Chapitre 6 : Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira

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Gregory avançait tête baissée et à vivre allure, Charles courait derrière lui.

« Ces boules d'ectoplasme, pourquoi vous ne m'en avez pas parlé avant ?

— Tu as pas entendu ma sœur ? Il prit un air coincé et mima un ventre rebondi avec ses mains, c'est interdit ! Fiona nous a demandé de ne rien dire aux membres des Trépassés. C'est dangereux.

— Il y a d'autres choses que je ne sais pas ? demanda Charles, agacé de se sentir toujours à la traîne.

— Demande-lui la prochaine fois ! »

Ils marchaient dans les rues bondées, traversant les passants qui marchaient vers leur prochaine destination d'un pas pressé. Grégory énonça l'envie de faire un détour avant de rentrer au centre, Charles comprit qu'il avait besoin de se changer les idées.

Ils s'arrêtèrent quelques instants pour observer un fantôme assis sur le bord du trottoir, habillé en tenue de cycliste. Il regardait les feux du passage piéton d'un air absorbé, sans cligner des paupières.

Il était mort depuis plusieurs années, hantant le carrefour sans jamais se déplacer, observant inlassablement les dessins passer du rouge au vert. Dès qu'une panne électrique avait lieu, les SDF tentaient de le faire changer de phase mais cela était si rare qu'ils n'avaient pas d'autre choix que d'attendre qu'un jour, la voie soit refaite à neuf et que les feux clignotant disparaissent.

« Tu penses que si on fait tomber notre éther, il se précipitera pour le ramasser ? demanda Grégory en repensant aux paroles de Sergeï.

— Essaie pour voir ! » blagua Charles.

Mais Grégory n'osa pas. Dans le fond, il avait peur que le cycliste se jette sur lui. Il décida plutôt de remonter le flux de piétons, tirant sur son pyjama et regardant la pointe de ses pieds nus.

Grégory reprit après quelques minutes de silence :

— Tu crois que Fiona aurait réussi à le convaincre de nous aider ?

— Aucune idée. Mais elle ne se laisserait pas abattre, si cela peut te rassurer. »

D'un air renfrogné, il raconta à Charles ce que l'Esprit Errant lui avait dit.

« Imagine si tous les fantômes pouvaient aller où ils veulent... On pourrait explorer la terre entière !

Charles hocha la tête à l'affirmative :

— Oui, j'imagine que ce serait plus facile pour trouver un moyen de passer de l'Autre-Côté. Mais les Trépassés...

— On irait tous ensemble ! On irait dans les plus gros parcs d'attraction ! »

Après plusieurs détours et avoir passé leur matinée à rêver à tous les endroits où ils voulaient aller, ils décidèrent de rentrer au centre de loisirs, Grégory souriait.

Ils remontaient la rue Bel-Air à grandes enjambées, continuant de discuter sur le Chevalier, la citadelle et les vieux fantômes. Au détour d'une voiture, un frisson étrange parcourut leur éther.

Au même moment, ils sentirent alors une présence, proche d'eux et tournèrent leurs regards vers elle. Une forme noire semblait danser sur le bord de la chaussée, cachée derrière un pneu. Gluante, elle laissait des traces derrière elle.

« Qu'est-ce que ce Miasme fait ici ? demanda Grégory avec angoisse.

— Il y en a d'autres par là ! remarqua Charles, pointant du doigt l'autre coté du trottoir.

Il échangèrent un regard et se mirent à courir vers le portail du centre de loisirs.

Des dizaines de Miasmes s'y trouvaient, gigotant dans tous les sens, grimpant sur la façade du bâtiment et rampant lentement dans la cour.

— Ils sont partout ! souffla Charles, sans comprendre.

— Hugo ! » hurla Grégory en se précipitant vers le bâtiment.

Des Miasmes fusionnaient déjà, grossissant à vue d’œil. Les garçons entrèrent dans le centre et évitèrent les créatures mouvement de jambes. À l'intérieur, c'était pire. Grégory appela mais seul le silence lui répondit.

« Où sont les autres ? » demanda t-il à haute voix en regardant autour de lui.

Charles évita une masse noire et informe de justesse. Il leva la tête, des Miasmes grouillaient partout au plafond.

« Il faut qu'on sorte, on ne peut pas rester là ! »

Un cri se fit entendre, c'était la voix de Marguerite.

Ils se précipitèrent dehors. Elle était avec Sergeï.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Où sont les enfants ? demanda t-elle d'une voix suraigüe.

— Je... je ne sais pas..., répondit Grégory d'une voix blanche. Ils sont avec le Clodo du Pont, non ?

Negodyay...! s'exclama Sergeï, ils se sont faits absorbés ! »

Grégory, Marguerite et Charles se mirent à appeler les enfants, refusant de croire ce que venait de dire le russe. Mais aucun signe des Trépassés ne se fit voir ou entendre.

« Je vais regarder dans les rues autour, dit Charles en tentant de garder son calme. Grégory rends-toi au pont de pierre, Marguerite demande aux fantômes du fleuve s'ils ont vu quelque chose.

— Je suis désolé..., continua Sergeï d'un ton grave. Mais la présence de tous ces Miasmes en est la preuve. Vos amis se sont faits...

— Non, c'est impossible ! hurla Marguerite. Ils n'étaient pas seuls, il y a David avec eux, c'est le fantôme le plus puissant !

— Ils doivent se cacher quelque part ! fit Grégory en regardant autour de lui. Ils ont certainement fui.

— Le Dévoreur ne peut pas tous les avoir... les avoir... », les mots de Charles se coincèrent dans sa gorge.

Ils continuèrent d’appeler, évitant les Miasmes qui devenaient de plus en plus gros. Dans les replis de leurs formes luisantes, des yeux apparurent.

« Vous ne pouvez pas rester là, c'est dangereux ! lança Sergei. Votre Dévoreur est à présent devenu extrêmement puissant. Il faut avertir les autres fantômes.

— Hugo ! s'époumonait Grégory qui courait dans tous les sens, Hugo !

— Emma ! Léo ! Hugo ! criait Charles à son tour en regardant autour de lui.

Il s'attendait à les voir surgir d'un moment à l'autre.

— Séparons-nous maintenant, suggéra t-il. Le Clodo du Pont les a amené en lieu sûr...

Sergeï insista :

— Hum... Je suis désolé les enfants... Je crois que... »

Mais il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Le Clodo de la Gare apparut devant eux, se posant sur le sol et regardant autour de lui d'un air interrogateur. Le Clodo du Parc était à ses côtés.

« Où est David ? demanda t-il d'un ton incisif, regardant Sergeï d'un air suspicieux.

— Votre ami s'est fait absorber », répondit le russe, tirant sa pipe d'opium des tréfonds de sa poche.

Les SDF se regardèrent en silence puis se précipitèrent dans le centre de loisirs en évitant les Miasmes qui commençaient à les talonner. Du dehors, ils entendirent leurs éclats de voix. Marguerite et Charles n'osaient plus bouger, paralysés de terreur et d’effarement.

Les deux Clodos retournèrent dans la rue, l'expression renfermée sur leur visage ne faisait aucun doute.

« Ouais, David n'est plus de ce monde, dit celui de la Gare en se grattant la tête sous sa casquette de chauffeur de train. Tous les autres petits non plus.

— Vous... Vous êtes sûr ? demanda Grégory d'une voix blanche.

— Ouais, c'est pas la première fois qu'on voit ça. »

Marguerite posa les mains sur sa bouche et tomba à genoux, Charles baissa la tête en enfouissant les mains dans ses poches. Grégory se mit à trembler.

L'atmosphère devint aussi lourde qu'une chape de plomb.

Les Miasmes s'agitèrent subitement et semblèrent s'éloigner, prenant la fuite dans les herbes et les haies. Des vibrations se firent sentir dans l'éther des fantômes réunis. Elles devinrent si fortes qu'ils en perdirent presque leur équilibre.

Les SDF bondirent en arrière et se mirent à hurler :

« Reculez ! »

Charles les regarda sans comprendre. Les deux Clodos pointait leurs doigts sur Grégory.

Ce dernier continuait à trembler si fort que son corps en était devenu flou. Son visage était sombre et ses bras, tenant fermement le haut de son pyjama brodé, avaient pris une couleur noire.

Une forte énergie s'échappa de son corps, faisant secouer leurs cheveux et voler leurs vêtements. Charles ferma les yeux pour se protéger, une giclée d'éther noire lui éclaboussa les bras, il poussa un cri de douleur.

Sous leurs pieds, la terre leur sembla trembler et Grégory ne devint plus qu'une silhouette obscure.

Les SDF se regardèrent et prirent ensemble une décision, ils avancèrent de plusieurs pas, luttant contre la bourrasque. D'un geste, ils lancèrent sur Grégory de longues cordes bleutées. Un terrible hurlement de douleur s'échappa de la gorge de leur ami. Marguerite se mit à crier à son tour, désespérée pour son frère.

Les visages des Clodo étaient durs, concentrés. Ils saisirent Grégory qui s'agita d'autant plus, sa taille sembla grandir, les cordes s'étirèrent et les vibrations se firent plus fortes. Charles se baissa en se bouchant les oreilles.

Sergeï s'approcha alors, marchant lentement et se tenant droit. Le vent et les tremblements n'avaient aucune prise sur lui. Grégory tourna son visage vers sa direction et Charles eut un mouvement de frayeur en voyant ses traits. De longues veines sombres parcouraient sa peau grisâtre et ses orbites n'étaient que des puits d’obscurité.

Le fantôme russe ne sembla pas perturbé outre mesure. Il posa sa grande main sur l'épaule de leur ami :

« Là mon garçon, calme-toi... Je comprends, du calme », dit-il simplement d'une voix rassurante.

Soudain, les tremblements et la bourrasque disparurent, la couleur sombre quitta le corps de Grégory et ses yeux reprirent leur aspect habituel. Les cordes bleutées des SDF s'évaporèrent dans un nuage argenté, chacun eut l'impression de reprendre son souffle.

« C'est lui, le Dévoreur ! hurla le Clodo du Square en se précipitant en avant.

Sergeï l'arrêta d'un geste en levant le bras :

Niet, il a juste perdu le contrôle. Tout va bien, mon petit gars. »

Grégory tomba par terre, blême. Sa sœur courut pour le prendre dans ses bras, jetant des regards inquiets aux SDF. Charles prit la parole :

« Ça ne peut pas être lui, il s'est fait attaqué au Sacré Cœur. Je l'ai vu. Et nous sommes arrivés ici en même temps.

— C'est ma faute..., commença Grégory d'une voix tremblante. Si on était arrivés plus tôt, on aurait pu... On était juste parti faire un tour...

Il regarda sa sœur avec de la tristesse dans les yeux.

— Il était avec David... Je pensais... Et les autres...

— Ce n'est pas ta faute, répondit Marguerite d'une voix brisée. Je suis désolée...

— C'est Hugo..., lâcha Grégory en regardant ses pieds. C'est lui le Dévoreur.

Charles se recula de stupeur. Il eut l'impression d'avoir mal entendu les mots de son ami et regarda les autres fantômes avec un air perplexe. Mais les SDF poussèrent un cri de colère.

— Comment ça ? Tu le savais depuis tout ce temps et t'as rien dit ? » fit le Clodo du Parc en essayant de le secouer.

Sergeï le dégagea d'un mouvement d'épaule. Charles ouvrit la bouche, désireux de contredire Grégory puis la referma. Il regarda la tête basse de son ami et son dos vouté. Des souvenirs d'Hugo passèrent devant les yeux.

Marguerite demanda dans un souffle :

« Tu en es sûr ? Tu le sais depuis quand ?

— Depuis l'attaque à l’hôpital. Je l'ai croisé dans le couloir, il était en colère de ne pas pouvoir nous accompagner. Quand il m'a vu, il était déjà en train de se transformer.

— Et tu nous as rien dit ! lança le Clodo de la Gare, pense à tous ces esprits qu'il a absorbé ! Vous nous avez pompé l'air pendant des mois alors que vous saviez que c'était lui !

— Mais c'est mon petit frère ! s'écria Grégory dans une grimace de douleur.

— Tu voulais qu'on le cherche, et bien on va le trouver ! continua t-il. Tous ces mioches, faire du social finalement ça a servi à rien !

Le Clodo du Parc hocha la tête à l'affirmative :

— Maintenant qu'on sait qui c'est, ce sera plus facile de le trouver. Franchement, heureusement que Fiona n'est plus là pour voir ça, et David, je t'en parle même pas. La moitié des fantômes de la ville voulait qu'on se débarrasse de vous et on avait refusé. On aurait peut-être dû. Faut qu'on y aille maintenant, on a le mouflet à trouver.

Charles se redressa alors sur ses pieds, les yeux luisants de colère :

— Allez-y, dégagez ! cria t-il aux SDF, barrez-vous, laissez-nous tranquille ! On le trouvera avant vous ! »

Les deux hommes le regardèrent avec dédain et commencèrent à partir avant de s'envoler.

« Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda Marguerite, surprise par la colère de son ami.

— On va chercher Hugo ! répondit Charles d'un ton ferme.

— Qu'est-ce qu'ils vont lui faire ? demanda Greg en essayant de détendre ses jambes flageolantes.

— J'ai mon idée sur la question..., dit Sergeï en rompant son silence. Je vais vous accompagner les enfants. Il est maintenant trop tard pour moi de fuir la ville, votre frère me poursuivrait... Mais quelque chose cloche et je voudrais savoir ce que c'est. »

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