Terrasse...

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Jeanne, sur le parvis, contemple la façade de la cathédrale… Elle ne reconnaît pas l'édifice qu'elle avait autrefois découvert, déjà, dans sa version gothique. Mais à l'époque où Orléans était assiégé par les Anglais, la cathédrale possédait encore son ancienne façade romane. Se tenant en retrait, elle examine les trois porches néogothiques, les rosaces les surmontant, l'étage des tribunes et l’élévation symétriques des deux tours au double plan carré, chacune coiffée de cette étonnante colonnade circulaire à ciel ouvert. Elle irait bien visiter l'intérieur mais elle craint de manquer son rendez-vous...

Jocelyne ayant garé sa voiture sur les quais, remonte, elle aussi, la rue Royale jusqu'à la rue Jeanne d'Arc qui débouche place Sainte-Croix. Apercevant Jeanne, elle s'approche doucement, se permet une légère tape sur son épaule… Jeanne ne sursaute pas, se retourne aussitôt et lui adresse un ravissant sourire.

- Merci d'être là Jocelyne... soupire-t-elle, soulagée...

- Je t'avais promis d'être à l'heure… nous allons d'abord déjeuner, tu dois avoir faim …

- Pas plus que cela... mais je t'accompagne volontiers...

Marchant côte à côte comme deux amies d'enfance heureuses de se retrouver après un long temps de séparation, elles reprennent la rue Jeanne d'Arc en direction de la place Général de Gaulle. Jocelyne pensive, réalise l’invraisemblance de la situation « nous sommes là, à déambuler sur cette avenue portant le nom de notre héroïne nationale, nom que prétend porter celle qui m'accompagne à cet instant et avec laquelle je me sens moi-même en toute confiance, liée par une indéfectible amitié... »

- Cette ville est magnifiquement percée, j'ai beaucoup apprécié le passage sous les arcades de la rue Royale. Il y a des magasins éblouissants raconte Jeanne pour rompre le silence « Donc elle a bien repéré le nom des rues et sait présentement où elle se trouve… » réalise Jocelyne.

- Eh bien, on ira en faire quelques-uns si ça te plaît.

- Oh oui ! Je suis curieuse de découvrir tous les étalages à l'intérieur... les vitrines sont souvent prometteuses… j'adore votre mode vestimentaire, il y a des ensemble charmants, des formes, des couleurs très gaies. Jocelyne sourit « c'est bien une fille… ». Au bout de l'avenue, elles prennent à gauche, rue du Cheval rouge et arrivent place du général De Gaulle. Jocelyne presse le pas en direction de la terrasse du « Jardin du pavillon. », une brasserie qu'elle fréquente assez régulièrement. Il y a encore une table de libre. Les deux jeunes femmes s'installent en vis à vis...

- Enfin se poser !...souffle Jocelyne. Elle fixe avec une immense tendresse dans le regard sa « protégée »... « Quel âge a-t- elle ? Tout juste la vingtaine.  Mon Dieu qu'elle est délicieuse, d'une douceur infinie, une femme enfant… une enfant devenue femme, et ce sourire, ces grands yeux lumineux, ce visage solaire, ce port de tête d'une sublime élégance, cette chevelure à la coupe mi-longue, aux reflets éclatants, ces mains aux doigts merveilleusement effilés, ce corps aux divines proportions, c'est un vrai bonheur que de se trouver en sa présence !...».

- J'apprécie aussi, répond Jeanne, j'ai pas mal trotté depuis ce matin. Elle aussi dévisage Jocelyne  qui est  une belle jeune femme, elle, plus proche de la trentaine, dotée d'un corps athlétique. Sur un cou très fin et long, elle porte une tête de forme oblongue qu'éclairent deux yeux noisettes mobiles, les sourcils en douces arcades, soulignent son regard pétillant, se faisant, tour à tour, interrogateur, curieux ou étonné. À cet instant, ses yeux sont admirablement rieurs, des cheveux de jais brillants, son tirés en arrière pour constituer une élégante queue de cheval. D'elle, émane une grâce naturelle. Jeanne est également sous le charme...

Un serveur s'approche et distribue à chacune, la carte des menus…

- Tiens Jocelyne ! Content de te revoir… montrant Jeanne d'un coup de menton... c'est une nouvelle collègue ?

- Salut Marc ! Dis-donc t'es bien curieux toi !... plaisante-t-elle.

- Eh oui, on veut tout savoir nous autres... chaque jour, on fait pas mal de « mise à table » nous aussi… Dis-donc, cette demoiselle qui t'accompagne, me paraît bien jeune...

- Marc, la jeunesse est de plus en plus précoce… tu verras prochainement, dans nos rangs, on nommera bientôt des commissaires de 25 ans …

- Je vous laisse choisir les filles !... se reprend le serveur, quelque peu froissé par la boutade...

- C'est ça Marc, laisse nous le temps, c'est jamais simple avec tout ce que vous proposez...

- Les deux jeunes femmes parcourent la carte.

- Je privilégie les mets froids. Tu sais je n'apprécie pas le chaud. Que me conseilles-tu Jocelyne ?

- Aimes-tu les fruits de mer ?

- Les fruits de mer ?

- Tout ce qui vient de la mer : poissons, crustacés... tu n'a jamais mangé des coquillages, des huîtres, du crabe, des crevettes, des langoustines. Jeanne fait une petite moue intriguée...

- Non jamais...

- Veux-tu y goûter ?

- Bien sûr, je suis curieuse tu sais, dit Jeanne en riant.

- Bon je vais commander un plateau pour nous deux… Tu prendras bien du vin avec cela ?

- Du vin !.. Hum, je ne sais pas... ça fait si longtemps...

- Un sancerre, juste fruité et bien sec, tu verras, ça accompagne à merveille les fruits de mer encore mieux qu'un muscadet.

- Jeanne s'amuse beaucoup de la gaîté manifestée par sa nouvelle amie.

- Un quart d'heure plus tard, Marc revient avec une montagne de fruits de mer …

- Tenez les filles vous allez avoir matière à décortiquer et là, il s'agit pas de séparer le vrai du faux, mais d'extraire le tendre du dur, la chair de la coquille ou de la carcasse. Bon appétit mesdemoiselles ! Débouchant la bouteille de vin blanc sec, il remplit jusqu'à mi hauteur leur verre. Goûtez-moi à ce nectar, vous m'en direz des nouvelles !...

Jocelyne constatant que Jeanne est embarrassée, avec les langoustines, lui montre comment les décortiquer. Jeanne attentive observe chaque geste… elle apprend vite et a tôt fait de se débrouiller seule y compris avec les coquillages palourdes, coques et bulots...

- Alors ?

- C'est délicieux convient Jeanne et ce vin est une pure merveille ...

Elles restent un moment silencieuse… Jeanne, de sa place, observe tout son entourage : le va et vient des trams, l’empressement de certains passant, la flânerie débonnaire d'autres, puis leurs voisins en terrasse d'où fusent éclats de rires et bribes de conversations enjouées. A sa droite, un jeune couple déjeune en ne se quittant pas du regard. Entre eux, dans un landau, dort leur bébé, ses petits bras potelés encadrant sa si mignonne tête. Elle le regarde avec attendrissement. « Un enfant merveilleux comme cela, elle n'en a jamais eu et sait bien qu'elle n'en n'aura jamais... »

Jocelyne l'observe à la dérobée et constate que Jeanne semble en permanence étonnée « on dirait une petite fille qui découvre soudain le monde qui l'entoure ...».

- Dis-moi Jeanne, d'où viens-tu ? La question, impromptue, sort Jeanne de sa rêverie... Elle regarde sa nouvelle amie droit dans les yeux... et semble sur le point de fondre en larmes.

- Jocelyne ! Elle lui prend la main...

- Oui !

- Tu as confiance en moi ?

- Absolument !

- Je ne viens pas de ce monde, dit Jeanne à voix basse... Jocelyne qui ne peut réprimer une crispation des lèvres, veut retirer sa main mais Jeanne la retient avec fermeté...

- Jeanne tu ne vas pas recommencer... elle libère la main de Jocelyne... et lui explique à mi-voix.

- Écoute-moi, aussi incroyable que cela puisse paraître, j'ai été  précipitée dans ce monde, à l'endroit exact où vous m'avez surpris, chevauchant la statue équestre, place du Martroi... Tout a commencé à ce moment précis... De ceci, avant d’apparaître ici-bas, j'ai eu la vision complète, y compris de ce qui allait s'ensuivre... Je savais, avant d'arriver dans cette ville, à la date où vous m'avez arrêtée, que j'allais te rencontrer - TOI, Jocelyne - et c'est ce qui, maintenant, est le plus important... -  en face, celle qu'elle vient de désigner avec insistance, reste figée et pâlit.... – Je n'ai, matériellement, aucun lieu de résidence ici ou ailleurs de par ce monde... je viens d'y débarquer... il faut que tu me croies Jocelyne ! Bientôt tu réaliseras que tout ce que je viens de te confier, correspond à la stricte réalité. Toutes les deux s'observent yeux dans les yeux, ni l'une ni l'autre ne baisse le front. De tendu, l'instant, progressivement s’apaise.

- Vous prendrez un dessert ? C'est Marc qui les sort de leur huis clos... il leur tend la carte.

- Pour moi, comme d'habitude, ce sera un sorbet citron et fruits de la passion. Jeanne ça te dis une glace ?

- Oui, te faisant confiance, je prendrai comme toi, un sorbet aux fruits de la passion …

Les deux amies ont retrouvé le sourire. Marc leur apporte leur dessert. La jeune femme, à la table voisine, a pris le bébé dans ses bras et lui donne le biberon...

- C'est curieux cela, les mamans ne donnent pas le sein à leur petit enfant… fait discrètement remarquer Jeanne...

- C'est un choix que chacune fait librement en fonction de ses dispositions personnelles. Tu sais Jeanne, les femmes de notre époque, ont beaucoup plus de libertés et de choix qu'elles n'en avaient il n'y a pas si longtemps encore... Bon, n'avais-je pas dit qu'on irait faire du shopping.

- Du shopping ?...

- Hem... je voulais dire, faire le tour des magasins...


à suivre : "Galeries..."

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