Chapitre 4 - Tout est permis, mais tout n'est pas utile.

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Après de longues réflexions, Marguerite et Greg décidèrent de prévenir les SDF de l'incident. Ils savaient qu'ils auraient droit à des remontrances de la part du Clodo du Pont, mais ils avaient besoin de son aide pour rétablir Fiona. Marguerite demanda à Greg de retrouver le Clodo de la Gare, tout proche, pendant qu'elle retrouvait les Trépassés.

Charles les regarda partir précipitamment dans des directions différentes. Une vague de voyageurs, tenant en mains valise à roulettes et téléphone portable, le submergea, masquant sa vision. Il s'accroupit aux cotés de Fiona, gisante sur le trottoir et tenta de la déplacer. Ses doigts passèrent au travers de ses bras, il se recula après plusieurs essais, frustré et démuni.

Gregory revint à son grand soulagement quelques instants plus tard, accompagné d'un homme âgé, sec et courbé. Il portait une vieille casquette de cheminot sur le crâne.

« Qu'est-ce qui vous a pris de traîner au Sacré-Cœur ? Bande d'inconscients ! »

Le Clodo de la Gare avait un fort accent du sud et des doigts gelés, recroquevillés sur eux-mêmes. Il regarda le corps de Fiona en soupirant.

« Rendez-vous au stadium à coté du périphérique, il va falloir lui donner une bonne dose d'ether, pour la remettre sur pied. C'est un sacré bordel que vous avez foutu... »

Charles ouvrit la bouche pour défendre ses amis, puis la referma en voyant le regard surpris de Gregory.

« Vous allez réunir tout le monde ?

— Ouais. »

Sur cette dernière parole, le Clodo de la Gare leva les yeux au ciel et décolla du sol. Stupéfait, Charles l'observa s'envoler au-dessus des toits d'immeubles.

Gregory poussa un soupir puis souleva Fiona afin de la percher sur son dos. Il fit signe à Charles de le suivre.

Ils marchèrent à pas vifs, en chemin, les babouches de Fiona glissaient du bout de ses orteils. Elles tombaient sur le bitume pour réapparaître quelques instants plus tard à ses pieds. Le soleil commençait à décliner, ils avaient quitté le centre-ville depuis un moment déjà. Sur le pont qui enjambait le périphérique, ils croisèrent d'autres fantômes allant dans la même direction qu'eux.

« Les nouvelles vont vite... », remarqua Charles en voyant de loin un parking.

Ils arrivèrent au stadium, quelques fantômes s'y trouvaient déjà. Ils se tenaient dans les gradins, certains l'air hagard et amorphes, d'autres paraissaient circonspects et se tenaient les bras croisés. Tous cependant attendaient patiemment et immobiles.

Le Clodo du Pont était déjà présent, accompagnés par d'autres SDF. Il les regarda venir avec un air renfrogné et cracha par terre en rencontrant le regard de Charles.

« Grégory... Le Petit Bourge... », salua t-il du bout des lèvres avec mauvaise grâce.

Il leur fit signe de déposer Fiona aux pieds des gradins et d'aller s'installer.

Gregory s'étirait le cou pour mieux voir les fantômes réunis. Il montra discrètement l'un d'eux à Charles. Un homme à moustache et redingote se tenait aux cotés d'une danseuse en tutu à la nuque tordue.

« Lui c'est le Gentleman et à coté, c'est la Ballerine. Ils sont ancrés à l'Opéra. Et juste là, c'est la Savonnette. »

Une dame d'un certain âge, entièrement nue, se tenait non loin. Elle portait à la main un long rideau de douche. La bande d'Enzo apparut à son tour. Ils firent des gestes obscènes à Gregory, qui leur rendit la pareille. Le groupe d'adolescents partit s’asseoir et se mit à chahuter.

D'autres fantômes firent leur arrivée, se saluant plus ou moins. Ils virent de loin Patrick le Yéyé.

« J'espère qu'ils pourront rétablir Fiona... », souffla Grégory en regardant autour de lui.

Le groupe commença à grossir et les gradins se remplirent. Des âmes torturées, condamnées à errer dans cette dimension étrange, s'y tenaient serrées. Séparée par un voile fin de la vitalité du monde dans laquelle elle étaient née, la foule cosmopolite reflétait l'Humanité et ses époques. On y percevait à travers ces silhouettes, toute la brutalité et la violence de l'Homme. La foule réunie là témoignait qu'elles avaient toujours existé.

Charles écouta Grégory énumérer les morts et leurs noms, tel un collectionneur grisé par l'intérêt qu'on lui portait. L'expression parfois figée des visages, laissait voir l'instant où la mort les avaient frappés. Parfois violente, ridicule ou pathétique, Charles devinait leur décès à leur allure et énonçait ses idées à Grégory.

Ils s'amusèrent ainsi tandis que Marguerite venait à eux, accompagnée par tous les Trépassés. Les enfants attirèrent les regards, la petite Emma salua de la main le Gentleman, qui lui rendit un sourire.

« Ils sont morts la même année, commenta Greg.

— Certains auraient pu faire l'effort d'être présentables, pesta Marguerite en regardant la dame nue avec un air gêné.

— Et bien chérie, tu as des complexes ? » rétorqua la Savonnette d'un ton goguenard.

Marguerite baissa les yeux et ferma la bouche, les yeux posés sur son petit ventre rebondi.

« Tout le monde est là, on va pouvoir commencer ! » explosa la voix tonitruante du Clodo du Pont. À ses pieds était allongée Fiona, pâle comme une brume d'hiver. « Nous vous avons convoqués pour vous annoncer officiellement qu'un Dévoreur est réapparu en ville. »

Un léger murmure traversa la foule, tel un vent balançant la cime des arbres.

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