Chapitre 53

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Cassandre referma la porte derrière Solange qui repartait avec le plateau totalement vide.

— Allez, raconte moi tout !

— Attends Cassandre, on va pas faire comme si de rien n'était, la situation est dramatique là. Comment on va faire pour s'en sortir ? Comment on va pouvoir contacter la RF ?

— Ma poule, tu viens seulement de te réveiller, tu es incapable de faire quoi que ce soit sans aide, alors de toute façon même si on avait une solution, on ne pourrait pas la mettre en application. Profitons de cette convalescence pour se recentrer sur les choses essentielles de la vie.

Il fallait l'admettre, elle n'avait pas tort. Sa convalescence risquait d'être très longue. Elle réussit à arracher un sourire à Olympe. Qu'y avait-il à raconter ? Rien. Son amie ne partageait pas le même avis. Elle expliqua que le capitaine avait insisté pour veiller sur elle toutes les nuits.

— Dis moi que c'est lui l'orgasme du mois de Mars !

Cassandre divaguait, regardant l'encadrement de la porte, comme s'il se tenait là. Olympe ne put s'empêcher d'éclater de rire. La femme devant elle était incroyable. Cash, honnête, entière et au soutien merveilleux. Elle avait promis à Louis de vivre. Pour lui, pour tous ceux qui ne pouvaient plus le faire. Et vivre c'était ça. Rire, partager et surtout profiter. Un bunker proposant un abri. Une chance. Certes aucune échappatoire. Mais pour l'instant, impossible de bouger pour elle. Que faire d'autre que de soigner son esprit le temps que le corps se remette ? Henri entra dans la pièce accompagné de l'intéressé, mettant fin à l'interrogatoire de Cassandre qui n'en saurait pas davantage. Il proposa à la jeune femme de réaliser ses pansements sur le champ.

— Tu préfères faire ça assise ou allongée ? interrogea-t-elle.

Henri lui jeta un regard lubrique et enchaîna amusé :

— Tu te mets nue devant moi, je me retrouve avec mes doigts dans un orifice de ton corps, et maintenant tu me demandes comment je préfère faire ça avec toi ? Ah, Olympe, malgré toute cette merde, tu restes la même ! fit-il avec un gros sourire et un clin d’œil.

Ces retrouvailles graveleuses rappelaient à la jeune femme une époque très lointaine, où tout était plus léger, où la guerre n'existait que dans les films et les livres. Elle leva les yeux vers le Capitaine, seule personne qui ne riait pas, bien au contraire. Des cernes si creusées qu'elles pourraient effrayer un fantôme grimaient son visage. Avait-il maigri ? Avait-il seulement dormi ? Une vision se projeta en elle, le siège. Sous ses yeux, elle retrouvait le gradé responsable de la survie de ses combattants, si impliqué, si stressé, qu'il en oubliait de survivre lui-même. Comment lui en vouloir davantage ? La souffrance de cet homme rongé par la culpabilité était palpable. Elle se souvint des dernières paroles qu'il avait prononcées. Une taupe, au sein du groupe. Tous s'étaient fait berner, lui aussi. Sa contrariété se lisait sur le visage.

— Capitaine, détendez-vous ! Il n'est pas un pervers qui harcèle les sages-femmes vous savez, ça s'appelle de l'humour ! Je vous apprendrai un jour si vous voulez !

Yeux au ciel, maigre sourire... Olympe s'en contenterait. Pouvait-elle nier qu'il lui avait manqué ?Décharger sa culpabilité sur lui n'était pas la solution. Non. Elle devait vivre avec la responsabilité de la mort de ses coéquipières. Elle aurait du réfléchir davantage à une solution plutôt que de foncer tête baissée. Quel genre de gradé laissait agir son équipe sans penser à un plan de secours en cas de problème ? Il n'avait pas écouté ses doutes. Elle s'était trop reposée sur ses guerrières. Un partout, balle au centre. Pansements retirés, elle osa un coup d'oeil. La terreur s'afficha sur son visage. Henri s'excusa, pensant que l'aspect des blessures l'effayait. La chirurgie plastique en pleine guerre sur une table de cuisine ? Il y avait plus urgent.

— Non c'est pas ça, la plaie est beaucoup plus grosse que ce que j'imaginais.

— Quelques centimètres plus en dedans, et tu y restais c'est sûr. Tu n'as eu aucune anse intestinale de touchée, aucun gros vaisseau ! Ce n'était pas ton heure.

Elle lui montra le bras et la nuque opposés qui portaient les stigmates de ses autres blessures. Apparemment, elle avait encore beaucoup à faire sur cette terre. La chance avait guidé le moindre de ses gestes depuis le début du conflit. Louis veillait sur elle de là où il était. C'était lui sa chance. L'inconscience lui permit de le réaliser. Henri grimaça en découvrant le point de sortie du dos, très inflammatoire. Elle devait désormais éviter de s'appuyer dessus pour améliorer la cicatrisation et empêcher l'infection. Avait-elle des escarres ? Treize jours allongée...

— Guillaume et Justine ont pris grand soin de toi. Sois tranquille, tu as toujours ta peau de bébé sur les fesses et tes talons entiers !

Après de rudes négociations, il cèda, oui elle pouvait prendre une douche ! Puis s'engouffra dans le couloir en sifflotant comme un bienheureux. Lui aussi avait eu une peur bleue. Le réveil d'Olympe semblait alléger la tension qui régnait dans cet endroit sordide mais salvateur. Toutes les tensions ?Le dos voûté de son capitaine lui indiquait le contraire. Ce dernier l'aida à se rendre à la salle de bain. La contraction de ses abdominaux déchirés par la tige arracha des grimaces et des plaintes sinistres à Olympe. Premier lever difficile... Une question l'inonda : combien de temps allait-il lui falloir pour se remettre sur pied ? Prévenant, doux, sensible, Guillaume la soutenait au maximum. Fallait-il qu'il réclame une aide supplémentaire ? Elle refusa. Elle avait besoin d'être seule avec lui. Des choses devaient être confiées. La glace devait être brisée. Il fuyait son regard. Ses dernières paroles censées ? Elle le tuerait si elle s'en sortait. Bien sûr qu'elle en était capable, il le savait, mais pour Olympe, cette folie meurtrière, cette soif de sang et de vengeance devait cesser. S'enfermer dans cette bulle de violence, c'était la facilité. Désormais, nouveau défi, promesse faite à la mort pour qu'elle la laisse revenir : vivre. Alors, elle le remercia de sa sollicitude durant sa période de coma et en retour, comme s'il n'attendait que cela pour alléger toute la souffrance qu'il ressentait, il se confia. La culpabilité, l'angoisse de la perdre, la froideur de l'équipe qui le tenait pour responsable, à juste titre... Comment dormir ? Impossible. Seule solution ? Elle est devenue sa nouvelle mission. Prendre soin d'elle et ainsi, éviter de trop penser.

— Tu m'as fait peur Olympe. Tu nous as tous fait peur ! Tu parlais dans ton sommeil, tu parlais à Louis, on pensait que tu allais y rester.

Guillaume connaissait tout. Sa tristesse, ses états d'âme, sa fureur. Il avait vu le pire. Oui, là où elle était, elle était bien, bercée par les bribes de bonheur que cet endroit étrange lui offrait. Seulement, tout était différent. Elle bougeait tandis que Louis demeurait statique. Elle était vivante et lui, mort. Cette parenthèse lui permit néanmoins une chose...

— ...Lui dire au revoir. murmura Guillaume.

Olympe acquiesça dans un soupir. Bien sûr qu'il comprenait. Toujours.

— On se retrouvera un jour. Maintenant je dois vivre. Je lui dois bien ça. Il faut que j'arrête de me laisser guider par ma folie et ma fougue. Cette fille là, elle est morte sur la table de cuisine. C'est fini Guillaume. Je sais que tu comptes sur ça pour mener mes guerrières. Mon objectif désormais est de me remettre sur pied, de sortir mes soldats de là, et après j'arrête. Tu te débrouilles pour me trouver un boulot pantouflard si cette guerre n'est pas encore finie mais je ne veux plus faire ce que je fais depuis un an.

Il acquiesça sans un mot. Etait-il déçu ? Prenait-elle la bonne décision ? Cette femme assoiffée de violence et de sang était-elle vraiment morte ?

— Pardon, Olympe, reprit-il soudain. J'avais les mains liées. Le commandant m'ordonnait de vous envoyer au casse-pipe. J'ai transmis tes craintes et tes soupçons, mais rien à faire, personne ne voulait te croire. On m'a menacé de me démettre de mon poste de capitaine si je continuais à crier qu'il y avait une taupe au sein de la RF. Et crois-moi, sans moi, ce n'était pas deux prisons par semaine sans répit que vous auriez affrontées... Aux plus hautes instances, ils veulent que cette guerre se termine vite, quoi qu'il en coûte humainement... Je n'ai pas ton courage. Suivre les ordres... Voilà à quoi je suis bon. Je suis venu sur le terrain moi-même, sans les prévenir, voir de mes propres yeux ce que tu me criais dans la radio et ainsi, leur faire remonter mes preuves. Mais tout a dérapé...

Ainsi, il ne l'avait pas lâchée. Ainsi, il avait toujours cru en elle. Comment avait-elle osé en douter ? Ne comprenait-elle pas à quel point il tenait à elle ? Aveuglée par sa rage, écrasée par sa folie, elle était passée à côté de tant de choses. Désormais, place au changement !

Tendre hommage au passé à l'hôpital de fortune, Justine fut ravie d'aider la lieutenant à se laver. La douceur de son amie, son sourire, sa gentillesse étaient les meilleurs antalgiques. Leur complicité valait tout l'or du monde. Comment rêver meilleure convalescence ? Que pouvait-elle espérer de mieux ? Tout ceux qui comptait étaient présents.

Douche terminée. Justine ouvrit la porte, Guillaume attendait juste devant. Les avait-il entendues rire ? Vivre ? Profiter ? La chappe de plomb sur ses épaules semblait s'être quelque peu allégée. Le dos moins voûté, les yeux plus éveillés... Pour lui aussi un changement s'opérait. Le réveil d'Olympe lui avait offert le coup de fouet qu'il méritait. Se ressaisir, se battre, les sortir de là ! La guerre n'était pas terminée, mais ici ils étaient en sécurité. Il s'avança. Ce regard ? Elle l'avait déjà vu. Il l'avait déjà dévorée comme il la dévorait actuellement. La soirée dansante, la nuit ensemble... Son corps avait-il besoin de se rappeler tout cela maintenant ? Etait-ce un moyen détourner de sécréter des endorphines pour ainsi mieux appréhender la nouvelle position ? Il enlaça son corps d'un bras pour la soulever de la chaise sur laquelle elle était installée. Stratégie efficace. Tant mieux. Pendant qu'ils remontaient le couloir, la main de son supérieur glissa sur le haut de sa cuisse nue. Mouvement furtif, discret, secret. Séduction ? Soulagement, pensait-elle. Olympe vivait, sa protégée vivait. Elle sonda alors son visage, Guillaume souriait mais n'en demeurait pas moins silencieux.

— Torse nu, puis fesses à l'air ?! Olympe, la guerre a vraiment de très bons côtés me concernant ! cria Henri à travers le couloir.

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