé.

— Ils vous auraient torturée pour que vous parliez, souffla Guillaume.

— Moi, ou ma soeur. Aurais-je tenu ? Je ne suis pas comme toi, Olympe, je n'ai pas ta force. Je ne suis qu'une lâche qui tente par tous les moyens de sauver sa peau ainsi que celle de sa soeur pour ne pas que sa mère soit morte pour rien.

Des torrents ruisselaient sur les joues de Gaëlle, mais rien n'atteignait sa sensibilité bien cachée derrière la violence et la rage qui tremblaient dans son coeur à nouveau meurtri par cette guerre. La lieutenant ironisa.

— Deux mois et des doutes de ses supérieurs pour prendre son courage à deux mains et parler. Quelle guerrière !

Immédiatement, Guillaume s'interposa. Pouvait-elle seulement se taire ? Et si c'était Althéa sur cet écran ? Qu'aurait-elle fait ? C'en était trop. Comment osait-il prendre sa défense ? Elle bondit et vociféra. Fallait-il encore qu'elle soit compatissante ? Impossible ! Devant elle se tenait la plus grosse erreur de sa vie. Accorder sa confiance puis assumer les terribles pertes qui en découlèrent ? Trop difficile. En vouloir aux autres était tellement plus facile que d'affronter sa propre responsabilité. Et lui, comment osait-il lui parler ainsi et lui ordonner de se calmer en mentionnant sa soeur ? Vexée, elle plongea son regard dans le visage noyé de larmes de Gaëlle et lui agrippa le menton. Toute sa hargne et sa rage s'irradièrent dans la pince que formait ses doigts. Voulait-elle lui ruiner la mâchoire ?

— Ecoute attentivement ce que le capitaine va te dire. Tu n'as pas le droit à l'erreur, pas encore.

Puis, sans un regard pour ce dernier, elle quitta la chambre, furieuse.


Merde ! Et d'où il connait le prénom de ma soeur ?!

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