Chapitre 4 - Partie 5

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En arrivant au centre de loisirs Bel-Air, Charles remarqua que Fiona et Marguerite étaient soulagées de les voir rentrer. Grégory ne se fit pas attendre pour le raconter la prouesse de Charles, ce dernier était à la fois content de lui et légèrement angoissé. Il avait été ravi de découvrir qu'il pouvait potentiellement parler avec les vieux fantômes, d'être utile aux Trépassés mais au fond de lui, ne pas savoir d'où venait cette connaissance le taraudait.

« Tu sais parler latin ? s'exclama Marguerite en écarquillant ses yeux immenses derrière le foyer de ses lunettes. Tu sais également le lire je suppose ?

— Est-ce que cela t'a donné des souvenirs supplémentaires ? demanda Fiona en hissant Hugo sur sa hanche.

— Non... les mots me sont juste venus d'eux-même.

— Tu as dû apprendre le latin dans une école privée. Il n'y a plus beaucoup de programmes scolaire qui le propose.

Fiona posa sa main sur l'épaule de Charles avec un sourire.

— Bravo Charles, même si nous n'avons pas appris beaucoup, cela pourrait se montrer utile pour parler avec d'autres fantômes ! Notamment avec le vieux noyé dont on ne connait rien, si quelque chose te revient, où que tu te sens... bref si tu sens ton éther changer...

— Ne t'inquiète pas Fiona, je vais tout faire pour rester le plus équilibré possible. » Il hésita à leur parler de la croix rouge qu'il voyait parfois, mais préféra tout de même garder cela pour lui.

Le Dévoreur devenu introuvable, Fiona ne pouvait plus les contraindre à rester enfermer durant des mois.

Les jours suivants furent pour Charles la véritable découverte de sa vie de mort. Les Trépassés vaquèrent à leurs occupations et il les accompagnait partout où ses dons de fantômes lui permettaient ; leurs journées étaient remplies de jeux, de ballades, et de sorties. Le froid, la pluie et l'obscurité de la nuit ne les empêchaient en rien. Invisibles, ils pouvaient faire tout ce qu'ils souhaitaient. Ils n'avaient presque aucunes limites.

Les Trépassés pouvaient passer plusieurs jours au zoo en compagnie des animaux et nageaient même avec les poissons dans l'immense aquarium de la ville. Le parc aquatique n'avait plus aucun secret pour eux et les enfants connaissaient les recoins du jardin d'acclimatation et des parcs d'attractions comme leur poche.

Charles accompagna Marguerite en boîte de nuit et dansa pendant des heures, grisé par les vibrations des enceintes qui résonnaient dans son éther. Il découvrit qu'elle adorait écouter les peines de cœur des vivants, venus noyer leurs déboires amoureux dans l'excès d'alcool et la musique. Il croisa d'autres fantômes, venus profiter comme eux des rythmes acharnés. Certains voulaient danser comme eux le temps d'une nuit, d'autres étaient amorphes, coincés entre phase d'Oubli et de Conscience, hypnotisés par les lumières et les sons de basses. Répétant sans cesse les mêmes phrases et dansant toujours sur les même cadences, ils s'agitaient inlassablement dans des chorégraphies excitées et à contre-temps.

Il suivit Grégory dans les studios du journal de la ville et le regarda se jeter du sommet du plus haut gratte-ciel, sa silhouette été redescendue lentement sur le bitume, semblable à une feuille portée par le vent. En l'imitant, Charles eut presque l'impression de voler.

Il aidait également Fiona à s'occuper des plus petits Trépassés, faisant de son mieux pour veiller sur eux. Si certains enfants s'étaient montrés méfiants envers lui, il était à présent bien intégré dans leur petite équipe. Tous acceptaient de lui tenir la main lors de leurs sorties, même Hugo et La Muette, et certains se disputaient même pour grimper sur son dos. Charles connaissait maintenant l'ancienne vie de chacun, leurs âges et la façon dont ils étaient morts. Malgré les circonstances terribles de leur décès, les enfants ne désiraient que s'amuser et profiter de ce que Fiona leur donnait. Il lui semblait qu'ils oubliaient parfois leur condition d'âmes errantes, condamnés à revivre les mêmes activités pour le reste de cette imitation d’existence.

Il rencontra également d'autres fantômes, rares étaient les esprits sympathiques et souriants. La plupart étaient amorphes ou dépressifs, pleins de ressentiment pour les vivants et ressassant leur vie passée à perpétuité. Si certains étaient rancuniers, d'autres faisaient preuve de mélancolie et arpentaient les rues avec des airs rêveurs, un doux sourire aux lèvres. Le surnom du Petit Bourge, donné par le Clodo du Pont, le suivait à présent. Mais peu de fantômes venaient directement s'adresser à Charles. Lorsque les Trépassés se promenaient en ville, les esprits qu'ils croisaient allaient directement s'adresser à Fiona. Les adultes leur parlait peu, certains semblaient les regarder avec jalousie ou avidité. Les enfants leur rappelaient une joie de vivre qu'ils avaient depuis longtemps perdue, ou bien leur revenait en mémoire des souvenirs et des regrets qu'ils voulaient fuir.

Charles se questionnait parfois sur ce qui était nécessaire de faire pour passer de l'Autre-Côté. Il avait posé la question à Marguerite.

« Depuis que je suis dans le groupe, seulement deux Trépassés nous ont quittés... Un enfant handicapé qui est parti lorsque son assistante personnelle est décédée. Il l'adorait et ne voulait pas quitter cette dimension sans elle; il a donc attendu patiemment qu'elle termine sa vie. Ensuite, il y a eu une petite fille qui a brusquement changé de phase dans son cycle et qui a réussi, sans trop que l'on sache comment, par redevenir stable. Elle a ensuite franchi le pas pour franchir l'Autre-Côté. Je crois qu'ils ont trouvés la paix et c'est ce qui leur a ouvert la porte.

— Emma m'a dit qu'il fallait réaliser son vœu. Pour certains cela doit sembler infaisable, comme pour Le Pilote qu'on a croisé... Je me demande quand même si les souhaits peuvent changer avec le temps.

— Je pense que oui mais il est difficile de changer d'état d'esprit quand on est coincé dans une étape du Cycle... et même pour faire une simple introspection... regarde Grégory, il aura toujours l'état d'esprit d'un enfant de douze ans. J'espère que l'Esprit Errant pourra répondre à cette question. »

Un silence s'installa, ils étaient assis sur la balançoire du centre de loisirs. Marguerite se mit à bégayer :

« Au fait... Charles... j'ai... je me suis permise de chercher pour toi certains éléments de ton passé.

L'adolescent se redressa avec surprise.

— C'est gentil de ta part, mais je ne veux pas que l'un d'entre vous se mette encore en danger pour moi.

— Ne t'inquiète pas, répondit-elle en souriant. Tu oublies que je suis plus âgée que toi. J'ai trouvé quelque chose qui pourrait t'intéresser. Nous pouvons y aller dès maintenant mais il faut prendre Hugo avec nous. Inutile de prévenir Fiona, elle est déjà au courant. »

Charles s'était levé, intrigué. Marguerite partit chercher son frère avec empressement. Hugo se laissa emmener sans un mot et tous les trois quittèrent le centre de loisirs.

Marguerite ne répondit à aucune des question de Charles, elle avait rassemblé le peu d'indices dont il se rappelait et avait cherché discrètement durant les dernières semaines. Ils traversèrent le pont, se noyèrent dans le centre-ville et finirent par atteindre les beaux quartiers.

Arrivés au pied d'un grand bâtiment, Marguerite pointa du doigt un panneau : Tennis Club de la 6e Avenue.

« Est-ce que cela te dit quelque chose ?

— Non.

Marguerite ne cacha pas sa déception.

— Hum, c'est probablement normal car après tout ce n'est pas ton club. Allons-y ! »

Ils traversèrent la porte, Charles n'avait plus besoin d'aide pour le faire. Ils regardèrent autour d'eux, Marguerite guetta les réactions de son ami, ce dernier observa les cours comme si il les voyait pour la première fois. Elle soupira.

« Regarde par là... »

La fantôme se dirigea vers un hall, sur lequel était épinglé au mur des rangées de photos. Charles put voir des jeunes souriants par groupes, c'étaient les photos souvenirs d'un tournoi datant de l'année dernière. Il retrouva les couleurs du maillot de son club, celles qu'il avait vu à son enterrement.

« Tu reconnais ? demanda Marguerite. Ton club a participé au tournoi mais il n'est pas dans cette ville.

— Oui, c'est mon équipe ! s'exclama Charles avec enthousiasme. Lui, je crois que c'est Thomas et là, Mickaël. Et au milieu c'est moi, c'est ma photo !

Marguerite écarquilla des yeux et se précipita aux côtés de Charles, elle ne se rappelait pas l'avoir vu parmi les joueurs. Elle regarda la tête que tapotait Charles du bout du doigt.

— J'avais les cheveux plus longs à l'époque et comme cela me gênait, je portais ce bandeau ridicule.

— Tu te souviens... d'autres choses ? demanda lentement Marguerite.

— Non, répondit Charles avec frustration. Il n'y a pas les noms des joueurs affichés quelque part ?

— Seulement ceux des équipes en finale... »

Charles baissa les épaules, déçu. Un léger sentiment de soulagement l'avait envahi à la vue de son équipe. Marguerite avait eu une excellente idée de chercher dans les clubs, il se mit à avoir espoir.

« Je vais chercher Hugo, merci Marguerite ! » lança-t-il en quittant le hall.

Marguerite lui fit un geste de la main avec un sourire et regarda à nouveau le visage que Charles avait pointé du doigt. Sur cette photo, ce n'était pas lui mais un autre garçon.

La jeune fille marmonna entre ses dents :

« Mais qui es-tu, Charles ? »

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