De fer, d'enfer et d'en faire...

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Ariane vient à peine de déloquer que Jeanne repousse la porte de la cellule et se précipite dans le couloir en… armure, l'épée au poing... L'agitation s'amplifie au fur et à mesure qu'elle passe devant chaque bloc vitré. Un cliquetis métallique scande sa marche de soldat téméraire, en route pour le combat.

Elle fait une entrée fracassante dans le bureau de Fraigneau & Marchadier, frappe du plat de son épée sur le poste informatique, faisant tressauter tout ce qui s'y trouve...

- Il va falloir m'écouter capitaine !

Fraigneau que cette incursion impromptue a fait soudain blêmir, veut sortir son arme du premier tiroir à sa droite.

- Ne faites pas cela !... Elle se retourne brusquement pour faire front à la dizaine de policiers qui l'ont mise en joue. L'épée qui a suivi son mouvement a projeté à terre une bonne partie des objets se trouvant sur le bureau du capitaine... plusieurs dizaines de feuilles, envolées des dossiers, jonchent le sol...

- Vous voulez m'abattre ? C'est risqué dans un espace aussi réduit… je veux simplement parler avec le capitaine Fraigneau. Vous feriez mieux de retourner à vos occupations...

Dans son dos, le capitaine leur fait signe de retourner dans leurs services respectifs. Jeanne les voit se retirer en reculant pas à pas, leurs pistolets toujours pointés sur elle. A contre-courant, Jocelyne arrive à la hâte, la mine absolument défaite... elle regarde Jeanne l'air incrédule.

- Où avez-vous récupéré votre armure et cette épée que l'on avait confisquée puis mise en lieu sûr ?

- N'avais-je point dit que le fer retourne toujours au fer... le capitaine a la résistance du fer...moi, j'ai sa volonté offensive... mais le fer se dissous dans le feu, c'est ainsi qu'on le forge, qu'il plie et se soumet aux intentions créatrices... Elle lève son épée, la tenant droite devant ses yeux, la pointe dirigée vers le haut, puis la pose doucement sur le bureau de Fraigneau abasourdi.

- Tenez, je n'ai pas d'autres armes. Le capitaine fixe bêtement l'épée devant lui . Ferme la porte Jocelyne ! Ce que j'ai à dire maintenant, ne regarde personne d'autre que VOUS... Vous pouvez vous asseoir, moi pas, comprenez que ce n'est pas commode avec mon armure.

Dans la pièce la situation, plus qu'insolite, a pris une tournure irréelle, comme dans un rêve éveillé. Jeanne en tenue de chevalier du XVe siècle, le visage baigné d'une aura exceptionnel, marche de long en large en s'adressant tour à tour au capitaine et au lieutenant qui l'écoutent médusés. D'une voix aussi claire qu’inflexible, elle leur expose, une à une, les raisons de sa présence et ce qu'il doit s'en suivre nécessairement, selon ELLE.

- Tout ce qui s'est produit depuis hier matin était prévu, disons plus exactement, programmé. C'est intentionnellement que je me suis fait remarquer par un de vos agents, en chevauchant le cheval de bronze de la statue me représentant place du Martroi. Je savais qu'on allait m'arrêter et c'est ce que j'escomptais, car il était impératif que je vous rencontre pour vous communiquer ce qui constitue ma nouvelle mission. Telle est la raison pour laquelle je fus conduite au poste de police manu militari... c'est ainsi que vous dites.

- Votre nouvelle mission ! Ne peut s'empêcher de reprendre Fraigneau, suspicieux...

- Exactement ! Ma nouvelle mission !... Ici-bas, les événements prennent une tournure catastrophique, il faut découvrir puis comprendre les intentions à l'origine de ce qui, actuellement, prend une ampleur effrayante pouvant conduire à un chaos irréversible et surtout l'humanité entière à sa perte.

- L'humanité conduite à sa perte ! Comment peux-tu dire une chose pareille ? S'indigne Jocelyne.

- Oui, j'ai bien dit l'Humanité, n'allez pas penser que cette fois, c'est le sort de notre nation, la France qui est le seul en cause, c'est le MONDE entier qui est en péril, le devenir de chaque être humain est menacé par la perte possible de CE QUI en fait un ÊTRE HUMAIN.

- Comment cela ? S'insurge Fraigneau. Jeanne le toise plusieurs secondes qui lui paraissent interminables il a l'impression que ses yeux jettent des éclairs...

- Observant d'abord ce qu'il se passe présentement sur le territoire, en plus des attentats toujours plus horribles dont nombreuses sont les victimes innocentes y laissant la vie et devant souffrir jusque dans leur chair, il y a maintenant cette prégnance politique et sociale, ces flots continus d'informations et de contre-informations provenant de tous les canaux médiatiques, ces rassemblements de foule, ces sempiternelles contestations, ces refus d'autorité et de maintien de l'ordre, ces négations des évidences ou des vérités avérées, ces envies de prendre le pouvoir, ces besoins aveugles de libertés, ces pulsions dominatrices, cette cacophonie hallucinante. Tout cela fait que notre nation est devenue ingouvernable... et autour, partout dans le monde, cette même quête d'un bonheur illusoire, ces besoins égoïstes à toujours satisfaire, ces désirs d’hégémonies, ces volontés de toute puissance, jettent des peuples entiers sur les routes, amassent et concentrent les populations dans des camps de réfugiés ou sur les places publiques pour crier leurs désespoirs mais aussi pour tout changer, pour détruire ce qui vient du passé, anéantir ce qui se fomente au présent, et, sur ces ruines, bâtir un monde nouveau… C'est fou ! C'est faux ! C'est illusoire parce que ceux qui se rassemblent parlent tous mais ne s'écoutent pas vraiment. Parce que chacun a sa vérité et ne tient jamais compte des autres avis énoncés pensant que le sien est le seul bon, juste et parfaitement adapté aux circonstances du moment. Ce sont autant de « vérités » qui, par le nombre et par leurs divergences, rendent toute démocratie vaine, irréalisable, utopique. Dans ces grands rassemblements, tous se disent frères mais sont déjà rivaux.... Reprenant son souffle, Jeanne poursuit :

- L'humanité, depuis une cinquantaine d'années est soumise a des forces obscures, de plus en plus ténébreuses. Il est des entités fortement agissantes, absolument adverses à l'humanité et qui ont, envers les êtres humains, une haine incommensurable. Elles pénètrent le monde par toutes les issues ouvertes grâce aux multiples inventions mises en place par l'homme. Mais sont-ce vraiment leurs inventions où celle du diable ? Tout cela se précipite et... Jeanne jette un regard en direction de l'ordinateur portable du capitaine, le « malin » a déjà tissé sa toile...

- Jeanne ! S'écrie Jocelyne, en voilà assez !… Oui, on entend bien tout ce que tu dénonces et annonces. Oui, on peut s'inquiéter de ce que va devenir le monde… mais on ne peut revenir en arrière, on doit composer avec ce qui se présente et évolue sans cesse. On ne peut renoncer aux progrès faits en sciences et techniques ni, à toutes les avancées sociales effectuées depuis deux siècles !

- Et puis, rajoute, avec emportement, Fraigneau, irrité par tout ce déballage, vous qui débarquez comme ça dans nos services en vous exprimant avec des locutions et tournures d'un langage pseudo moyenâgeux, disant venir de cette époque lointaine, vous parlez maintenant dans un français tout à fait contemporain et semblez plutôt familiarisé avec ce qui constitue notre monde moderne. Comment est-ce possible ?

- Pensez-vous Capitaine, que dans l'Au-delà, dans cette autre dimension, hors du temps et de l'espace, on reste indifférent à ce qu'il se passe et évolue ici bas ? Pensez-vous qu'ayant franchi les portes de la mort, dans l'après-vie, les êtres ayant vécu sur Terre ne sont pas influencés à la fois pare ce qu'ils y ont vécu et accompli et ce que d'autres, après eux, y vivent et y accomplissent tour à tour, générations après générations ? Quant à moi, j'apprends vite et je m'adapte facilement à toutes nouvelles situations. Il en fut toujours ainsi...

Un moment de silence s'est établi. Chacun cogite avec ses réflexions personnelles...

- Qu'attendez-vous de moi ? Lance Fraigneau.

- Rien de moins qu'une mise à disposition du lieutenant Marchadier, dans un premier temps, puis des sergents Monjoux et Barrois pour la suite des opérations.

- Des opérations ! S'écrie Fraigneau... mais vous êtes complètement malade !...

- Pas tant que vous Capitaine !... Pas tant que vous !...

- Ramenez-là en cellule... j'en peux plus de cette fille ! Rugit Fraigneau.

- J'y retourne, lui promet Jeanne souriante... nous n'avons pas fini de nous confronter vous et moi... je resterai ici, au mitard, tant que je n'aurai pas une réponse favorable à ma requête. Jocelyne, accompagne-moi, il faudra aussi que je repasse sous la douche froide... bien sûr... très froide... Le lieutenant la suit comme un automate.

« La douche ! Pense Fraigneau, c'est moi qui vient de la prendre et pour être froide, elle l'est !... » son regard tombe sur l'épée… « et ça Bon Dieu ! Puis cette illuminée qui débarque du fin fond des galaxies... qu'est-ce qu'on va en faire ?... »


à suivre : "Manifestations d'outre temps..."




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