Chapitre 60

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Toujours aucune trace de Guillaume. L'apéritif se terminait, l'entrée était servie. Où diable s'était-il volatilisé ? Profitant de la fraîcheur de la soirée pour calmer la lave qui frémissait en elle, sur le parking, elle repensa à ces derniers mois sans nouvelle. Ne sachant rien de cet homme, à part son nom, son prénom et sa profession, elle s'était rendue une matinée à la gendarmerie de la ville pour obtenir un numéro de téléphone ou une adresse, mais on avait refusé. Etait-ce juste le temps des combats ? Avait-elle tout imaginé ? Elle s'était faite bernée, encore. Son coeur trônait à nouveau au dessus de son gouffre et battait pour quelqu'un qui ne voulait pas d'elle. Le revoir au mariage après tout ce temps la désorienta. Non, elle n'avait pas envie de lui coller son poing dans la figure. Elle voulait se poser sur ses genoux, blottir son visage contre son torse et écouter les battements si apaisant de son coeur. Aujourd'hui, Olympe réalisait que son coeur, son âme meurtrie, son corps avaient besoin de Guillaume. Seulement, sa lâcheté et sa fuite réveillèrent la furie. Contre qui la déverser s'il n'était plus là ? Alors en pleine réflexion, elle tomba nez à nez sur l'objet de ses tourments, installé à l'arrière d'une voiture, quittant les lieux. Donc il s'en allait ainsi, sans un mot, sans rien ? Estomaquée, les mains levées en signe d'incompréhension, elle le regardait s'éloigner.

Un bruit de frein. La voiture s'arrêta. La vitre se baissa. Elle fulminait. Devait-elle encore faire le premier pas ? Comment osait-il ? À hauteur de vitre, il la salua.

— Olympe.

Cette voix...

— Salut Guillaume. Je ne vais pas te mentir, ça fait plaisir de te savoir en vie parce qu'on s'est tous demandé si tu n'étais pas mort dans le plus strict anonymat.

Elle aboya cette phrase d'une traite, sans prendre sa respiration. Sa fureur frémissait.

— Je sais, j'ai merdé.

— Je sais pas si le mot est bien choisi.

— Ah ? Et quel mot alors tu aurais choisi ?

— Je sais pas, je ne m'attendais pas à te voir, du coup je n'y ai pas vraiment réfléchi. À vrai dire Guillaume, je m'attendais à ne plus jamais te revoir ! Avant que tu te sauves comme un lâche sans même avoir salué tes soldats, je peux te poser deux questions ?

Sans attendre d'approbation, elle lâcha tout. Pourquoi n'avoir donné aucune nouvelle ? Avait-il pensé ne serait-ce qu'une seule fois à elle pendant cette année ?

— Tu ne me demandes pas pourquoi je suis en fauteuil roulant ?

— Guillaume me prends pas pour plus conne que je ne le suis, tu ne peux plus marcher ou une connerie de ce genre suite à la balle que tu as reçue dans le dos, ça me paraît assez évident, mais en fai,t pour le moment, c'est le cadet de mes soucis, vois-tu.

Etait-ce un sourire qu'elle devinait sur son visage ? La voir dans cet état là l'amusait ? La lave bouillonnait. Les bras croisés, elle le relança. Qu'il réponde, elle n'avait pas que ça à faire.

Ouais ! Faudrait pas que le saumon fumé soit trop froid ! Ma pauvre fille, fous lui un coup de poing, pète lui les dents bordel. J'ai accepté de te laisser gérer ta vie sans moi, mais là, fais quelque chose !

— J'ai été inconscient pendant plus d'un mois. Ensuite ça a été un long, très long parcours du combattant fait de hauts et de beaucoup de bas, comme tu peux le constater. Raconter une quinzaine de fois la même chose n'allait pas m'aider. J'ai donc préféré ne rien dire du tout et rester dans ma bulle. Pour ta seconde question, ça va être très simple : oui, j'ai pensé à toi.

Réponses claires. Rien de plus. Qu'y avait-il à dire en même temps ?

— On fait quoi du coup ? On s'aperçoit au prochain mariage ? ironisa-t-elle.

— Ne sois pas comme ça, Olympe, s'il te plaît...

Elle crut réver. La lionne s'échappa de sa cage.

— Attends c'est une blague là j'espère ? Je me retiens de t'en coller une car ton chauffeur va se demander comment une femme peut s'en prendre à une personne qui ne semble pas en pleine capacité de ses moyens. Mais sois sûr que c'est pas l'envie qui m'en manque. Guillaume…

Elle fit une pause, le fauve toisait son adversaire. Jusqu'ou pouvait-elle aller ? N'avait-il pas suffisamment souffert ? Paralysé, diminué. Peu importe, les fêlures de son coeur dévasté méritait bien de tout déballer. Elle bondit.

— Tu m'as fracassé le cœur, toi qui savais à quel point il était abîmé. Est-ce que tu t'es mis à ma place une seconde ? Est-ce que tu te rends compte de l'angoisse qu'on a vécue, que j'ai vécue ! PUTAIN ! J'avais ton sang sur les mains. T'avais les mains glacées, t'étais livide. Deux fois dans ma vie j'ai eu droit à ce genre de tableau immonde, mais au moins avec Louis, aucun espoir n'était possible. Aucune nouvelle, à personne. Comment as-tu pu oser faire le mort ? À moi, putain.

Des larmes ? Pourquoi coulaient-elles ? Des semaines, des mois qu'elles n'avaient pas inondées son visage et les voilà désormais ? Incontrôlables, dévastatrices, puissantes, rédemptrices.

— Tu veux savoir ce qu'il y a de pire que la mort, Guillaume ? L'incertitude et l'indifférence. Tu m'as méprisée par ton silence. Tout le monde me demandait comment tu allais, si j'avais des nouvelles. Un putain de supplice ! Encore et encore, me voilà fracassée contre ton mépris. Je t'ai haï, si fort, Guillaume, si tu savais. Et puis, le temps a fait le ménage. Impossible de vivre en espérant que tu réapparaisses dans ma vie. Alors, j'ai dû lâcher-prise et te laisser partir. Qu'est-ce qui m'a aidée ? Les amitiées précieuses que la guerre a placée sur mon chemin. À l'avenir, ne t'avise plus jamais de faire ce que tu viens de faire : te pointer sans prévenir et te barrer sans un mot. Tu crâches sur ce qui est brisé, tu ravives la douleur ! Sois moins cruel, sinon je te jure que je te tue.

Olympe s'éloigna rapidement, s'installa sur la banquette arrière de sa voiture et pleura. Où était la hargne qui l'avait faite débuter des cours de combat il y avait quelques mois ? Où était la colère qui enveloppait parfois ses cauchemars ? Elle s'attendait à plus de virulence mais que voulait-elle au juste ? Décharger. Tout vider. La tristesse, la douleur avaient piétiné la rage et la folie. Comment avait-elle pu laisser quelqu'un la blesser autant ? N'avait-elle rien retenu de la guerre ? Se protéger, tout le temps. La colère montait, vexée d'être aussi facilement dominée par la souffrance. La terre tremblait, le volcan se réveillait. Elle libéra toute la lave de ses yeux et de son corps. Sièges défoncées, ceintures arrachées, Olympe expiait tout. Ce n'était pas contre lui qu'elle était en rage. Idiote jeune femme pleine d'espoir. Avoir jeté tout ce poison avec autant de violence la libéra d'un poids accumulé depuis de trop longs mois. Après quelques minutes, elle reprit ses esprits, essoufflée, elle se jura une chose : cesser d'attendre un signe quelconque et vivre pour elle et elle seule.

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