Chapitre 47

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Le fourgon contenant l'unité W s'arrêta aux abords de la ville. Première à en sortir, Olympe fut abasourdie par la violence des combats. Le sol tremblait avec force, les roquettes s'écrasaient, les FAMAS crachaient, les hommes hurlaient... Sébastien parvenait-il à mener sa nouvelle troupe ? Comment Sven s'adaptait sans Hugo ? Se ressaisir, ne pas se déconcentrer. Les gradés attendaient beaucoup de cette mission. Comme toujours, une femme doit se battre pour obtenir le respect de ses pairs masculins et ici, une unité exclusivement féminine, sans aucune expérience militaire antérieure à cette guerre... Nul doute que tous les regards étaient braqués sur elles et la lieutenant en était sûre, certains souhaitaient les voir se prendre les pieds dans le tapis. La pression était maximale. Casque vissé sur le crâne, sac sur le dos, arme sous les doigts, les automatismes revenaient vite. Trop vite ? Peut-être, mais l'heure du retour à la vie normale était loin d'avoir sonné. De toute façon, son corps se nourrissait d'adrénaline depuis si longtemps maintenant, qu'un sevrage trop brutal ne serait pas sans danger, pensa-t-elle résignée avant de verrouiller son esprit.

— Les filles, veillez à ne rien oublier sur place, la compagnie RF vous remercie pour votre confiance et vous souhaite un agréable séjour !

Malgré les sourires polis de ses combattantes, l'effroi s'imprimait toujours dans leurs iris.

— Veillez à ce que votre radio soit bien en position. Les snipeuses, en milieu de groupe. Vous êtes une ressource précieuse. Gardez toujours l’œil ouvert et si quelque chose cloche, utilisez votre radio. Je veux qu'on nous oublie et vu l'enfer qui se joue tout à côté, l'ennemi à d'autres chats à fouetter. Nous sommes des prédatrices et cette prison est notre proie !

L'oreillette frémit.

— Lieutenant Warenghem vous m'entendez ? Parlez.

— Oui parfaitement Capitaine Bela. Ça canarde pas mal ici ! Parlez.

— Oui, les Anglais avaient besoin de renfort car la ville est un bastion fort du MLF. Le camp est situé à deux kilomètres en remontant la voie sur laquelle vous vous trouvez, dans une ancienne épicerie. Soyez prudentes car ce quartier est en cours de maîtrise par nos hommes. Ils savent que vous vous rendez sur place. Terminé.

À mesure que les femmes s'avançaient, la dévastation, accompagnée du vacarme ahurissant d'une humanité déchirée s'accentuait. La destruction de la plupart des bâtiments de cette ville meurtrie par des combats qui s'éternisaient était terrifiante. Des pans de murs en ruines s'écroulaient par la force des bombardements. Loïc, Marceau, Antoine, Sven... Ils étaient en sécurité tant que Sébastien était aux commandes, elle avait confiance. Avait-elle d'autres choix ? Pour rester concentrée sur sa propre mission, non.

Un tir provint de nulle part. Yvanka et Gaëlle, terrorisées, se plaquèrent à même le sol, offrant, à ce tireur embusqué, pleine vue sur les deux snipers de l'unité. Un flash de ses premiers combats se projeta en Olympe. Les frémissements, la peur, elle comprenait toutes les émotions de ses combattantes, mais elles devaient se ressaisir. Ici, au bout de cette rue, des victimes avaient besoin que leur terreur se mue en détermination pour leur salut.

Nouveau tir.

Margaux précisa immédiatement n'avoir rien aperçu. La lieutenant ordonna de se mettre à couvert contre un mur. L'individu devait se terrer dans l'un des bâtiments tenant toujours debout. Fenêtre après fenêtre, la louve était aux aguets. Rien. La ruelle baignait dans le calme relatif d'une guerre qui se tramait non loin. Il fallait bouger. Si le groupe restait prostré ici, c'était la mort assurée, alors pas le choix, pour accélérer les repérages, Olympe se plaça au milieu du chemin, bien à découvert, sous le regard ahuri de ses guerrières. Nul besoin d'en dire plus, Margaux avait compris et la rejoint, arme au poing, prête à en débattre. Priant pour qu'aucune balle meurtrière ne se fiche dans leur chair, elles n'eurent besoin de patienter que quelques courtes secondes avant que l'inconnu ne tire à nouveau, révélant ainsi, sa position. Visée précise, respiration profonde, regard perçant, sa tireuse d'élite fit mouche dès sa première tentative, inondant ainsi chaque cellule d'Olympe d'une puissante fierté.

Avait-il eu le temps de prévenir ses coéquipiers ? interrogea Justine. Peu probable, les miliciens du MLF s'étaient regroupés pour défendre leur poste de commandement devant l'attaque puissante de trois unités françaises et deux anglaises. Plus urgent se jouait qu'un groupe de dix femmes armées, répondit la lieutenant qui observait attentivement le lieu sordide dans lequel, selon les informations, étaient enfermées les victimes. Fenêtres opaques, impossible de voir ce qu'il se passait à l'intérieur.

— Trois d'entre vous. Une à l'entrée pour faire le guet et deux autres avec moi. Vu les combats, il ne doit pas y avoir beaucoup de soldats montant la garde. Pour les autres, ouvrez l’œil, restez sous l'alcôve et utilisez vos radios si vous voyez du mouvement suspect.

Olympe voulait jauger son unité et ne désigna personne. Ces femmes étaient libres, puissantes, alors la suive qui voulait. Toutes auraient, un jour, l'opportunité de montrer leurs talents et pour cette première mission, seules les plus téméraires s'y rendraient. Ici, Lola, Cassandre et Coralie.

— Vous ne réfléchissez pas, vous tirez si quoi que ce soit vous semble suspect ! C'est bien clair ? Nos silencieux sont là pour nous rendre discrètes.

Main sur la poignée, la gradée s'arrêta et murmura à ses coéquipières via la radio.

— Porte ouverte. Le bâtiment est gardé, soyez prêtes.


Matériel de torture, sex-toys, armes à air comprimé en libre-service... Un véritable magasin de l'horreur avec un sordide catalogue ouvert sur le comptoir permettait de choisir la fille. Photos, spécificités, caractéristiques physiques, tout ce qui pouvait intéresser un déviant sexuel était répertorié dans ce funeste trombinoscope, des détails maculés de sang parfois même rajoutés à la main. Glaçant. Personne ne se trouvait dans cette pièce répugnante. Olympe fit signe à Lola de rester dans ce local. Cassandre et Coralie la suivaient comme son ombre. Une odeur âcre collait aux narines tandis que le trio s'enfonçait dans les abymes. Afin de poursuivre leur reconnaissance, elles devaient emprunter un escalier.

— Un pas en même temps à chaque marche, je veux que ces fumiers pensent qu'il n'y a qu'une personne qui grimpe, OK ? murmura-t-elle.

Un signe à chaque marche. La coordination serait leur alliée. Il grinçait. Grimper, vite. Trois personnes dans une cage d'escalier étroite... Les voilà vulnérables. Chaque étape gravie écrasait son angoisse. L'heure était venue de venger toutes les âmes torturées par le MLF. Ce catalogue, ces femmes qui hurlaient dans la salle de soins de l'hôpital, Yvanka et Solange, ses jeunes guerrières sélectionnées et rescapées de ces ignominies, toutes méritaient que quelqu'un se batte pour elles. Olympe le ferait. Les choses sérieuses commençaient. Elle avait accepté cette mission, désormais, il fallait montrer à ses coéquipières qu'elles pouvaient compter sur elle pour les guider.

Lorsque son regard découvrit le palier, l'instinct prit le dessus. Canon sur une contremarche. Tir. Pleine tête. Le geôlier glissa de sa chaise dans une chute minable et pathétique. Le silencieux fonctionnait. Elle fit signe à Cassandre de suivre Coralie qui s'engouffrait dans un couloir.

— Palier sécurisé, dit-elle à l'intention des absentes.

Première pièce. L'enfer sur terre. Abomination la plus abjecte lacérant les yeux. Ici, des spectres, autrefois des femmes gisaient sur des couchages de fortune, prostrées et stoïques devant l'arrivée de la guerrière. Elle s'empressa d'ouvrir une fenêtre pour enfoncer la vie en ce lieu cauchemardesque à l'odeur manquant de la faire vomir. Comment ce conflit avait-il pu en arriver là ? Toujours atones, l'espoir avait quitté ces silhouettes érodées. L'animal mutilé le jour où Louis l'avait quittée se trouva face à un miroir. Il y a un an, elle était ces femmes. Vides, mortes, leurs blessures physiques abominables avaient arraché leurs âmes tout comme son âme à elle avait explosé par la faute de ces mêmes bourreaux. Elles étaient liées, toutes. Cette unité prit alors tout son sens. Ces femmes devinrent à cet instant la nouvelle meute d'Olympe. Le vide abyssal assoiffé de vengeance ne trouverait le repos qu'une fois qu'elles seraient toutes en sécurité. Un bordel à la fois. Une mission à la fois. Victime après victime. Elles méritaient l'espoir. Elles méritaient la vie. Elles méritaient la liberté. La lieutenant leur offrirait tout cela.

— Combien de gardes se trouvent dans le bâtiment ? souffla-t-elle.

Une voix faible et inconsistante murmura un frêle trois. La gradée agrippa sa radio et ordonna à Lola de compter le nombre de prisonnières que ce camp sordide renfermait.

— 16, il y a 16 femmes ici.

Où étaient-elles torturées ? Un bras tremblant et squelettique se leva péniblement en direction du couloir. Tandis que Gaëlle et Solange montaient en silence aider ces femmes à sortir du bâtiment, Olympe appuya sur le premier bouton de sa radio. Qu'on envoie le fourgon avec assistance médicale. La voix de Guillaume résonnant dans l'oreillette n’adoucit pas la bête féroce car cette bête féroce, il l'avait créée et sa voix ravivait sa volonté de vengeance. Lui seul l'avait poussée à devenir ce qu'elle était désormais, une déesse guerrière.


À nouveau sur le palier, elle rejoignit Cassandre et Coralie. Deux femmes et deux hommes dans les parages. Le trio devait être vigilant. La lieutenant ouvrit la voie.

Deuxième pièce, énième horreur. Un soldat couché, entièrement nu, crachait toute sa domination sur sa pauvre victime qui planta un regard d'un vide effrayant dans celui d'Olympe. L'animal à sang froid émergea. Couteau dans une main, elle bâillonna l'ogre écœurant de l'autre.

— Un cri, un mouvement et te voilà mort.

Il hocha la tête. Qu'il se lève, vomit-elle. Alors qu'il s'exécutait, l'affolement et la faiblesse se fracassèrent contre la puissance de son sourire.

— Quoique tu fasses, tu étais mort au moment où je suis entrée dans cette pièce.

Sans quitter la peur des pupilles de sa proie, le croc s’enfonça dans le cœur. L'animal triomphait, exultait. Elle vrilla la lame et en un grondement, l’homme s'effondra. Elle jeta ce misérable insecte sur le lit sans un bruit et sans regret de n’avoir laissé la victime au regard haineux obtenir sa propre vengeance. Tuer détruisait une part de soi et cette femme avait été suffisamment démolie comme ça, jugea Olympe.

La vipère était fière, la femme, elle, honteuse de l'étrange mélange de terreur et d'admiration s'imprimant sur le visage de ses coéquipières. Cette guerre l'avait définitivement changée et désormais, elle s'apprêtait à métamorphoser celles qui l'accompagnaient. Elle s'extirpa de ses pensées. Il en restait un. Un dernier, qu'elle donnerait à ses deux combattantes. Après la théorie, la pratique. Peu importe le bruit. Elle leur fit signe de poursuivre, ses guerrières comprirent. De son côté, elle s'adressa à la victime.

— Vous pouvez descendre, un groupe vous attend dehors, on va vous emmener dans un lieu sûr, tout est terminé. Je n'ai pas les mots pour vous exprimer tous mes regrets. Je suis désolée que vous ayez eu à subir toute cette merde. Et surtout, je suis désolée que l'on ait tardé à venir.


Dernière pièce. Cassandre ouvrit le feu en premier sur le même spectacle atroce. L'homme, touché à l'épaule, hurla. Le couteau toujours en main, filet de sécurité de ces apprenties tueuses, Olympe observait la scène. Il cherchait à empoigner son arme, lorsque, sans sourciller, Coralie lui colla une balle dans la tête. La victime criait à pleins poumons. Cassandre, tremblante, parvint à la rassurer. Cette première mise en situation révéla les personnalités de ses coéquipières : la tueuse née et celle qui le deviendrait.


Une fois dans la rue, le groupe à découvert jusqu'au fourgon de secours comptait seulement dix soldats pour les seize rescapées qui marchaient lentement, beaucoup trop lentement au goût de la gradée qui leur intima avec respect d'accélérer le mouvement. Les femmes s'exécutèrent, certaines se soutenant pour aider les plus affaiblies et c’est ainsi dans cette funeste course pour leur survie que le soleil mit en lumière les sévices incalculables sur les corps de chacune. À cet instant, Olympe regrettait une chose : n’avoir pas davantage fait souffrir les geôliers...

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