Chapitre 3 - Partie 2

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Charles eut le souffle coupé, il ne savait pas par quoi commencer.

Il regarda la longue babouche, suspendue au pied de Fiona :

« Si tu lances ta chaussure, est-ce qu'elle disparaît ?

— J'ai déjà essayé, je les lance mais dès que je les oublie, elles réapparaissent, répondit Fiona dans un grand sourire, ne s'attendant pas à cette question. Je les avais aux pieds quand je suis morte.

Il hésita à la questionner sur les raisons de son décès mais se rappelant qu'elle lui avait dit que c'était personnel, il préféra demander :

— Pourquoi je suis un fantôme ? Est-ce que tous les gens morts deviennent comme ça ?

— Non, certains passent de l'autre côté, d'autres restent ici. Si tu n'es pas passé de l'Autre-Côté, c'est que tu as décidé à un moment donné, de ne pas le faire.

— Je ne m'en rappelle pas.

— De ça, personne ne s'en souvient. Mais Marguerite t'expliquera mieux que moi. Elle fait beaucoup de recherches sur ce sujet. En général, lorsqu'une nouvelle personne apparaît sous la forme d'un esprit, elle se rappelle de sa vie antérieure, de comment elle est arrivée ici... mais personne ne se souvient de... du processus.

— Tout le monde se rappelle de sa vie de vivant ?

Fiona soupira.

— Oui, de ce que j'en sais. C'est pour cela que revenir sous cette forme est frustrant. J'ai déjà vu des fantômes oublier qui ils sont mais leur mémoire finit toujours par leur revenir au bout de quelques heures. En général, ils errent dans leur point d'ancrage en ressassant leur vie passée.

— Mais ce n'est pas le cas de tous, Greg et toi, vous prenez le métro. Vous êtes ancrés ici.

— Oui, c'est parce que nous avons appris à nous déplacer, expliqua t-elle avec douceur. Si nous ne t'avions pas rencontré aujourd'hui, tu serais resté là où nous t'avons trouvé, et la fontaine serait devenue ton point d'ancrage, il aurait été difficile de le quitter. D'ici quelques jours, tu seras comme nous, fixé ici. Où que tu ailles dans la ville et ses alentours, tes pas te reconduiront là. Le centre de loisirs est un endroit sûr.

Charles prit le temps de comprendre ses paroles, le calme de Fiona le rassurait :

— Pourquoi est-ce que tu tiens l'autre balançoire vide ? demanda t-il après un silence.

— Si quelqu'un regarde par la fenêtre, on pensera que c'est le vent qui les fait bouger en même temps.

— Mais... personne ne nous voit, n'est ce pas ?

— Non, personne. Depuis que je suis morte je n'ai croisé aucun vivant capable de le faire et jamais je n'ai entendu un fantôme dire qu'il a été vu. Être invisible, ça amuse beaucoup Greg.

Elle se mit à pouffer discrètement.

— Pourquoi avez-vous décidé de vous installer précisément là ?

Fiona continua de sourire, les mains posées sur ses genoux tendus.

— Quand nous nous sommes rencontrés, Greg t'a dit que nous faisions parti d'un groupe. Les Trépassés, c'est lui qui a trouvé ce nom. Lorsque je suis apparue il y a cinquante ans, la ville était différente. Il y a eu des événements qui ont fait que les fantômes ont dû s'organiser. Ce sont les SDF qui s'en sont occupés. Comme je te l'ai dit, certains d'entre nous ressassent sans arrêt leur vie d'avant, ils demeurent dans ce que Marguerite appelle la phase d'Oubli. Leurs pensées sont confuses, limitées. Ils restent bloqués sur des sentiments qui reviennent en boucle. Ils peuvent s'éterniser des heures à regarder des feux de circulation clignoter ou l'horloge d'une gare tourner. Nous passons tous par cet état, au début... Il y a des fantômes qui résident sur leur lieux de mort, comme la Dame Blanche du virage ou la Prof de Collège au passage à niveau. Et d'autres qui tournent en rond sur plusieurs kilomètres. Tu verras que certains esprits sont très calmes et d'autres... très agités. Marguerite pense qu'ils sont restés coincés dans l'état d'esprit qu'ils avaient quand ils sont morts. Bref... il y a quelques années, des fantômes très agités ont commencés à s'en prendre à d'autres fantômes. Des esprits instables, très en colère. Tu te rappelles du Miasme qui t'a poursuivi ?

— Oui, dit Charles en réprimant un frisson de peur.

— De ce que je comprends, les Miasmes sont l'accumulation des mauvaises ondes, de la tristesse, fabriquées par les vivants. On les retrouve dans les cimetières, les maisons de retraite, les sous-sols d’hôpitaux... ils fusionnent avec des fantômes et deviennent de plus en plus gros. Mais ils restent là où ils sont nés, car les lieux où ils sont ne sont pas joyeux et ils aiment ça ; à moins de partir en chasse comme tu as pu le voir... Pour les éviter, il suffit de ne pas aller sur leur territoire. Mais il y a pire que cela... on les appelle les Dévoreurs. Quand un fantôme mange entièrement l'éther d'un autre, il se transforme en cette créature dangereuse. Les SDF se sont unis contre l'un d'entre eux et sans qu'ils veulent nous dire comment, ont réussi à le détruire.

Fiona baissa la tête et continua d'une voix plus basse, elle n'aimait pas raconter cette histoire.

— Ils ont appris que l'origine de ce Dévoreur, c'était le fantôme d'une petite fille. Elle a perdu le contrôle et a absorbé d'autres fantômes. David, le Clodo du Pont, m'a demandé à ce que je m'occupe de tous les enfants morts de cette ville et à ce que je veille sur leur stabilité. Ils ont cette forme-là pour l'éternité, tu sais, jamais ils ne grandiront.

— Mais je ne comprends pas... Ils auraient dû...

— Passer de l'Autre-Côté ? Non, ils sont à la fois trop jeunes pour trouver la paix par eux-mêmes et trop vieux pour s'y rendre directement. Je ne sais pas comment ça fonctionne. On pense avec Marguerite qu'ils ont perdu leur innocence le jour où ils sont morts.

— C'est... injuste, articula Charles en essayant de comprendre.

Fiona hocha la tête à l'affirmative.

— Oui, voilà pourquoi je les ai amenés ici. Ils sont suffisamment indépendants pour changer leur lieu d'ancrage, je les ai aidés. Ça me prend des mois pour les convaincre et leur enseigner comment faire. Ici, l'atmosphère est positive, stimulante. Ils se mélangent aux enfants de leur âge et jouent avec eux.

— Mais ils ne jouent pas réellement...

— C'est sûr que des crayons de couleurs s'agitant tout seul, ça rendrait dingue la directrice... Non, ils ne sont pas assez puissants pour manipuler des objets longtemps. Ils ne peuvent passer qu'au travers des vitres ou des murs. Porter quelque chose, cela demande de la concentration, Greg n'y arrive pas non plus. Je ne connais que le Clodo du Pont qui sait tenir un stylo. Il faut savoir manipuler son éther, cela demande de l'entraînement. Et puis les enfants ne sont pas idiots, ils savent qu'ils sont morts et qu'il ne faut pas effrayer les vivants. Il faudra te montrer patient et doux avec eux... Ils ont une sensibilité exacerbée. Ton arrivée est un grand changement et certains ne seront jamais vraiment stables.

Charles mesura les paroles de Fiona et après un moment de silence, lui promit de faire attention à ses gestes.

— Combien il y a de fantômes en ville ? demanda t-il avec curiosité.

— Il n'y a que les SDF qui le savent précisément, mais plusieurs centaines... J'en connais beaucoup, mais pas tous.

Fiona regarda le ciel et se redressa :

— Il faut que j'y aille, le Clodo du Pont m'a demandé de faire un comptage. Greg et Maggy t'expliqueront le reste. Je reviendrai quand j'aurai fini, ça peut prendre plusieurs jours. Tu diras à Greg de faire attention à ne pas trop tarder dehors.

— D'accord », répondit Charles simplement en la regardant s'éloigner sur ses grandes jambes.

Les sentiments qui traversaient Charles étaient légers, fugaces. La compassion qu'il ressentait pour les Trépassés l'envahit à peine. Comment aurait-il réagit s'il avait été en vie, en voyant tous ces gamins débraillés ? Il n'en avait aucune idée. Il avait ressenti un sentiment de tristesse en écoutant l'histoire de ces enfants, mais il s'était rapidement évaporé. Sa condition de fantôme ne faisait plus de lui un humain.

Charles retourna à l’intérieur, les ateliers étaient terminés. Greg apparut devant lui, bombant le torse.

« Fiona est partie ? Bien. Ça te dit d'aller faire un tour ? La séance ne va pas tarder à commencer.

— Où est ce que tu pars ? questionna subitement Marguerite en surgissant à son tour avec Hugo.

— Au cinéma.

— Moi aussi, je veux venir ! demanda Hugo en fronçant des sourcils.

— Non, répondit Greg avec brusquerie. Celui-là n'est pas pour les petits.

— Oui, mais je veux venir ! Je veux pas rester tout seul !

Une vague glacée remplit le ventre de Greg, qui s'agenouilla :

— Promis, la semaine prochaine il va y avoir un nouveau dessin animé et je t'y amènerai. Celui que je vais voir, tu ne l'aimeras pas. Dès que je rentre, tu m'aideras à expliquer à Charles comment utiliser ses pouvoirs, d'accord ?

Hugo fronça les sourcils, peu convaincu. Marguerite enchaîna :

— En attendant son retour, je vais emmener les autres voir les chatons de la voisine.

— D'accord », marmonna le gamin en se laissant amadouer.

Gregory se redressa, la vague glacée était partie. Il craignait souvent les humeurs de son petit frère. De tous les Trépassés, c'était lui le plus fragile. Ses colères étaient terribles et Fiona partie, il pouvait être difficile à gérer en cas de crise.

Greg et Charles prirent le bus en prenant la direction du centre-ville, savourant de ne rien avoir à payer. Charles regardait au-travers des vitres le paysage défiler sous ses yeux, fasciné par toutes les lumières et l'étendue des rues. Grégory observait son émerveillement avec un air amusé.

« T'as lair un peu moins endormi, remarqua t-il à voix haute.

— Oui, j'ai l'impression de tout voir pour la première fois. »

Ils se mirent à rire et descendirent du bus à grandes enjambées. Grégory marchait en tête et le guida jusqu'au cinéma. Il souriait largement, traversant les spectateurs faisant la queue au guichet et les rangées de sièges, empressé d'arriver.

« Je viens dès qu'un film me plaît, parfois je vais voir des matchs avec Fiona. J'aime bien aussi traîner au studio d'enregistrement de la chaîne de télé locale. Je connais tout le monde là-bas. Marguerite passe son temps à la bibliothèque et dans les salles de concert. Elle va même parfois danser en boîte de nuit, dit-il en ricanant, mais elle ne sait pas que je suis au courant. Sinon, on aime bien aller au zoo, certains animaux nous voient et n'ont pas peur de nous.

— Ils savent qu'on est morts ?

— Je pense oui. On aimerait bien adopter le fantôme d'un chat ou d'un chien au centre de loisirs, mais ce n'est pas facile... Les chiens attendent la mort de leurs maîtres avant de passer de l'autre côté et les chats sont sauvages. Chut, le film commence ! »

****Est-ce que vous aussi, tout comme Charles, vous avez obtenu des réponses ? N'hésitez pas à liker pour que je puisse suivre l'avancée de vos lectures !****

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