Chapitre 22

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Quinze minutes de pause. Chacun récupérait des forces pour la suite de l'après-midi et, enfin, la pluie avait cessé lorsque le groupe se rendit à l'orée d'un bois. Là, le commandant et le capitaine les attendaient pour l'une des étapes les plus importantes : l'initiation au tir. Seize candidats pour quinze places, l'épreuve serait probablement déterminante.

— Messieurs, Madame, parmi vous, certains savent se servir d'une arme à feu, j'aimerais qu'ils s'avancent, ordonna le Commandant. 

Sans grande surprise, les trois hommes athlétiques, sérieux en toute circonstance et ayant maîtrisé la course s'avancèrent.

— Je pense que tout le monde n'a pas bien entendu le Commandant, toutes les personnes ayant déjà manié une arme à feu doivent s'avancer, intervint le lieutenant.

Rien, personne ne bougeait.

— Warenghem, s'il vous plaît, avancez !

La voix sèche du gendarme surprit le groupe. Telle une chape de plomb, les épaules de la jeune femme s'alourdirent alors du regard de tous ses coéquipiers, y compris Loïc. Comment pouvait-il en être autrement... Elle n'était malheureusement pas celle qu'il croyait mais était-elle pour autant celle que le lieutenant envisageait ?

— J'ai déjà manié une arme lieutenant, mais de là à dire que je sais m'en servir.

— Avancez, ne discutez pas, dit-il brusquement.

Elle tenta de relayer au second plan le nœud puissant pesant sur son estomac et obéit. Dans quoi s'était-elle embarquée ? Pendant que le commandant expliquait les caractéristiques techniques du fusil d'assaut, le lieutenant apporta un FAMAS sur les tables disposées devant chaque tireur. Son voisin de gauche, ayant déjà manié ce type d'engin, fut invité à débuter la démonstration.

L'arme dans le creux de l'épaule, tête penchée pour la maintenir en place, il visa, expira et tira. La détonation ? Un voyage dans le temps. Destination ? Mars. En sueur, Olympe se tourna dos au groupe. La cible devint alors sa victime et un incontrôlable haut le corps la fracassa contre ses états d'âme. Culpabilité ? Pire. Dégoût d'elle-même. Elle avait tué et n'avait rien regretté. Depuis cinq mois, en elle sommeillait un effrayant monstre assoiffé de vengeance. Une fois l'arme en main, une fois l'ennemi en face d'elle, de quoi serait-elle capable ?

— Je suis désolée commandant, mais je ne vais pas pouvoir… Je ne peux pas.

Désemparée et submergée par ses souvenirs, la panique résonnait dans sa voix. Nourrir cette bête ignoble était-ce vraiment la meilleure solution pour avancer dans sa vie ? Elle n'avait rien à faire là, elle, jeune veuve, sage-femme, ordinaire et sans talent, seulement, devant ces pensées raisonnables, une petite voix terrifiante tentait de prendre le dessus. Si elle abdiquait face à elle, que deviendrait-elle ?

Le commandant lui intima avec une douceur inhabituelle de prendre le fusil dans les mains, pensant ainsi motiver sa recrue mais c'est ainsi acculée, qu'en ultime recours, ses pupilles supplièrent le seul qui pouvait comprendre : le gendarme, son lieutenant. Avec un discret signe de tête, elle comprit qu'il était préférable d'obéir. Prendre les armes, se battre, laisser la fougue diriger et contrôler sa vie, c'était ça qu'il était venu chercher quelques jours auparavant en se rendant à son domicile. C'est alors que sur ses paupières fermées, emprisonnant ainsi ses larmes, sa famille se projeta. Apprendre à manier ces armes pourrait être la seule chance qu'elle ait de les retrouver et de les mettre en sécurité.

La frénésie s'imposa, prit les rênes et ses mains caressèrent ainsi l'arme. Les reliefs, le canon, la détente, la crosse. Froid et léger. Doux et puissant. Par où commencer ? Elle n'avait rien retenu de la démonstration du GI Joe et tentait de reproduire des bribes fugaces quand quelqu'un s'installa derrière elle, les mains sur les siennes. Son corps l'enveloppa, son souffle calme la rassurant presque. Il lui expliqua en douceur où placer ses mains, puis, fixant désespérément la cible qui s'offrait à elle, un énième blocage perçu par son sauveur. 

— Respire beauté, dit alors la voix, de toute façon tu n'y arriveras pas et tout ça sera fini pour toi, tu pourras rentrer et retrouver les civils et leurs missions secondaires.

Ce simple murmure éjecta les doutes, les craintes et surtout la raison au fond de son gouffre. Comment osait-il ? Ce moins que rien méritait qu'elle lui montre ce dont elle était capable. Elle s'installa à nouveau. Paupières fermées. Trois profondes inspirations. Une fois son corps stabilisé, elle ouvrit les yeux. Le viseur plus stable, les épaules basses, le corps détendu. Index sur la détente, la furie s'étira.

— Commandant, combien ai-je d'essai ?

Cette voix, cette fougue... Elle prononça la phrase sans bouger, ne quittant pas la cible du regard. La lionne était prête.

— Trois, Warenghem.

Elle n'en avait que faire de la fierté décelée dans la voix du lieutenant Bela. Ce n'était pas pour lui qu'elle le faisait, mais pour elle. Pour elle et pour l'imbécile qui la prenait pour une faible. Pour elle et pour sa famille. Pour elle et pour Louis...

La fougue gronda. Un coup sec et puissant résonna à son oreille. Le recul la fit sursauter. Olympe releva la tête et jubila en secret devant le cœur de la silhouette atteint. Le commandant expédia rapidement son essai pour passer au suivant, en la félicitant néanmoins, mais elle n'en avait pas terminé.

— Mon commandant s'il vous plaît, j'aimerais profiter des deux chances qu'il me reste pour démontrer à mon camarade qu'il ne s'agit pas de la chance du débutant et que j'ai peut-être autant ma place dans ce groupe que ce GI Joe, jeta-t-elle à l'intention de l'homme dont une haine pure et animale trônait dans le regard.

Aurait-elle trouvé un adversaire à la hauteur de sa folie ?

— Il ne s'agit pas d'un concours Warenghem, faites vite nous n'avons pas toute la journée, répondit sèchement le commandant.

Olympe s'installa à nouveau en une gestuelle qui deviendrait peut-être bientôt un rituel. Le tir fit à mouche là encore tandis que sa dernière tentative se logea à quelques centimètres du cou de la silhouette. Son adversaire souriait de son échec cependant, deux sur trois, pour une première, elle pouvait être fière. Vengeance serait bientôt sienne. Chaque membre du MLF tué grâce à cette puissance de feu serait un milicien de moins qui causerait du tort à sa famille.


Les démonstrations d'armes de guerre se terminèrent par l'utilisation d'un Glock 17, arme de moins d'un kilo au recul plus difficile à gérer pour Olympe puis de théorie autour de grenades à fusil et de grenade à main M67. Un lance-roquette anti-char termina l'étalage de la puissance militaire déroulée devant eux. Les choses sérieuses allaient bientôt commencer.

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