Chapitre 2

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— Le SMUR est parti depuis presque une heure, qu'est-ce que vous foutez encore là ? Vous réalisez que vous enfreignez la loi ?

Cette voix la propulsa à nouveau dans la réalité de l'instant. Le brouhaha, les cris, les pas pressés ressuscitèrent l'enfer et le chaos mis sous silence par l'étreinte. La frénésie des gendarmes autour d'elle faisait écho à la sienne, quant à cette main, toujours sur son épaule, son impact, sa puissance, sa brûlure fusionnaient la colère et la tristesse d'Olympe. Accroupie, toujours rivée sur le crâne démoli de Louis, la cohérence n'était plus, si bien qu'elle inonda l'air d'un rire bourré d'ironie, presque provocateur. Enfreindre la loi ? Etait-il sérieux ? Et les responsables de cette fusillade alors ? Elle était morte en même temps que Louis et désormais, seule la folie s'exprimait avec, comme unique volonté, la vengeance. Mais pour cela, il fallait être maline. La broderie sur la veste de l'inconnu visiblement déstabilisé attisa davantage les braises d'un feu qui deviendrait bientôt brasier. Un nom : Bela. L'homme en charge. Son regard le trahissait. En devenant gendarme, avait-il un jour imaginé faire face à une telle ignominie ?

— Je pense qu'il est temps de vous raccompagner jusque chez vous. Vous devez vous reposer et vous réchauffer, vous tremblez, dit-il doucement.

Ne voulant créer aucune esclandre, il l'amena loin de l'agitation de ses effectifs à la fébrilité exacerbée par la peur d'une nouvelle attaque. Personne ne remarqua ce professionnel du SMUR encore sur place accompagné du lieutenant en charge et tout cela pourrait lui servir, pensa-t-elle devant les armes dégaînées. L'effondrement viendrait plus tard. Elle avait besoin de réponse. Une fois à l'écart, le regard féroce planté dans celui du lieutenant, elle lui somma une explication. Que s'était-il passé ? La réaction de son interlocuteur l'étonna. Etait-ce de la fascination qu'elle décela ? Ou alors sa folie, accordant à ses côtés la présence spectrale d'un Louis étrangement souriant, lui jouait là aussi un tour ?

— L'enquête vient seulement de débuter, nous n'avons que peu d'éléments et je ne pense pas que le moment soit opportun vous concernant, Madame.

Il répond ? Voilà une belle faille dans laquelle tu peux t'engouffrer.

— Au contraire, j'ai besoin que vous m'expliquiez pourquoi je viens de dire adieu à l'homme que j'aime, qui était parti faire des putains de courses.

— J'ai fait énormément de concessions vous concernant, ne me demandez pas de continuer.

Son objectif était limpide, la mort de Louis ne resterait pas impunie et c'était précisément cette soif qui maîtrisait les incursions de sa culpabilité. La laisser l'emporter, c'était abdiquer. Elle savait pertinemment que sa journée se terminerait dans une cellule pour non respect du confinement, alors ses concessions lui arrachèrent un bref éclat de rire vite avorté par une vision glaçante. À quelques mètres d'elle, menottés à l'extérieur d'un fourgon, deux hommes.

À cause d'eux, de ces fils de putes, de ces ordures, elle n'avait plus rien. Alors, la douleur incandescente de chaque cellule de son corps la métamorphosa en une louve meurtrie dont la poitrine abyssale avait faim d'explications. La lionne acculée bondit mais le gendarme était aux aguets. Il empoigna son bras et décocha son arme. Lui aussi était fébrile et son pistolet semblait représenter un prolongement rassurant de sa main, une sécurité, une défense, une arme redoutable de dissuasion.

—Reculez, c'est un ordre.

Sa voix était dure et brutale. Elle tirait sur une corde déjà bien tendue mais elle ne risquait plus rien. Le pire était sous cette bâche. Sa vie détruite et ses projets réduits en cendres, elle vrilla, aidée de l'arme sous ses yeux qui aiguisait davantage sa frénésie. Louis, son spectre à côté de ces nuisibles, pourquoi diable souriait-il toujours ? Comprenait-il avant elle qu'un fauve blessé est dangereux... et n'a rien à perdre ?

Telle une nature puissante qui s'éveille, dans un tremblement, une explosion brutale et incontrôlable d'un animal en furie, elle s'empara de l'arme à feu du gendarme et le repoussa de l'épaule. Trop vive pour lui, abasourdi par cette maîtrise surréaliste, il ne put réagir à temps. Un court instant, elle s'interrogea. Est-ce que lui aussi souhaitait obtenir vengeance, mais était retenu par des principes d'un autre temps ? Car oui, l'époque avait changé. Plus rien ne serait comme avant. Louis était mort. La voilà seule.

Elle pressa la détente.

Sécurité absente... Etait-ce la chance ou la justice penchait en sa faveur ? La charogne, touchée en pleine tête, s'effondra. Cette chute jouissive aux oreilles de la panthère la fit ronronner si fort ! Seule la cervelle dégoulinant de la vitre du fourgon rassasiait son appétit. Ca, et le regard pathétique du chacal restant, la gueule sidérée emplie des éclaboussures de son binôme. La hyène, devant la lionne surpuissante, prête à tout pour obtenir vengeance, et qui ne se formalisait pas de la fourmilière se regroupant autour d'elle, avait peur.

— Pourquoi ? vomit Olympe.

Qu'importe les conséquences, cette vengeance était savoureuse et elle ne comptait pas en rester là mais la réalité la rattrapa. Les hommes lui crachaient de baisser son arme, canon pointés dans sa direction. Ses oreilles bourdonnaient. Le lieutenant Bela s'empara de l'arme et la maîtrisa immédiatement. Les bras resserrèrent leur puissance autour de son corps et la soulevèrent de terre. Trop tard, s'en était fini. Olympe, souriante, se fichait des répercutions. Louis, à sa façon, installé près de ses bourreaux, l'avait encouragée. Une vie pour une vie. Une vie pour sa vie. Tandis que le gradé l'emmenait, une voix fuyante faible et irritante s'éleva.

— Parce que la fin est proche.

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