Coup d'Etat : Chapitre 5

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Sidérée, Olympe, manqua de s'étouffer avec une gorgée de thé plus grosse que prévue. La douleur de cette goulée brûlante invita la rage à prendre place. Encore. Toujours. Le fauve s'éveillait d'une longue torpeur avec une facilité déconcertante tandis que la résignation de sa vie fut violemment refoulée au second plan. Pour qui cet homme se prenait ? Comme électrisée, la femme brisée bondit.

— Vous n'êtes quand même pas sérieux ? Vous venez jusqu'ici, après tout ce temps, pour vous foutre de ma gueule ? Vous savez ce par quoi je suis passée depuis ce jour de mars ? Est-ce que vous imaginez une seule seconde dans quel état je peux être ?

— Non, et justement, j'aimerais le savoir.

Lui seul connaissait sa part la plus sombre alors pourquoi retenir tout ce qui la rongeait ?

— Tous les jours je me lève seule dans mon lit en ayant obtenu ma vengeance, en partie, tout en sachant que ce sentiment ne le ramènera pas. Revoir dans mes rêves les plus fous le crâne démoli et la marre immonde de sang du fils de pute que j'ai tué me conforte, sans pouvoir l'expliquer mais quand je croise un fourgon de gendarmerie, je pense qu'il s'agit de mes derniers instants de liberté, sans mentionner les contrôles du MLF, où là, je me dis que je vis mes dernières heures avant de me poser une unique question : qu'est devenu le monstre que j'ai épargné ? Car vous m'avez empêchée de l'abattre en intervenant si vite... Est-il en prison ? J'espère. Mais s'il est en liberté par je ne sais quelle manipulation du MLF, a-t-il donné mon signalement au mouvement ? Vous n'imaginez pas ce que je vis au quotidien. La peur me terrasse et m'oppresse tous les jours un peu plus, me guidant vers la folie, seul refuge durable pour supporter ce que ma vie est devenue. Comment pensez-vous qu'on peut survivre à ça, putain ?

Des larmes de colère et de soulagement perlaient sur le visage d'Olympe. Enfin quelqu'un pouvait entendre tout ce qu'elle pensait, tout ce qui l'empêchait de dormir et même de vivre. Qui aurait pu comprendre ? Cette rage lui faisait peur mais l'inconnu ne semblait pourtant ni remué ni étonné par ses propos. Cette facette d'elle-même, il était le seul à l'avoir vue. Elle avait changé le jour où Louis l'avait quittée, seulement, les gens n'imaginaient pas à quel point. Lui, si.

— Je suis venu vous voir aujourd'hui car les gens qui m'emploient souhaitent recruter des personnes prêtes à tout. J'ai pensé à vous et à la rage qui animait vos yeux ce jour-là et je vois qu'elle est toujours présente. Tant mieux. Madame, cette colère est une arme. Ce dont vous avez été capable il y a cinq mois n'a pas quitté mon esprit. Vous avez eu le courage de faire ce que personne d'autre n'aurait osé. Pas même moi, et dieu sait si ça me démangeait. Lieutenant de l'unité sur place, j'ai ordonné qu'on vous foute la paix. Je pensais affronter mes collègues, mais il n'en était rien. Eux aussi, pour la plupart, ont été dégoûtés par ce qu'ils ont vu ce jour-là. Une femme enceinte, des personnes âgées... Ces innocents n'avaient rien demandé et les voilà morts et enterrés. Alors tous gardèrent le silence lorsque je les ai informés que je mentirais sur le rapport d'intervention. Vous n'êtes jamais intervenue sur ce parking. Officiellement, vous n'y étiez pas. Madame, je vous dis tout cela car je pense que vous seriez un excellent élément de ma section, après une préparation adéquate et une gestion raisonnée de toute cette fougue qui ne demande qu'à sortir.

Abasourdie, sans voix, que répondre ? Qui souhaiterait devenir une combattante sanguinaire ?

— Je suis désolée. La proposition ne m'intéresse absolument pas. J'ai un travail que j'aime, j'essaye d'avancer dans ma vie, comme je peux au vu des circonstances. Donc si vous n'êtes pas là pour m'arrêter, je vous demanderai de bien vouloir quitter ma maison et de ne plus jamais revenir me voir.

— Réfléchissez quelques instants avant de refuser de but en blanc. S'il vous plaît. L'avenir de notre pays est incertain. On a la possibilité de changer le cours des choses.

— Peut-être, mais ça n'est pas de mon ressort. Il semblerait que vous ayez les choses en main, vous et les gens qui vous emploient. Je vous fais confiance pour réduire à l'état de poussière cette organisation. Laissez-moi vous raccompagner.

Elle se leva et l'invita à passer par l'arrière de la maison pour rejoindre sa voiture. Dans une ultime tentative de la convaincre, Bela lui expliqua qu'il avait enquêté à son sujet, qu'elle serait une valeur ajoutée à son équipe, qu'elle était liée au MLF, qu'elle le veuille ou non. Sa formation médicale serait un réel plus sur le terrain, et cette fougue, mise à contribution d'une cause plus grande, pourrait faire la différence. Olympe écouta, mais ne répondit rien.

— Dans deux jours, il faut vous attendre à un black-out complet. Le MLF n'est plus une simple milice, elle a désormais des appuis solides partout dans le pays. Les supermarchés, pompes à essence et banques seront fermés. Les routes principales vont être coupées. Toute personne à l'extérieur de son domicile sera exécutée. Ils expliquent qu'ils veulent enrayer l'épidémie et redorer l'économie de la nation, ils sont surtout prêts à se servir de ce prétexte pour installer leur pouvoir autoritaire. Dès demain, un shut-down du réseau téléphonique et internet va avoir lieu. Imaginez comment la population réagira suite à l'absence de moyens de communication avec l'extérieur ? Tout le monde va sortir pour trouver des informations, pour s'assurer que leur famille va bien et c'est exactement ce qu'ils veulent. Se débarrasser des plus libertins, ne conserver que les plus obéissants.

— Non mais, mon pauvre vieux, vous délirez complètement. Comment voulez-vous qu'ils réussissent à faire tout ça ?

Malmenée par cette conversation, la folie s'agitait. Olympe refusait de croire ce que cet étranger lui racontait. Sa poitrine vrillait et son sang s'échauffait dans une aliénation presque millimétrée. Alors qu'elle ouvrit la grille, l'homme lui prit la main, la sortant de ces réflexions illogiques à l'aide d'une violente grimace. Les contacts physiques étaient désormais devenus insupportables. Elle voulait conserver le privilège de sa dernière étreinte à Louis, et personne d'autre. Par une impétueuse menace, elle le somma de retirer sa main, ce qu'il fit en s'excusant avec douceur.

— Vous devez me croire, c'est la stricte vérité. Je comprends que cela vous semble complètement invraisemblable. Je ne vous mens pas. L'état est en faillite et n'est plus capable de gérer les finances militaires pour que l'armée se défende en cas d'attaque. Le MLF le sait. Ils ont des taupes dans les plus hautes sphères sauf auprès de notre organisation, encore secrète. Nous devons nous préparer au pire. Je vous offre une chance de rester en vie et de vous battre pour l'avenir de votre famille.

Désespéré, il la suppliait du regard. L'évocation de sa famille secoua Olympe. La louve, amputée d'un membre primordial n'avait plus rien, à part eux, sa meute, sa seule ancre dans cette vie d'errance. Nouvelle menace. Était-ce la frénésie de la jeune femme qui lui jouait des tours, comme souvent ces derniers temps, où l'homme, un court instant, sourit ? Il fouilla dans sa poche pour en sortir un téléphone qui ressemblait à un ancien modèle de portable, sur lequel on pouvait jouer à faire évoluer un serpent le long de l'écran sans qu'il se morde la queue, se rappela Olympe.

Autre époque. Paisible et légère...

— Tenez, il fonctionne même sans réseau. Le numéro enregistré est le mien. Vous pouvez m'appeler pendant deux jours, au-delà, mon offre expirera et il sera trop tard, vous serez alors livrée à vous-même. Réfléchissez bien ! Ce n'est pas de la folie qui sommeille en vous Olympe, c'est une soif de vengeance que je vous propose d'assouvir.

L'homme s'installa au volant d'un gros 4x4 noir d'une incroyable propreté, recula dans l'allée et regarda Olympe, ahurie, le portable dans la main droite. Carreau ouvert, il lui intima une nouvelle fois d'être prudente, comme cinq mois auparavant, avant de s'éloigner.

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