Chapitre 5 - Il est réservé aux Hommes de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement

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Les Trépassés arrivèrent quelques jours plus tard sur les marches du Tribunal. Le temps était mauvais, la pluie battait les dalles de pierres, rendant la chaussée dangereusement glissante.

Les pigeons et les moineaux urbains se tenaient serrés sur les rebords de fenêtres, observant de loin un attroupement inhabituel. Ils virent débarquer une file de petits fantômes, qui passa au travers d'une foule de journalistes en pardessus et médiocrement abrités sous des parapluies.

À cause des curieux et des employés essayant de se frayer un chemin pour entrer, la foule grossit encore. Deux personnes chutèrent dans l'escalier, envoyant valdinguer un parapluie qui s'envola dans une bourrasque.

« Regardez-moi ça, ricana Grégory, il y a de la place tout autour mais ils s'agglutinent quand même exactement ici. Si j'en vois un se casser la nuque en tombant, je pense que je vais bien rigoler !

— Vous pensez que ça a déjà commencé ? demanda Marguerite en choisissant d'ignorer son frère.

— Aucune idée, répondit Charles en arrivant dans le hall d'entrée. Allons par là. »

Ils se perdirent dans les couloirs pendant plusieurs minutes et trouvèrent finalement la bonne salle. Se tenant la main, ils traversèrent les épaisses portes de bois et entrèrent dans une modeste pièce éclairée par des néons blafards.

L'atmosphère était déjà lourde et étouffante, malgré le froid hivernal, la ventilation tournait à plein régime et l'on pouvait entendre un léger vrombissement dans l'air.

Les Trépassés ne purent s’empêcher de rester silencieux un long moment, regardant autour d'eux ; essayant de déterminer qui se trouvait ici.

« Fiona, tu reconnais quelqu'un ? » questionna Greg en s'avançant dans l'allée centrale.

Mais son amie ne répondit pas, elle se tenait immobile aux côtés d'un homme âgé, assis au bord d'une rangée, non loin d'un mur.

L'homme se tenait droit, les deux poings posés sur ses genoux. La mâchoire contractée, ses yeux ne se détachaient pas de ce qu'il voyait droit devant lui, un mur blanc tombant en décrépitude. Ses cheveux frisés et blancs avaient été coupés court et sa barbe était fraichement taillée. Il portait un vieux costume noir défraîchi.

À sa gauche se tenait une dame âgée, recroquevillée sur elle-même, on pouvait voir aux secousses de ses épaules qu'elle pleurait. Son visage était caché par un mouchoir et ses cheveux soigneusement rangés sous un foulard brun.

« Maman, redresse-toi, la séance va commencer », lui chuchota une femme d'âge mûr aux larges lunettes et aux cheveux crépus méchés de blancs.

Fiona se baissa, sans quitter le regard immobile de son père et lui attrapa la main.

Les enfants regardèrent les vivants s'agiter, plusieurs personnes entrèrent dans la pièce et s'installèrent en silence.

Une femme se mit subitement à parler, les Trépassés écoutèrent à peine ses mots, se tenant aux côtés de Fiona sans bouger.

Lorsque l'accusé entra dans la pièce, le père de Fiona se redressa encore plus, le dos raide et le visage impassible.

Charles et Marguerite entendirent ses actions et virent dans la petite foule de personnes présentes, le visage de plusieurs jeunes filles.

« Est-ce que tu crois qu'il va être libéré parce qu’il est trop vieux pour aller en prison ? chuchota Charles à son amie.

— Je ne sais pas... Je n'espère pas. Ce serait injuste, Fiona est coincée ici depuis presque cinquante ans. Regarde toutes ces autres filles, Fiona était la première.

— Mais il ne les a pas tuées...

— Monsieur, dit la voix d'une autre femme, confirmez-vous que vous avez rencontré la première plaignante il y a deux ans, dans le club où vous avez travaillé et où vous êtes devenu bénévole après votre retraite ?

— Oui. »

Des heures passèrent, trois jeunes filles apportèrent des preuves de leurs agressions. D'autres, d'âges divers, étaient venues témoigner. Toutes dénoncèrent les méfaits de leur entraîneur, mais aucune ne fit par de coups violents ou de menaces de mort.

« Quel dommage que nous ne puissions pas surgir devant lui, souffla Marguerite. Imagine que les morts puissent revenir et parler aux vivants, on pourrait les faire avouer.

— Tu penses que c'est possible ?

Marguerite secoua la tête à la négative.

— Quand on les hante trop longtemps, les vivants deviennent inexplicablement dépressifs mais notre influence s'arrête là. Je ne sais pas s'il va payer pour le meurtre de Fiona, ils n'ont peut-être pas assez de preuves. Là, il n'y a que des agressions, les peines de prisons ne sont pas les mêmes.

— Toute ma vie, j'ai gardé les traces de ce que mon coach m'a fait..., pleurait une femme à la barre. J'ai eu souvent envie d'en finir.

— Mais vous n'êtes pas passé à l'acte, n'est-ce pas ? questionna un homme d'un ton péremptoire.

— Non, répondit-elle fièrement. Je me suis battue pour vivre. »

La mort de Fiona fut finalement abordée, l'ambiance dans la salle devint légèrement électrique.

Un homme monta à la barre et rappela devant tout le mode la façon dont elle était morte et ce que les médecins avaient trouvé sur son corps.

Les enfants écoutèrent, médusés. Charles regarda les plus jeunes brièvement, effrayé qu'ils puissent être perturbés d'entendre ces horreurs. Mais ils écoutaient calmement, suçant leur pouce et observant l’assassin de Fiona sans cligner des yeux.

Leur amie avait la tête posée sur les genoux de son père et gardait les yeux fermés. Ses parents étaient pétrifiés, seule sa sœur s'essuyait le visage avec un mouchoir en papier réduit en boule.

« L'enquête a été rouverte pour déterminer si c'est un homicide. »

« Les outils d'expertises modernes peuvent aujourd'hui prouver si les marques sur son crâne proviennent des rails ou si c'est un coup porté derrière la tête. »

« L'ADN du suspect a été retrouvé dans le vagin de cette jeune fille, il a été révélé grâce à ses autres multiples agressions. »

« C'était il y a presque cinquante ans, les accusations ne sont plus recevables. Le déroulement des faits ne permet pas non plus d'établir des déclarations probantes. »

« Son décès a ébranlé les médias de l'époque, la jeune Fiona est devenue la légende urbaine d'une affaire non résolue. Suicide ou meurtre, personne ne savait. »

Les déclarations se succédaient, d'un ton à la fois détaché et ferme, résonnant parfois dans l'air avant de mourir dans le silence de la salle.

« Monsieur, comment expliquez-vous aujourd'hui que des traces de votre sperme se trouvaient dans les sous-vêtements de la jeune Fiona ?

— Elle venait d'avoir dix-huit ans, nous n'avions pas un grand écart d'âge. Elle et moi avions une relation consentie.

— Non ! » hurla soudain Fiona sans pouvoir se faire entendre.

Les pleurs de sa mère, ratatinée sur le banc, s'élevèrent au-dessus des personnes réunies.

« Par quoi justifiez-vous les bleus et autres marques sur son corps ?

— Elle tombait parfois pendant ses entraînements d'athlétisme, tout le monde sait ça ! clama l'homme d'un ton véhément. Nous étions amoureux et passionnés !

— Ah, ça suffit maintenant ! » cria soudain une voix dans le fond de l'allée.

Grégory traversa les personnes assises et immobiles puis grimpa sur le banc des accusés. Sous les yeux médusés de ses amis, il enfonça ses doigts dans le nez de l'entraîneur en le couvrant d'insultes.

Hugo se mit à rire, suivit par Emma.

« Grégory, arrête ça ! voulut ordonner Marguerite d'une voix hésitante.

— Et maintenant, mon nouveau pouvoir de fantôme ! » annonça t-il avec un sourire.

Grégory se tourna d'un geste théatral et baissa devant tout le monde le pantalon de son pyjama. Il colla alors ses fesses contre les joues de l'homme et relâcha un pet bruyant; une brise spectrale souleva brièvement les cheveux de l'entraîneur.

Les Trépassés éclatèrent de rire et poussèrent des cris de victoire, ils se précipitèrent pour l'imiter.

« Des heures de travail sont requises, je vous préviens, c'est tout un art.

Charles commenta en riant :

— Tu as réussi ! Tu sais vraiment souffler dans les cheveux des gens !

Fiona se redressa et prit son ami dans ses bras :

— Merci Grégory ! »

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