Chapitre 10

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Olympe avait tellement soif, qu'après cet échange sous tension, elle trouva malgré tout son compte dans une longue gorgée d'eau chaude et insipide. Des mois auparavant, elle était parvenue à attendre que le lieutenant la ramène chez elle pour ne pas s'effondrer devant des inconnus, révélant ainsi sa pire facette : compartimenter ses émotions pour tenir. Ici, une nouvelle fois, elle balaya sa culpabilité au fond de son gouffre, invita la colère à se mettre de côté, et à la bêtise, fautive, de se faire toute petite, ainsi, le calme apparut. Aussi simple qu'un bonjour ! Oui, quand l'esprit était tourmenté, malmené et morcelé, scinder et organiser devenait réalisable.

Une fois plus apaisée, la porte d'une remise juste devant elle, entravée d'une simple chaîne, lui accorda la possibilité de se cacher plus soigneusement des miliciens qui, au loin, n'en avaient toujours pas terminé. Les radios s'affolaient, les nerfs s'agaçaient, les corps trépignaient et dans cette courette, les trois longues heures d'attente avant un potentiel secours résonnèrent tel l'infini. Desserrer la chaîne, écarter la porte et se terrer dans cet abri, c'était tout ce qui lui incombait pour tenter de sauver sa peau en attendant l'heure. Il fallait qu'elle leur échappe. Il fallait qu'elle reste en vie. Au pied du mur, l'instinct animal enveloppa Olympe lorsqu'elle s'approcha de la porte. La chaîne présentait trois entremêlements. Par chance, la rouille atténuait le bruit des maillons. Elle commença son œuvre tel un canevas ou une broderie, maniant le fer avec grâce et douceur. Non. Ça n'allait pas. Elle était encore trop bruyante. Les mains tremblantes, elle reposa délicatement les extrémités métalliques et but une nouvelle gorgée d'eau. Réfléchir. Ne pas se précipiter. La veste enroulée autour de la chaîne, elle reprit son travail d'orfèvre. Le tissu rendit l'acier muet. Après de longues minutes, Olympe put enfin entrouvrir la porte et se glisser dans la remise sans bruit mais une fois à l'intérieur, rien n'était gagné. Pour maintenir la porte fermée, elle n'eut d'autre choix que de nouer sa veste et son sac à la chaine pour faire du poids. Une fois sa besogne terminée, la voilà enfermée et à l'abri, pensa-t-elle. 

— Quelqu'un a fouillé ce bâtiment ? Il y a une arrière cour. 

Un bruit sourd métallique lui arracha un sursaut. 

Tout ça pour ça !

— Je ne sais pas. Hé les gars, est-ce que quelqu'un a fouillé ce bâtiment ? cria une seconde voix.

Au total, cinq voix infirmèrent dans cette patrouille comptant six soldats. Une dernière réponse négative et tout serait terminé. La grille se mit à trembler. Quelqu'un l'escaladait. La vision de ses parents, atterrés et sidérés d'apprendre le décès de leur fille, terrée dans une étable poussiéreuse, se projeta sur ses paupières. La douleur physique de sa mère, soutenue par son père, tentant de faire bonne figure, l'explosion dans le cœur de son papi... Sa propre mort pouvait-elle en causer d'autres ?

— Je vais aller voir, mon lieutenant. 

Alors, elle imagina ses derniers instants. Il ouvrirait la porte mais elle ne supplierait pas pour sa vie. Non. D'ailleurs, au pied du mur, son unique regret était de ne pas avoir d'arme sur elle... La faute à Louis, repensa-t-elle, qui avait refusé de céder à la panique et de s'en procurer une sur un marché noir désormais si facile d'accès. En sauveuse de l'humanité de par sa profession, jamais elle ne s'était sentie en danger dans cette société devenue dingue mais ici, six miliciens venaient de passer deux heures à la traquer. Cette femme qui leur filait entre les doigts exacerbait leur pouvoir. La trouver et la punir en ferait un exemple pour toute la population.

— Non attendez.

Dernière voix.

— Attendez, reprit l'homme, j'ai déjà vérifié moi-même, il y a une petite courée et un bâtiment type remise à l'arrière, j'ai tenté d'écarter la chaîne, impossible de s'y glisser. Le bâtiment principal est complètement fermé à l'arrière comme à l'avant. Elle n'a pas pu se cacher ici c'est absolument certain.

Totalement immobile, abasourdie et déstabilisée par l'aide incroyable qu'elle recevait de nulle part, elle tendit l'oreille, seul sens utile à cet instant. À l'intérieur de la courée, le milicien se déplaçait dans le calme, scrutant le moindre indice. Avait-elle renversé de l'eau ? En fouillant dans le sac, un ticket de caisse s'était-il échappé ?

— Lieutenant ! Vous devriez venir voir ça.

Le seul rempart face à ces hommes s'agita. Olympe, tout comme la chaîne tenue par l'ennemi, tremblait.

— Lieutenant s'il vous plaît ! reprit la voix de son sauveur.

— Quoi ? aboya-t-il. Y'a rien qui presse, je peux vérifier moi même si cette salope ne se cache pas par ici, non ?

— Oui, bien sûr mon Lieutenant, seulement, levez les yeux et regardez en direction du nord.

Le soldat jura, la grille gronda puis, plus rien.

En apnée durant tout ce temps, la fugitive souffla avec le plus de discrétion possible. Qu'y avait-il dans le ciel pour qu'il s'éloigne dans une telle hâte ? Ses émotions s'agitèrent. Pleurer, rire, hurler... Trembler. Oui, elle tremblait toujours ou plutôt, elle grelotait et claquait même des dents, trempée par la course et l'angoisse d'être découverte. Maîtriser l'adrénaline se déchargeant avec violence dans son corps devint alors sa nouvelle mission. Les circonstances lui avaient offert un maigre répit et ainsi cachée, les chances que la milice lui tombe dessus s'amenuisaient.

Depuis quelques mois, l'optimisme d'Olympe était mis à rude épreuve et cette journée pèserait davantage dans la balance. Pour elle, avant, derrière toute chose terrible se cachait une conséquence positive qui faisait grandir, seulement rien dans l'absence de Louis n'était positif et ce n'était pas dans ce trou à rats qu'il fallait espérer renverser la tendance.

Sa famille, la reverrait-elle un jour ? Comment réagiraient-ils face à son absence ? Dernière visite pour une mise en garde d'un coup d'état, puis plus rien. Comment avait-elle osé leur faire subir une telle inquiétude ? La chance de cette journée, indécente et honteuse finirait pas tourner, mais quand ? Et si la milice l'attendait devant la grille ? Dans cette remise, à cet instant, Olympe était désespérément seule mais elle refusa de céder à la panique. La folie y veillait. Elle n'avait qu'une envie : se blottir dans le creux de son cou et lui souffler toute la désillusion qui vibrait dans son corps. Louis lui manquait et plus jamais il ne pourrait la réconforter.

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