Chapitre 40

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Le lendemain, après un dernier examen et des essais victorieux de déambulations, Olympe fut autorisée à rejoindre son unité dans le secteur de convalescence. Attention, avait prévenu la médecin, elle y serait la seule femme. Ses coéquipiers étaient tout ce qu'il lui restait, inutile de s'inquiéter pour elle, elle était au contraire impatiente de les revoir, malgré l'appréhension des retrouvailles. Leurs derniers échanges ayant été plus que houleux, ces quelques jours avaient-ils apaisé leur colère ?

Aidée de Justine, la jeune aide-soignante qui prenait soin d'elle depuis son réveil, elle pénétra là encore dans une grande pièce commune bardée de tables et de chaises. Au milieu, témoin d'une autre époque, d'une autre utilité, une estrade. Devant son incrédulité, tandis qu'elle remontait un long couloir desservant des chambres, Justine précisa qu'elle se trouvait dans un ancien internat.

— Bienvenue chez vous !

Olympe actionna la poignée. Un lit simple contre le mur de gauche, un point d'eau avec douche et lavabo à droite et un bureau en face. À qui écrire ? Elle s'était interdite de penser aux seuls membres de son clan en sécurité lorsque le conflit avait éclaté. Le village reculé de ses grands-parents était une force. Leur discrétion et leur âge, un atout de longévité. Leur écrire ? Tentant, certes, mais trop dangereux. Les services postaux étaient surveillés et même si elle prenait ce risque que pouvait-elle bien raconter ? Qu'elle allait bien ? Mensonge. Qu'elle ne risquait pas sa vie ? Là aussi elle mentirait. Qu'elle reviendrait bientôt ? La guerre aurait un jour sa peau comme elle avait englouti sa vie.

Justine ramena Olympe sur les berges de la réalité. L'eau était chaude... Cette nouvelle inonda le visage de la guerrière d'un sourire sincère et enfantin. Enfin, une pause, un semblant de vie normale. Qu'importe pour combien de temps, il fallait profiter de chaque bribe de bonheur matériel offert par la RF. Elle pouffa. Enfin, qu'elle et ses coéquipiers avaient payé au prix fort. Deux balles dans le corps pour sa part, et cinq soldats disparus pour l'unité... Ce répit n'était rien d'autre que leur dû, se dit-elle.

— Vous êtes un modèle pour beaucoup d'entre nous vous savez !

L'aide-soignante s'envola avant que la guerrière n'eut le temps de réagir. Un modèle ? De quoi ? De rage dévastatrice ? De désobéissance ? De folie ? D'un geste anodin faisant réaliser à Olympe l'horreur de sa vie, elle ferma la porte de sa chambre. Sept mois sans un vrai chez elle. Sept mois aussi longs que sept vies.

Des larmes lui montèrent face à la douce lumière et la décoration sobre de son chez elle. Un lit non désarticulé, un matelas non éventré, des draps au parfum de propre, la sauvageonne découvrait à nouveau la civilisation. Quelle honteuse métamorphose ! Une main sur le sommier : ce moelleux était bien réel. Elle s'étala et ferma les yeux. La délivrance était un supplice. Difficile de savoir si la RF en avait fini avec eux mais cette pause était une bénédiction risquant de rendre le retour à la terreur et à la mort plus pénible à avaler. Quelqu'un frappa, explosant ses pensées en plein vol.

— C'est ouvert ! cria Olympe.

Antoine passa sa tête à travers l'ouverture. Le temps était venu d'affronter sa meute. Elle se redressa et le sonda. La prise de risque était-elle pardonnée ? Un sourire en premier indice, il rompit le silence.

— Comment vas-tu ? interrogea-t-il.

— Mieux qu'hier et moins bien que demain !

Il explosa de rire.

— Ce séjour dans le coma t'as rendu philosophique dis-moi ?!

Malgré les pires horreurs traversées, Antoine, avec Sven, était la force joviale infatigable de cette unité démembrée et il n'y avait qu'avec eux que rire était encore possible alors tandis qu'il murmurait à quel point elle avait manqué à l'équipe, Olympe plongea dans ses bras réconfortants.


Une heure après son arrivée, presque toute l'unité se trouvait dans sa chambre. Sven partagea sa rencontre avec le médecin qui avait ausculté son trou incongru pour finalement le reconnaître comme blessure de guerre.

— Le pire dans tout ça ? Le doc' était une femme ! Impossible de conserver un semblant de sérieux ici, elles vont toutes savoir que je suis le soldat aux deux trous de balles...

Antoine, les yeux rivés sur la cour, enchérit. Avec un peu de chance, certaines pourraient trouver ça à leur goût ! Rien n'avait changé. Pendant que Sven et Antoine affinaient leurs blagues, Marceau aux petits soins pour sa protégée, bricolait son chauffage pour éviter qu'il ne s'éteigne en pleine nuit, et Hugo, quant à lui, toujours aussi plaintif au tempérament néanmoins adouci par le calme ambiant, expliquait avoir insisté pour démarrer au plus tôt la rééducation et retourner au front avec son unité. Loïc, lui, vociférait dans son coin.

— Profite de ce calme putain. Le merdier, on y retournera bien assez tôt, avec ou sans toi sois-en certain.

Soudain, Antoine bondit, quittant la pièce à toute allure :

— Le meilleur moment de la journée est enfin arrivé !

Sven se leva d'une traite tout sourire. Devant l'incompréhension de sa coéquipière, il lui adressa un clin d'oeil. Qu'elle les suive et elle comprendrait.

Des jeunes femmes ravissantes et pleines de vie apportaient le repas du soir. Ainsi, voilà la raison de l'empressement à quitter sa chambre. Abreuvées de compliments, elles pouffaient, faussement intimidées. La guerre n'avait pas tout transformé au final. Plateaux distribués, Sven leur souhaita une nuit des plus agréables, emplie de rêves de soldats combattant pour la liberté. Olympe éclata de rire. Antoine, subitement vexé, intervint.

— Sais-tu depuis combien de temps nous n'avons pas vu le corps d'une femme ?

— À part toi bien sûr, mais tu ne comptes pas ! compléta son acolyte.

Tout le monde rit. Oui, ses coéquipiers lui avaient manqué. Pour eux, elle avait tout risqué en fonçant tête baissée. Leur présence, leurs sourires, leurs blagues, leur amour et leur protection n'étaient rien d'autre que son ancre à la réalité et après quelques longues minutes à se délecter de ses retrouvailles, la jeune femme fatiguée s'excusa. Elle voulait rejoindre sa chambre et prendre une douche bien chaude tant méritée. La dernière ? En novembre... Presque cinq mois...

Dans le couloir, un bruit l'interpella. Son voisin d'en face sortait de sa chambre. Le salut sincère d'une combattante ravie de revoir son supérieur se heurta à la froideur d'un homme encore en colère. Voix dure. Aucun regard. Aucun sourire. Rien. Le pire ? La rancœur avec laquelle il avait prononcé son nom. Personne dans les parages alors pourquoi ne pas utiliser son prénom, comme à son habitude ? Bien sûr qu'une effusion de joie aurait été déplacée, mais un minimum de soulagement de son retour dans l'équipe l'aurait réconfortée. Tous lui avaient manqué. Lui aussi. Sa constance et sa discrétion au sein de son groupe apaisaient toujours les craintes d'Olympe. Qu'importe, la douche serait d'autant plus salvatrice.


Rédemptrice. Ni plus ni moins. Cette douche lavait ses peurs, sa culpabilité et ses doutes. L'attitude du lieutenant ne disait rien qui vaille... Avait-il rapporté au QG sa désobéissance et émis le souhait de ne plus la compter parmi ses guerriers ? Le temps viendrait où elle obtiendrait les réponses mais ce soir, elle pouvait souffler. Devant le miroir, la combattante fit un état des lieux de ses blessures. Les plaies étaient propres, mais suintaient un peu et impossible de mettre la main sur son sac avec sa trousse de premiers soins. Devrait-elle remettre ses vêtements usés pour dormir ? Machinalement, elle ouvrit l'armoire. Devant ce qui s'offrait à elle, elle sourit jaune. Qu'est-ce que ses coéquipiers allaient dire à propos de cela ?

Trônant dans la salle commune, aucun soldat ne lui prêta attention.

— Dites les gars, qui a mon sac ? J'aurais aimé mettre quelques pansements sur mes plaies pour la nuit, mais je n'ai rien sur moi.

Le temps se figea. Bouche-bée un court instant, personne ne trouva quoi répondre. Antoine brisa le silence.

— Ah non ça c'est sûr, tu n'as rien sur toi !

Feu vert à la moquerie, Sven siffla. Quel retour en fanfare ! Elle n'était pas obligée de rivaliser d'ingéniosité pour qu'on la trouve aussi attirante que les jeunes serveuses ! Un sourire ironique, un geste obscène, et un ordre de la jeune femme : se taire. Longue, noire, ajustée, fendue sur la cuisse, la nuisette mettait ses courbes en valeur avec sensualité et était surtout la seule chose dans l'armoire de sa chambre. Hors de question d'enfiler à nouveau le T-shirt troué et couvert de sang. Son corps aussi méritait du répit.

Etaient-ils néanmoins sérieux ? Pourrait-elle à nouveau plaire ? Comment ne pas remarquer les ravages que le siège avait eu sur son corps ? Poitrine fondue, fesses moins rebondies... Certes elle était plus athlétique avec ses abdos dessinés, ses cuisses musclés, sa cellulite presque inexistante... Mais son corps ainsi ne lui plaisait guère. Une femme doit avoir des formes à palper, à malaxer, disait Louis. Que penserait-il alors d'elle, ici ? Des muscles, des os, des cernes et désormais, des cicatrices...

Témoin de cette scène improbable, le lieutenant détaillait le corps de sa combattante. Elle pouvait rabrouer ses coéquipiers, mais lui ? La froideur de leurs retrouvailles avait marqué les limites. De bas en haut, il l'observait. Une étrange lueur traversait ses pupilles curieuses. Un homme comme lui pouvait-il désirer une femme comme elle ? Impossible. Surtout après avoir vu tout ce dont elle était capable. Les meurtres de sang-froid, la folie furieuse qui l'habitait lors des assauts... Lorsque ses yeux parvinrent aux siens, Guillaume se racla la gorge. La maigreur de son corps serait-elle signalée à l’état-major comme signe de faiblesse ? 

Hugo interrompit les railleries se jouant encore en arrière-plan et conseilla de se rendre dans la petite salle de soin à gauche de l'unité. À l'intérieur, une table et des armoires renfermant des nécessaires de premiers secours y étaient stockés. La jeune femme remercia son sauveur, accorda un salut sarcastique à toute son équipe puis elle glissa rapidement dans sa chambre. Une fois au lit, le harcèlement des premiers temps lui revint en tête. Les voilà désormais moqueurs à l'image d'Antoine ou de Sven, rageurs comme Hugo, rieurs, mais surtout bienveillants comme Adrien, Loïc, Marceau et Sébastien. Pourrait-elle seulement renouer des liens confiants avec son supérieur, pour que tout soit enfin comme avant ?

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