Unité W : Chapitre 46

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Était-ce vraiment raisonnable d'accepter de prendre en charge une équipe constituée de novices ? Pouvait-elle vraiment faire la différence pour ces victimes sous le joug du MLF ? Et si toutes ces femmes perdaient la vie à cause de mauvaises décisions d'une civile n'ayant fait ses preuves que depuis sept petits mois ? Olympe tournait et retournait toutes ces questions.

Elle avait mal dormi, était épuisée, mais son unité quittait l'hôpital pour retourner au front et elle ressentait le besoin viscéral de les voir, de les serrer contre elle une toute dernière fois peut-être. Que leur réservait encore ce conflit misérable ? Quinze au départ. Sept aujourd'hui. Combien demain ? Lorsqu'elle apparut dans la salle commune, Loïc lui demanda comment elle se sentait.

— À ton avis ?

Ironique, presque agressive, quelque part, sa colère s'agitait toujours, lasse des décisions qui s'imposaient continuellement à elle depuis cette dernière année. Tout irait bien pour elle comme pour eux, encouragea Sven. Olympe interrogea ses coéquipiers dont l'avis lui était primordial : pensaient-ils vraiment qu'elle devait saisir cette opportunité ?

— Oui, je pense qu'il faut que tu diriges un groupe. Tu as ça dans le sang, tu dois montrer ce que c'est qu'une femme d'action, qui se bat pour ses idéaux et pour ses valeurs. En ayant appris hier ce qui se passait dehors, on a tous pensé aux femmes de nos vies. J'aurais aimé que quelqu'un soit là pour protéger ma femme de ces fils de putes si elle était toujours en vie, et je suis soulagé de savoir qu'une unité pionnière va tout faire pour en libérer le plus grand nombre. Avec toi à leur tête, je le sais, cette unité sera prête à tout.

L'honnêteté de Sébastien la chamboula. La seule et unique fois qu'il avait évoqué son passé fut lors du siège, quand tout semblait perdu. Un soir, alors qu'Achille détaillait les étoiles, il s'était confié et personne, pas même Thomas ou Hugo n'avaient osé le sarcasme. Ce jour-là, ambulancier de profession, il travaillait lorsque sa femme fut interpellée à un barrage de la milice, le coffre rempli de produits de première nécessité à destination des personnes isolées de leur village. Maintenue durant près de dix minutes au sol, elle avait agonisé, suppliant de la laisser respirer, puis, murmurant le nom de son époux, elle s'était éteinte. Un témoin avait filmé la scène... Glaçant, terrible. Avec lui plus que les autres, les débuts n'avaient pas été faciles. Olympe le comprenait désormais. Lui aussi avait des comptes à régler avec le MLF et ne s'arrêterait que lorsque chacun d'eux serait hors d'état de nuire. À sa façon, il voulait la protéger, la tenir loin de toutes ces horreurs mais c'était sans compter sur sa détermination à prouver de quoi elle était capable. Tuer. Exécuter. Mutiler. Elle avait appris de lui plus de quiconque. Il prenait du galon, elle aussi.

Face à l'unité quittant ce havre de paix loin des combats, de la mort et de la souffrance, silencieuse, Olympe se noya dans le flot de ses pensées. La soirée dansante, la nuit avec Guillaume, cette parenthèse de normalité, l'avait apaisée, pouvait-elle alors espérer, une fois sortie d'affaire, vivre la fin de sa vie ainsi, normalement et en paix ? Le Capitaine Bela, une liste d'une quarantaine de noms à la main, fracassa ses rêves les plus fous. L'heure était plus que jamais à la résistance. Une paume frôla la sienne en toute discrétion.

— Prête ? sourit-il confiant.

Elle hocha la tête. Jamais elle n'avait été aussi stressée. Les combats ? De la pacotille face à ce qu'elle s'apprêtait à faire.


L'après-midi passa à une vitesse folle. Quarante femmes. Neuf places. Comment autant de personnes pouvaient rejoindre l'horreur d'une guerre civile tant qu'elles étaient dirigées par une civile incompétente ? Olympe tenait un carnet de notes. Points forts, interrogations, doutes, tout y passait. Une personne dynamique, souriante et extrêmement avenante marqua son esprit. Devant la sincérité de cette femme avouant qu'elle n'avait rien vécu de traumatisant car elle avait rapidement rejoint la RF en tant qu'infirmière, pour Olympe, c'était l'évidence. La jeune lieutenant voulait compter ce genre de personnalité combative et déterminée dans son équipe. Justine postula également. Pour elle, la présence de la combattante en ce lieu rendit possible son désir de vengeance. D'autres caractères l'interpelèrent et à l'issue de ces entretiens, quinze femmes dignes de confiance furent choisies. Parmi elle, deux rescapés de ces geôles sordides dont Yvanka, la discrète blanchisseuse. Détruites ? Absolument pas. Face à Olympe se détaillait des survivantes magnifiques et puissantes qui, au fil de leurs entrevues, avaient nourri la furie de leur courage. Ces guerrières en devenir évaporèrent ses doutes. Oui, elle avait envie de se battre pour et avec elles.


Après la sélection réalisée par une civile, la préparation militaire s'enchaina sous le commandement sec et brutal de l'intimidant capitaine Bela. Olympe prit peur. Pouvait-il y aller doucement, avait-elle prononcé entre ses dents.

— Laisse-moi faire ! Je t'ai fait confiance pour ta sélection, à ton tour maintenant, souffla-t-il.

Les essais balistiques surprirent la jeune gradée. Justine se démarqua des autres par sa précision, emplissant Olympe de fierté et allégeant davantage le gouffre de sa poitrine. Était-ce ce que Guillaume ressentait lorsque chacun des membres de la CHARLY réalisait un exploit ?

Une jeune femme dénommée Margaux avait été au-dessus du lot physiquement pour toutes les épreuves, en revanche, humainement elle intimidait la lieutenant. Ne pouvant s'empêcher de la comparer à la froideur de Sébastien, deux options s'offraient à elle, soit il s'agissait d'un investissement sans faille dans une volonté pure de vengeance, soit elle était antipathique et entièrement misandre. Pour affiner son choix, Olympe proposa un cas pratique pour lequel seule la réponse de l'intéressée la préoccupait.  

— Mesdames, une femme devant vous subit un viol en réunion, vous êtes membre de l'unité W et votre seule possibilité pour lui venir en aide est de prendre sa place. Le faites-vous ? Et pourquoi ? Il n'y a pas de chronomètre, vous pouvez prendre le temps de réfléchir.

Là encore, une nouvelle évidence : Margaux à la détermination faisant froid dans le dos.

— Bien sûr que je prends sa place ! Faire partie d'une unité c'est avoir l'espoir que toutes ses coéquipières seront présentes pour me défendre et veiller à ce que rien ne m'arrive.

Oui, elle voulait arracher les victimes des griffes sanguinaires du bourreau appelé MLF aux côtés des femmes en face d'elle. Difficile à expliquer, mais le départ de son ancienne unité comme elle devait désormais l'appeler lui semblait appartenir à une autre vie. 


Attelée à la sélection des neuf femmes qui l'accompagneraient dans sa nouvelle quête de justice dans la salle commune de l'unité de convalescence bien vide, Olympe ne prêta pas attention à Hugo, à nouveau bougon du départ de son unité, ou de Loïc, bien qu'il stipula que rien de sérieux ne se jouait entre eux deux.


Le lendemain matin l'unité W nomma ses recrues devant tous les gradés. Deux snipers, Justine et la GI Joe au féminin, Margaux, à qui on offrit le tout nouveau SCAR-H PR, fusil de précision. Cinq kilos de puissance, huit cents mètres de portée, performances remarquables de jour comme de nuit, un bijou, selon le capitaine. Pas d'artilleuses. Il était physiquement très difficile de porter le paquetage et la dizaine de kilos qu'imposait le lance-roquette de plus, leur mission n'était pas de prendre d'assaut une ville, mais de sauver des femmes maintenues séquestrées dans un lieu clos. En revanche, leur FAMAS avait été muni d'un silencieux.

— Je terminerai par une mise au point essentielle, mon nom n'est pas « mon lieutenant », ni « lieutenant Warenghem », mais Olympe. Si vous souhaitez me tutoyer, n'hésitez pas. Je suis votre supérieure hiérarchique, certes, mais nous sommes des femmes qui n’avons aucune formation militaire, à part toi Margaux, qui était réserviste ! Nous sommes une unité spéciale, je me permets donc de prendre des libertés avec le protocole. S'ils voulaient quelque chose de millimétré, de carré, en gros de militaire, il ne fallait pas me choisir !

La lionne rugit face au raclement de gorge bien caractéristique de son capitaine ainsi qu'à la réaction plus que sonore du commandant Plantain. Ces hommes lui avaient accordé cette promotion, alors qu'ils assument !

Vint ensuite le temps des questions.  

— Pourquoi l'unité W ?

— Oui bonne question, enchaîna Cassandre la volubile. C'est un peu mégalo non, d'utiliser votre initiale de nom de famille ?

Olympe sourit. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé elle-même ? En réalité, W pour Women. Si elles souhaitaient obtenir plus de détails sur le choix de la langue, qu'elles se rapprochent du commandant Plantain, se moqua-t-elle.


Après six jours de préparation et d'attente interminable sans la moindre information sur son ancien clan, un soir, alors que son groupe se détendait dans la chambre de Cassandre, le solennel capitaine Bela s'installa à sa table. Leur première mission ne se tiendrait pas dans l'Artois. Les Anglais avaient réclamé l'aide de la RF en contrepartie de leur intervention lors du siège de mars et l'unité BABYLON était déjà en route pour sécuriser la ville. Leur départ était prévu demain à l'aube.

— Et les radios ? Elles ont été réparées ?

Elle fut surprise par sa propre voix autoritaire. Une nouvelle facette d'elle prenait vie. La lieutenant fraîchement nommée s'engouffrait dans les failles de sa poitrine. Bela sourit et acquiesça. Loïc et Marceau avaient donné des directives précises avant leur départ pour les rendre parfaitement fonctionnelles quelle que soit la météo ou la durée d'allumage. Toutes avaient été testées. Aucune fuite d'informations ne serait possible avec les nouveaux réglages, certifia-t-il.

— Selon eux, aucune fuite tout court n'était déjà possible avant, alors bon...

Son regard parlait seulement, désormais capitaine, Guillaume ne pouvait aller à l'encontre de la ligne de la RF et elle le comprenait. Tant qu'il suivait les ordres, il continuerait de l'avoir sous sa responsabilité à veiller à ce que le danger dans lequel l'unité se jetterait soit mesuré à la perfection, en revanche, s'il ne faisait pas l'affaire, un autre capitaine probablement moins conciliant quant à sa manière de traiter avec le protocole militaire prendrait sa place.

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