Chapitre 24

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Les jours qui suivirent la nomination de l'unité CHARLY furent difficiles pour Olympe. Etant le sujet principal des railleries de ses coéquipiers, elle finissait par redouter un moment crucial : les douches. Sous l'impulsion des trois meneurs visiblement microcéphales, tous se lavaient face à elle, la fixant en silence. Pas un mot, pas un geste déplacé, rien d'autre qu'une attitude dérangeante forçant au malaise. Seuls Loïc et Félix étaient plus respectueux. Ou alors, ils n'avaient pas le courage de raisonner leurs nouveaux frères d'armes... Quoiqu'il en soit, ce harcèlement permanent, immature et puéril l'avait isolée. Exaspérée par une telle attitude, elle feintait néanmoins l'indifférence, meilleur des mépris pensait-elle, tout en montant et démontant ses armes lors des quartiers libres accordés par leur supérieur. Occuper son corps offrait ainsi un court répit à ses pensées irrémédiablement dirigées vers sa famille dont elle n'avait encore aucune nouvelle.


— Ne faites pas attention à eux, Olympe.

Veille de mission. Tous les soldats avaient l'obligation de rencontrer Brice Saint-Claire une dernière fois. Après, une énième moquerie, la voilà donc silencieuse sur le canapé. Six longs jours à supporter les railleries... La jeune femme avoua ses craintes. Était-ce raisonnable de se lancer dans cette aventure sans savoir si elle pouvait confier sa vie à une bande d'adolescents prépubères ? Selon Brice, confiant, elle avait toutes les ressources nécessaires pour faire face à tout ça. Elle devait se battre, avait-il ajouté, arrachant un sourire jaune à la jeune femme. Le temps passe, mais parfois, certaines choses demeurent immuables. Un homme se bat pour conserver du respect là où une femme devait avant tout se battre pour le gagner.

— Guillaume vous a dit ce qu'il en était pour votre famille ?

— Vous savez quelque chose ?

L'embarras de Brice offrit un infime espoir d'en savoir plus. Elle s'engouffra dans la brèche et le supplia. Devait-elle vivre les pires horreurs, découvrir les atrocités commises sur la population sans savoir ce que les siens enduraient ? S'il savait quelque chose, qu'il parle, intima-t-elle pour terminer son laïus. Le silence fut long mais soudain, l'homme lâcha la bombe. Sa mère et sa sœur avaient été réquisitionnées pour servir dans un hôpital soignant des combattants du MLF ou des prisonniers torturés, quant à son père, il aurait été déporté pour travailler dans une usine d'armement plus à l'Est. Ses grands-parents, eux, allaient bien et étaient en sécurité chez eux.

Prisonniers, déporté... L'horreur d'une guerre totale s'abattait sur sa famille et elle en était responsable. Sa fuite lors du contrôle avait eu raison de leur avenir. Ses entrailles se tordirent sous l'impulsion de ses pensées les plus morbides. Qu'adviendraient-ils d'eux ? Comment venir à leur secours ? Abasourdie, des torrents incontrôlables inondaient son visage.

— N'en voulez pas au lieutenant, je pense qu'il voulait vous protéger.

Sa propre culpabilité avait écrasé celle de son supérieur. Incapable de tenir en place, les mains à l'arrière de la tête, submergée par les émotions, ses pensées tourbillonnaient de manière incontrôlable. Depuis quand savait-il tout cela ? Pour qui se prenait-il pour oser lui cacher la vérité ? De quoi avait-il peur ? Qu'elle se sauve en courant ? La bête faisait les cents pas dans le bureau pendant que le psy jouait l'avocat du diable. Le lieutenant Bela refusait de lui imposer de prendre les armes après avoir découvert le sort de sa famille. Selon lui, ajouter de la peur et de la culpabilité à cette nouvelle vie faite de combat serait trop à gérer pour elle.

— Arrêtez vos salades, Brice. Il avait surtout peur de perdre une recrue à l'aube d'une guerre civile ! Car croyez-moi, si j'avais su ça bien plus tôt, il n'y aurait pas eu de vie faite de combat, mais une désertion en bonne et due forme.

— Ne lui en voulez pas, il croyait bien faire. Vous êtes la seule femme de la RF à appartenir à une unité d'élite. Il se sent investi d'une mission vous concernant. L'attitude des soldats, l'avenir de votre famille, la perte tragique de votre conjoint, la prise en main des armes et les souvenirs qui en découlent, il est persuadé qu'aucune personne ne peut endurer tout ça sans vriller. Il a pris la décision d'alléger cette chape qui repose sur vos épaules. Vous êtes sa protégée.

La jeune femme pouffa. Sa protégée... Il n'avait donc rien compris. Elle avait par dessus tout besoin de son honnêteté, clama-t-elle. Difficile de ne pas se sentir trahie. La jeune femme s'était faite bernée par l'attitude fuyante de son supérieur qu'elle avait mise sur le compte de la tension des combats et des heures sombres à venir. Quelle erreur.

— Tout va bien se passer pour votre famille Olympe. Sachez que je ne me fais aucun souci pour vous ! Regardez-vous ! Une nouvelle pareille aurait pu vous terrasser, vous empêcher d'avancer, vous clouer sur place. Non. Votre force c'est votre fougue. Elle vous domine et vous permet de continuer, encore et encore. Ne lâchez rien. Jamais. Nourrissez-vous d'elle et vous atteindrez des sommets. Je dois malheureusement vous demander de quitter la pièce, j'ai d'autres personnes à rassurer.

En sortant du bureau, un jeune homme blanc, en sueur et en pleurs, passa à côté et souffla bruyamment, irritant davantage les nerfs d'Olympe. Puisse-t-il ne pas se plaindre. Il n'avait pas appris que sa famille était entre les griffes des salauds qui saccageaient son pays !


Minuit. Impossible de quitter du regard le lieutenant qui rejoignait son lit. Elle n'espérait qu'une chose, qu'à travers la pénombre, il puisse voir toute l'animosité dans ses pupilles. Il l'avait trahie. Jusqu'à présent, il avait représenté l'espoir par sa prévenance puis s'était installée une froideur, rapidement attribuée à un respect naturel de la hiérarchie. Comment pouvait-il en être autrement ? Par son silence, le lieutenant avait en réalité voulu la protéger des pires cauchemars que tous ici faisaient. Son père, seul, loin. Sa mère, effondrée par la perte de sa fille aînée et de son mari dans la foulée, forcée à travailler pour le MLF, obligée de porter secours à des êtres mutilés, terrorisée à l'idée de découvrir sa fille parmi les victimes. L'accueil des rescapés avait glacé toute la RF. Menaces, punitions, restrictions, tortures... Ces horreurs agitaient à présent Olympe, engagée dans ce conflit. Une discussion s'imposait dès le lendemain avec ses supérieurs. Peut-être que le commandant pourrait venir en aide à sa famille d'une manière ou d'une autre ?

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